Des décisions de Jovenel Moïse entravent l’agenda électoral d’Ariel Henry
Le Premier ministre de fait Ariel Henry place l’organisation des élections en tête de sa liste de priorités pour 2022. Le chef de la primature dirige le pays dans le flou légal, depuis l’expiration incontestable du mandat de Jovenel Moïse, le 7 février 2022.
Lorsque l’ancien président avait tenté de mettre en branle la machine des élections en 2020, il avait fait fi d’une démarche cruciale : la prestation de serment des conseillers électoraux devant la Cour de cassation, comme l’exige la loi. La légitimité et le fonctionnement de ce Conseil, dissout depuis, en ont été entamés.
Ariel Henry veut éviter ces écueils. Mais il se trouve dans une impasse : la Cour de cassation se trouve dysfonctionnelle.
La plus haute instance judiciaire du pays doit comporter douze membres. Il fonctionnait avec cinq, jusqu’à l’expiration du mandat de deux d’entre eux le 18 février dernier. En février 2021, Jovenel Moïse avait unilatéralement et illégalement envoyé à la retraite trois juges
de la Cour. Et en juillet 2021, le président de la structure est mort du Coronavirus.
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L’article 175 de la Constitution exige que les juges de la Cour de Cassation soient nommés par le Président de la République sur une liste de trois personnes par siège soumise par le Sénat. Le grand corps devrait donc lancer un appel à candidatures pour faire choix des magistrats retenus avant de soumettre la liste au président.
En février 2022, Haïti n’a pas de président depuis l’assassinat brutal de Jovenel Moise, le 7 juillet 2021. Et le Sénat, dysfonctionnel à cause de la non-organisation des élections à temps, ne peut correctement jouer son rôle avec uniquement un tiers de ses membres.
Avec cinq juges, la Cour de cassation pouvait siéger en session ordinaire. Ce n’est plus possible à présent avec les trois magistrats restants », fait savoir Martel Jean Claude, président de l’Association professionnelle des magistrats.
La Cour de cassation veille au respect des lois en vigueur en plus de son rôle de Cour constitutionnelle par exception. Elle est aussi l’organe de sanction des juges en cas de fautes disciplinaires graves. Des acteurs appellent à un compromis pour relancer cette juridiction, qui statue aussi en dernier ressort sur les litiges tranchés par les tribunaux inférieurs dans la hiérarchie de la justice.
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« Il était convenu qu’en raison de la dysfonction du Sénat, il revenait à l’exécutif [dirigé par Ariel Henry] de lancer un appel à candidatures pour les postes vacants au sein de la Cour », révèle un juge au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui requiert l’anonymat.
Les sénateurs Joseph Lambert, Patrice Dumont et Pierre François Sildor n’ont pas répondu aux appels d’AyiboPost avant la publication de cet article.
Dans la procédure adoptée, le dossier des juges doit être analysé par le ministère de la Justice et le CSPJ attribuera des avis favorables aux candidats ayant rempli les conditions exigées, avant de les renvoyer par-devant le Premier ministre de fait Ariel Henry pour nomination.
« Les acteurs se sont mis d’accord sur cette procédure », confirme Martel Jean Claude, président de l’APM.
Le CSPJ reçoit une liste de neuf juges le 16 février 2022, à travers une correspondance de la part du ministre de la Justice, Berto Dorcé. Le Conseil devait choisir trois d’entre eux pour compléter les sièges vacants à la Cour de cassation.
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Le CSPJ a boudé cette démarche. « Le rôle [de notre institution] se limite à donner son avis sur une liste déjà constituée, par qui de droit, de trois candidats par poste à pourvoir conformément à la législation en vigueur », lit-on dans la réponse acheminée au ministre Dorcé.
Selon le juge au sein du CSPJ qui requiert l’anonymat, l’institution dont il fait partie n’a pas donné suite à la requête du ministre Dorcé parce que le gouvernement d’Ariel Henry n’avait pas respecté les termes de l’accord trouvé avec le secteur judiciaire haïtien. Suivant cet accord, le CSPJ allait recevoir des juges déjà sélectionnés afin de donner son avis.
« Le CSPJ refuse de prendre le pouvoir de nomination puisque ce rôle ne cadre pas avec ses attributions ni selon la loi ni selon les ententes préalablement définies », précise la source anonyme.
La Cour de cassation ne peut rester dysfonctionnelle indéfiniment. « Étant donné qu’il n’y a pas de Sénat et que le pays évolue en dehors des dispositions constitutionnelles, il serait nécessaire d’appliquer des mesures impartiales pour faciliter le fonctionnement de l’institution », déclare Me Gédéon Jean, du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme.
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Plusieurs pas dans l’illégalité ont d’ailleurs déjà été franchis. Des membres du CSPJ avaient prêté serment par devant le Premier ministre de facto Ariel Henry alors que la loi créant cette institution dit que ce processus doit être réalisé en présence du président de la République, des présidents du Sénat et de la chambre des députés.
Parallèlement, le PM a renouvelé le mandat de plusieurs juges au sein des tribunaux de première instance bien que ce rôle revienne au président de la République selon les prescrits l’article 175 de la Constitution.
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