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Le pouvoir dissémine de fausses informations. La société civile crie « free Haiti ».

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Les deux discours ont l’international pour destinataires

Jovenel Moïse se présentait devant le Conseil de sécurité des Nations Unies le 22 février 2021. Cette intervention a eu lieu à un moment où le pays connaît de fortes tensions politiques et sociales.

Les déclarations du président devant le conseil étaient truffées d’inexactitudes, voire de fausses informations. Jovenel Moïse a affirmé sans preuve le démantèlement de dizaines de gangs. Il a aussi mentionné des attaques de bandits, déguisés en journalistes, sur des policiers. Plusieurs institutions indépendantes, dont des médias, dénoncent pourtant l’inverse : des violences policières systématiques à l’encontre des journalistes.

Des membres de la société civile, ainsi que des opposants connus, ont eux aussi eu à intervenir à différents moments, sur des médias internationaux.

Chacun de ces camps essaie de présenter la situation à son avantage. Selon Ralph Emmanuel François, analyste en leadership, charisme et influence politique, l’on se trouve en présence d’une guerre de communication, pour le contrôle d’une audience spécifique : l’international. Cette guerre est amplifiée par les réseaux sociaux. Ainsi, les informations produites par les deux camps, qu’elles soient vraies ou fausses, passent par ces caisses de résonance.

Guerre de communication

Trois narratifs sont en train d’être véhiculés sur Haïti. Le premier est celui du gouvernement qui fait croire que tout est sous contrôle. C’est ce discours qui a été porté au-devant des Nations unies par le président. Le deuxième est celui de la société civile, qui essaie de mettre en lumière ce qui se passe. Le dernier est celui des principales figures de l’opposition. Bien que ce discours ressemble à celui de la société civile, il contient lui aussi de fausses informations.

Tilou Jean-Paul, responsable de recherche et développement à l’Observatoire du numérique d’Haïti, croit qu’il est normal que tous cherchent à utiliser les outils qui sont à leur disposition, pour faire passer leurs communications. Ce qui est inacceptable selon lui, c’est quand ces acteurs font preuve de mauvaise foi.

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Au cours des mois de janvier et de février, beaucoup d’utilisateurs des réseaux sociaux, notamment Twitter, ont évoqué l’apparition de dizaines de comptes créés en janvier ou février 2021, et qui pour la plupart font des commentaires propouvoir en réponse à des publications qui critiquent l’administration de Jovenel Moise.

Cette guerre de narratifs cherche à contrôler l’audience avant tout. Le pouvoir en place utilise des stratégies comme récupérer à leur compte des personnes influentes sur les réseaux, explique Ralph Emmanuel François. Certains nouveaux médias, sur YouTube notamment, ont été ainsi accusés de faire le jeu du pouvoir en lui offrant carte blanche.

Pourtant peu de gens comprennent qu’il s’agit d’une lutte pour capter l’audience et faire passer son message pour vrai. « On ne cherche pas toujours à bien comprendre l’impact que peut avoir un message qu’on a partagé, explique Tilou Jean-Paul. Ceux qui savent que c’est une guerre de communication font plus attention. »

Manifestation du dimanche 14 février 2021. Photo: Valerie Baeriswyl

À égalité d’armes

Depuis l’avènement du Parti haïtien Tèt Kale au pouvoir, avec l’élection de Joseph Martelly puis de Jovenel Moise, l’Etat a souvent fait appel à des firmes privées professionnelles, pour aider sa communication à l’extérieur notamment. L’administration de Jovenel Moise a ainsi acheté les services de firmes de lobbying, aux États-Unis.

Le dernier accord connu, selon le Miami Herald, avait été signé avec la firme internationale Dentons US LLP, pour un montant forfaitaire de 25 000 dollars par mois, sur une durée de douze mois. Des accords avaient été signés auparavant avec la firme Mercury, pour un montant de 4 690 dollars par mois jusqu’en septembre 2018.

C’est un atout que l’opposition politique ne possède pas, encore moins les organisations de la société civile, qui s’opposent à Jovenel Moïse.

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Mais grâce aux réseaux sociaux, les moyens peuvent s’équilibrer. « Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’un choc entre deux idéologies, dit Tilou Jean Paul. Mais plutôt, d’un gouvernement qui veut donner la sensation que tout va bien. »

Ainsi, pendant que le gouvernement déploie de grands moyens pour influencer l’opinion, les réseaux sociaux permettent un discours contraire. Depuis deux jours, le hashtag #FreeHaiti, en référence à #FreeSenegal, mouvement prodémocratie lancé au Sénégal, ne cesse de croître en Haïti. Plus de 380 000 tweets ont déjà été publiés avec cette mention.

