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Opinion | « Le diaspora » qui perd son job fait autant peur que le Coronavirus en Haïti

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« Les prochains jours s’annoncent moroses pour l’économie haïtienne, les entreprises, les ménages et les citoyens »

Quand le monde a observé que la Chine s’était mise à tousser, les Américains étaient les premiers à se chercher du papier-toilette. Une panique qui a vite gagné d’autres pays. Ils savaient que les répercussions de ce nouveau coronavirus qui faisait des ravages dans l’Empire du Milieu allaient se faire sentir chez eux et dans le reste du monde, car avec le temps, la Chine s’est taillé une place de choix dans le commerce international et l’économie mondiale en général.

La deuxième puissance économique du monde fut la première touchée et les experts de La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement n’ont pas tardé à confirmer ce que tous les observateurs anticipaient : l’économie planétaire allait subir de graves conséquences de la pandémie COVID-19 avec un manque à gagner de l’ordre de 2 000 milliards de dollars, dont 220 milliards pour les pays en développement.

En Haïti, on craignait plus le choc d’une perte d’emplois des Haïtiens de la diaspora que la pandémie elle-même et ses autres conséquences. La communauté comptait environ 1,2 million de membres dont plus de 600 000 aux États-Unis en 2015, avant la vague migratoire vers l’Amérique centrale. Leur transfert d’argent représentait environ 32 % du PIB en 2018.

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Ces transferts dépassent l’aide étrangère accordée à Haïti et les investissements étrangers réalisés dans le pays. Les ménages haïtiens sont tellement dépendants de ces transferts d’argent que l’arrêt de ce substitut de revenu pour nombre d’entre eux fait plus peur que le taux de létalité d’un virus auquel ils espèrent tous échapper grâce à des idées reçues peu scientifiques comme la clémence de Dieu, la faveur du destin et une certaine jeunesse de la population.

Deux semaines après la confirmation des deux premiers cas de personnes infectées par le coronavirus en Haïti la mort frappe là où nous l’attendions le moins, chez nos compatriotes aux États-Unis : les images de cadavres alignés à New York, les messages « Requiescat in pace » (RIP) d’Haïtiens ayant des parents vivant aux États-Unis sur Facebook ne laissent planer aucun doute.

Des gens meurent par millier aux États-Unis parmi eux des Haïtiens. Des usines, entreprises et autres institutions ferment temporairement leurs portes, les marchés financiers s’affolent mettant en péril certains investissements des Américains. Le confinement restreint considérablement les activités économiques et fait grimper le chômage.

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Ces changements touchent aussi la diaspora haïtienne vivant dans ce pays. La mort d’Haïtiens chez le voisin américain signifie la réduction des transferts et des pertes en vie humaine pour leurs familles vivant en Haïti.

Les prochains jours s’annoncent donc moroses pour l’économie haïtienne, les entreprises, les ménages et les citoyens.

Pourquoi un virus fait-il autant de dégâts?

Même si les Haïtiens ne mouraient pas aux États-Unis, cette pandémie risquait de nous frapper sur le plan sanitaire et économique. Il n’est un secret pour personne que le système de santé haïtien est à l’image du pays, démuni et incapable de faire face à la moindre crise.

Depuis l’exercice fiscal 2009-2010, nous n’avons pas atteint la barre de 10 milliards de gourdes d’investissement en santé. Les 7,2 milliards de gourdes alloués au parlement ont même dépassé les 6 milliards réservés pour la santé dans le budget initial de l’exercice fiscal 2017-2018.

Notre dépendance aux importations qui s’élevaient à plus de 5 milliards de dollars en 2018 nous rend vulnérables à toutes éventuelles hausses des prix suite aux chocs sur l’offre de bien et de service dû au fait que les industries dont une grande partie de la production est basée en Chine ne produisent plus comme avant.

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 Une baisse de la consommation est à craindre au niveau mondial sauf si les pays adoptent certaines politiques comme le stimulus économique aux États-Unis qui devrait permettre aux familles de continuer à consommer.

Au pays le plus riche du monde, environ 10 millions de personnes ont perdu leurs emplois. Le tourisme mondial est affecté. Face à ces chocs, il y a une baisse de la demande pour certains biens et services qui pourrait toucher les exportations haïtiennes aussi. L’économie mondiale va mal. Les pays développés comme les pays sous-développés souffrent proportionnellement à leur capacité d’absorber les chocs et de se relever. En Haïti, nous n’excellons ni dans l’un ni dans l’autre.

La pandémie du Coronavirus frappe de plein fouet les plus grandes économies du monde en même temps ce qui laisse peu de ressources pour des interventions humanitaires dans des pays comme Haïti. Contrairement aux autres catastrophes où nous avons reçu des déploiements d’aide humanitaire, nous devrons compter sur nous-mêmes avant tout.  Nous avons encore le temps d’agir vite. Nous n’avons pas encore officiellement atteint la barre des 100 personnes infectées. L’afflux de malades n’a pas encore fait exploser le système de santé comme aux États-Unis.

Le pire nous attend, sauf sacrifices de notre part. Les opportunités qui semblent se dessiner en marge de cette crise exigent une certaine rigueur, une gouvernance solide et des ressources que nous n’arrêtons pas de gaspiller. Haïti est un cas d’étude en termes d’occasions manquées. On ne se leurre plus, mais face à la menace on espère un sursaut des décideurs et du reste de la société pour sauver ce qui peut être sauvé et aller à l’affût de ce qui est encore à notre portée en priorisant l’urgence, l’intérêt général et les initiatives locales.

Emmanuela Douyon est une spécialiste en politique et projets de développement. Elle a étudié à Paris-1 Sorbonne en France et à l’université National Tsing Hua de Taïwan. Emmanuela a travaillé dans plusieurs secteurs en Haïti. Elle est fondatrice du thinktank Policité et offre des consultations stratégiques en gestion et évaluation de projets. Outre ses activités professionnelles, Emmanuela est une activiste luttant contre les inégalités et la corruption. Elle intervient souvent dans les médias pour commenter l’actualité et analyser des questions économiques.

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