J’ai eu une conversation avec un ami sur ce qui se passe actuellement en Haïti, il m’a posé la question suivante : pourquoi certains manifestants se comportent-ils comme des gens non civilisés ?
Question assez choquante ! Je pourrais me plonger dans une colère de guêpe menacée, et lui lancer quelque chose de très barbare, histoire de lui faire comprendre que parfois seul le barbarisme sauve (Walter Benjamin lui-même a fait une conceptualisation positive du barbarisme). Mais j’ai décidé autrement en lui répondant parce qu’ils sont peut-être les seuls à comprendre qu’ils sont dans un état civil fantôme et qu’un tel état est plus dangereux qu’un état de nature déclaré.
Le bien-fondé de l’État
La première raison d’être de l’État, ce n’est pas de diriger/gouverner, c’est de protéger sa population. Protection qui se subdivise en sécurité physique, morale/mentale, alimentaire, etc. Et, pour assurer cette protection, gouverner devient nécessaire – L’État en gouvernant, il gouverne pour le peuple qu’il gouverne. C’est-à-dire, s’il existe un gouvernement dans un pays quelconque, il doit incarner la volonté du peuple (clin d’œil à Rousseau).
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Mais quelle est la plus grande volonté qu’un peuple puisse avoir sinon celle de vivre en toute dignité ? Cette volonté étant la plus grande est aussi la plus fondamentale. Quand un pouvoir n’est même pas capable de répondre à ce besoin, ou quand il ne manifeste aucun intérêt à respecter la dignité de ceux et celles qui ont fait de lui un pouvoir, il devient automatiquement ce qu’il devait combattre, une menace.
La première raison d’être de l’État, c’est de protéger sa population.
Quoi d’autre faire d’une menace sinon que de s’en débarrasser ? Qu’est-ce qu’on peut exiger d’un peuple qui ne jouit pas de ses droits les plus fondamentaux ? Ici, manger est un luxe, la santé n’existe pas, l’éducation n’est nullement prioritaire, pas de loisirs et rien du tout. À quoi sert un pouvoir qui ignore qu’il a, plus que tout-e citoyen-ne, un devoir envers tout le monde ?
Le peuple n’a plus le choix
Si l’État est la volonté d’un peuple, pourquoi un gouvernement voudrait-il garder le pouvoir quand la volonté populaire exige son départ ? N’est-il pas devenu une volonté contre la volonté du peuple ? C’est-à-dire une contre-volonté. Alors, que faire d’une volonté contraire à la sienne quand il s’agit d’une question de vie ou de mort ?
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Si le peuple a la nette impression (ici, c’est plus qu’une impression, c’est une certitude) que l’État se dresse contre lui, il doit faire ce qui s’impose : demander aux représentants de cet État de vider l’espace du pouvoir ; et quand ce dit pouvoir veut garder l’espace qui n’est plus sien, l’État civil touche à sa fin, on entre directement dans un état de nature. État de lutte entre volontés et contre-volontés, entre passions et passions (Hobbes). En d’autres termes, la société est contre l’État en vue de sauver son avenir comme peuple.
Quelle preuve de cupidité plus grande et plus concrète pourrait-on avoir que la dilapidation des fonds Petrocaribe ?
La « civilisation » (quel beau concept !) est censée apprendre à l’homme à maîtriser ses passions, dont la cupidité et la cruauté. Sinon, l’être dit « humain », indépendamment de son titre, son rang social ou sa fonction est un humain raté, un projet avorté, un trompe-l’œil. Quelle preuve de cupidité plus grande et plus concrète pourrait-on avoir que la dilapidation des fonds Petrocaribe ?
L’argent de tout un peuple distribué entre amis et camarades politiques, alors que ce peuple croupit dans la plus crasseuse des misères. Combien de cadavres faut-il encore compter ? Qu’est-ce qu’un gouvernement incarnant tous les maux nationaux sinon l’ennemi du peuple ?
Le non-respect flagrant des droits de l’homme, tellement systématique, est devenu anecdotique, un fait divers. La Saline ! La violence est devenue mode opératoire de la PNH qui se transforme petit à petit en milice gouvernementale (notre démocratie est grosse d’une certaine dictature), toujours au moins un mort dans les manifestations contre l’insécurité. Comment prêcher la civilisation à des gens n’ayant récolté que de la barbarie ?
Jovenel Moïse doit partir
Au moment où nous en sommes, la lutte n’est pas seulement politique. Loin de là. C’est l’instinct de survie qui se met en action. C’est la faim, le sentiment d’insécurité, la colère qui investissent les rues. La raison a échoué avec le gouvernement, les passions du peuple prennent le dessus.
Le temps du dialogue s’est noyé dans des vagues de mensonges, de tromperies, de corruption, de crimes, d’usurpations, de fraudes et de clientélisme politique. Le régime en place le sait bien, la démission du chef d’État n’est plus une alternative, c’est une obligation/une nécessité. Nous courrons tout droit vers une guerre civile, le CORE Group le sait bien.
Quel pays du CORE Group aimerait avoir un président comme Jovenel Moise ?
Quel pays du CORE Group aimerait avoir un président comme Jovenel Moise ? La corruption fait rage ! Est-ce aussi une valeur de la démocratie que l’on nous prêche ici ? L’heure n’est plus à la duperie, nous courrons tout droit vers une mort collective. Sans nous battre contre Moise, nous mourrons (presque) tous de faim, d’épidémies et d’indignation ; en nous battant contre lui et tout autre projet similaire visant à nous anéantir, nous mourrons dans l’esthétique du sang et du feu. Qui le sait le sait bien : l’homme a ce vilain défaut de vouloir mourir en beauté.
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