Tilou Jean-Paul rappelle le mouvement Petrochallenge, à la base des rapports de la Cour des comptes sur les détournements de fonds de Petrocaribe. « C’était la première fois que je voyais une institution haïtienne accuser de corruption un président haïtien encore en exercice », dit-il. Cela explique la force des réseaux sociaux.

Ralph Emmanuel François pense lui aussi que grâce aux réseaux sociaux, les deux forces en présence sont à armes égales. « La propagande du pouvoir marche, dit-il. Mais il n’a pas la latitude d’imposer le discours qu’il veut. Si des centaines de personnes font passer un même message sur les réseaux sociaux, ce message arrivera à destination tout aussi bien. »

L’une des particularités des discours qui s’opposent, c’est qu’ils sont tournés vers l’extérieur. L’administration de Moïse veut rassurer les pays qui le soutiennent encore, tandis que la société civile veut acquérir ces pays à sa cause. « Le pouvoir oriente son discours de façon à blâmer l’opposition, responsable de tous ses maux. Mais la société civile base le sien sur des faits, par exemple le fait que le président soit accusé de corruption », dit Ralph Emmanuel François.

Dans la diplomatie entre Haïti et la communauté internationale, les gens sont des transactions politiques, rappelle Emmanuel François. Un jour ils sont beaux, et le lendemain ils ne le sont plus.

Réseaux sociaux et fake news

Les différents réseaux sont un véhicule idéal pour les fausses informations. Selon Ralph Emmanuel, certains facteurs rendent Haïti encore plus vulnérable aux fake news, et l’un d’eux est la peur. « Par exemple, des gens vont préférer écouter un chef de gang en direct, parce qu’ils pensent qu’il peut leur donner des informations, au lieu d’un responsable qui fait passer un bon message », regrette-t-il.

Ainsi, le regroupement de gangs G9 a sa propre chaîne YouTube, sur laquelle Jimmy Cherizier, alias Barbecue, propose régulièrement des entrevues en direct. « L’État devrait travailler avec les géants des réseaux sociaux pour bloquer ces comptes, estime Ralph Emmanuel François. La police doit intégrer la technologie à son arsenal. Dès qu’un bandit est en live sur sa chaîne, il serait ainsi reporté et bloqué. »

Les fausses informations circulent aussi facilement en partie parce qu’au lieu de chercher la vérité, les gens veulent entendre ce qui correspond déjà à leur position.

Les fausses informations circulent aussi facilement en partie parce qu’au lieu de chercher la vérité, les gens veulent entendre ce qui correspond déjà à leur position. C’est le mode de fonctionnement de la militance sur les réseaux sociaux, selon Tilou Jean Paul. « Lorsque les deux camps produisent de fausses informations, les militants qui s’identifient à l’un ou l’autre les partagent tout simplement, dit-il. Nous ne sommes pas tous journalistes, nous ne pouvons pas tous prétendre à donner des informations. »

Le médiateur du Réseau des blogueurs d’Haïti pense que pour arrêter ce flot de fake news, la vérification des informations est incontournable. « Il est difficile d’agir sur l’émetteur de ces informations, croit Jean Paul. Ni sur ceux qui font de la militance. Mais il y a d’autres personnes qui partagent des informations par effet de mode, ou pour faire du sensationnel. Ce sont eux qui devraient avoir le réflexe de vérifier. Si la vérification n’est pas possible, on ne doit pas le partager. »

Les géants des réseaux sociaux ont souvent été indexés pour la facilité avec laquelle de fausses informations circulent sur leurs systèmes. Des mesures ont été prises, même si des experts les jugent encore insuffisantes. Par exemple, Whatsapp, réseau très prisé dans la dissémination de fake news, a pris des mesures pour ralentir la circulation de potentielles fausses informations. Ainsi, si un message a été transféré plus de cinq fois, un utilisateur qui le reçoit ne peut le transférer qu’à une seule conversation à la fois.

L’éducation est la solution la plus efficace, selon les experts. Il faut informer les citoyens, surtout les plus jeunes, sur la façon de détecter des informations douteuses, et ainsi développer leur esprit critique.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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