SOCIÉTÉ

Ceux qui habitent sous les câbles électriques à Port-au-Prince courent un grand danger

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C’est aussi interdit par la loi

Le décret régissant le secteur de l’énergie électrique en Haïti, en son article 55, interdit à toute personne « de placer quelque objet que ce soit sur ou sous les conducteurs du réseau de transport ou du réseau de distribution ». Une exception est faite pour ceux ayant une « dérogation de l’Électricité d’Haïti ».

Dans les faits, plusieurs milliers de citoyens vivant dans les communes de la Croix-des-Bouquets, Delmas, Pétion-ville, Port-au-Prince, Carrefour et Tabarre ignorent ce principe instauré pour éviter les accidents, qui parfois peuvent être mortels.

Une structure souterraine a été construite en 2019 pour faire passer une partie des câbles électriques sans avoir à affronter le désordre qui règne à Port-au-Prince, rapporte Lionel Jean, directeur de réseau au Ministère des Travaux publics, Transport et Communication (MTPTC).

Ainsi, de Lilavois 17, dans la commune de la Croix-des-Bouquets, à Delmas 33 en passant par la station de Tabarre, le courant électrique en provenance de Péligre, suit un conduit souterrain, pour éviter « à la fois des accidents et aussi des difficultés de maintenance, à cause des constructions anarchiques », soutient le directeur.

À part cette fraction s’étendant sur un total de 9,65 km, le courant traverse des pylônes électriques installés dans les rues pour le reste de son trajet dans la région métropolitaine. De ce fait, tous les autres citoyens vivant sous ces câbles électriques risquent de se faire électrocuter en cas d’accident, souligne Lionel Jean.

Un problème non priorisé

Il y a 15 ans déjà depuis qu’Eliassaint Gelchrist a construit et vit avec sa famille sous les câbles électriques en provenance de Péligre.

Ce faisant, ce citoyen habitant à Tabarre 27 se trouve en contravention avec le décret qui punit d’un « emprisonnement de six à douze mois et d’une amende allant de 500 000 à 1,5 million de gourdes, quiconque construit sur ou sous les lignes électriques ou occupe des emprises des installations électriques du domaine public de l’État ».

Quoiqu’il explique être conscient de ce danger qui, selon lui, « est le résultat des différents coups d’État qu’a connu le pays », le titulaire du MTPTC Joisseus Nader estime que ce problème ne fait pas partie des urgences de l’heure.

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Même s’il admet que ces constructions techniquement illégales peuvent entraver le projet du président Jovenel Moise qui, dit-il, « ambitionne de réhabiliter le réseau électrique, à travers le pays » Joisseus Nader, ne compte pas exiger un déguerpissement des résidents. Il préfère laisser du temps au temps, « puisque tout est dynamique ».   

« Il y a tellement de problèmes à résoudre que ce dossier n’est malheureusement pas prioritaire, clarifie Nader. Aujourd’hui, le problème à résoudre est d’arriver à faire allumer les lampes de toutes les familles à partir de l’ED’H ».

Une crainte permanente

Le désintérêt de l’État pour cette question n’apaise pas nécessairement les inquiétudes de ceux qui vivent sous les pylônes. Cedrick Louis — nom d’emprunt — est un ancien journaliste converti en commerçant et qui habite sous les câbles électriques provenant de la sous-station de Delmas 33.

Louis vit dans la zone depuis octobre 2019. Il explique son choix à la fois par le manque de logements dans la capitale, mais aussi par l’insécurité qui sévit dans le pays. « En haut, c’est trop cher et en bas, c’est peu sûr », indique l’homme qui débourse pas moins de 100 000 gourdes annuellement pour pouvoir habiter sous des câbles de haut voltage.

Cedrick Louis vit dans une angoisse permanente. Ses craintes se justifient d’autant plus que le ministre des TPTC, Joisseus Nader rappelle que la majeure partie des câbles sont obsolètes, ce qui augmente les risques d’accidents. « Les lignes de l’ED’H sont affaiblies considérablement, elles sont vieilles et ont subi beaucoup de sabotages », rappelle Nader.             

Des risques «possibles» pour la santé  

Outre les dégâts que la chute d’un câble peut provoquer sur les citoyens qui ont élu domicile à l’ombre des pylônes, les ondes électromagnétiques de basse fréquence émises par le câble sous l’effet du courant électrique peuvent déboucher sur des problèmes de santé pour la population avoisinante, dévoile le directeur du réseau au MTPTC, Lionel Jean.

Selon le docteur Joseph Bernard, ces inquiétudes sont encore au stade théorique en Haïti puisqu’aucune étude n’est menée pour les vérifier. Le docteur Elcie Carrenard parle aussi de ce manque de données nationales qui empêche les spécialistes de parvenir à une conclusion sur le phénomène.

Cependant, dans d’autres pays, comme la France, par exemple, l’Agence Nationale de Sécurité sanitaire avait attiré l’attention sur le risque de leucémie que la proximité avec ces structures peut générer chez des enfants en 2019. En 2002, le Centre International de Recherche contre le Cancer avait classé les champs magnétiques d’extrêmement basses fréquences, dont font partie les dispositifs de transport d’électricité, comme possiblement cancérigènes pour l’homme.

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Quand l’État haïtien avait décidé d’abandonner les pylônes sur une partie du trajet, les habitants concernés ont poussé un ouf de soulagement. Alicha est une jeune étudiante ayant passé son adolescence sous les câbles qui traversaient la résidence de ses parents à Tabarre. Pour elle, ces câbles donnaient froid dans le dos « parce qu’ils grondaient lorsqu’il pleut ».

Ces travaux qui incluent la réhabilitation de 46 km de lignes aériens à partir de Péligre, l’enfouissement des câbles à partir du pylône 152 jusqu’à Delmas 33 ont couté 29,15 millions de dollars américains. Le chantier a été financé par la Banque interaméricaine de Développement (BID) et le Fonds pour la Reconstruction d’Haïti (FRH).

Depuis ces interventions, Eliassaint Gelchrist dort tranquillement. L’homme qui habite à Tabarre 27 vivait pendant longtemps dans la crainte de se voir électrocuter avec sa famille ou de se faire expulser de cet espace qu’il occupe illégalement.

Samuel Celiné

Les photos sont de Samuel Celiné. Elles ont été prises à Tabarre et à Delmas. 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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