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Comprenez comment l’EDH organise la distribution du black-out

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L’Électricité d’Haïti produit et distribue du courant dans le pays. Le défi d’alimenter tout Haïti en électricité est grand, et l’entreprise n’en a pas encore les moyens

L’Électricité d’Haïti (EDH) est une entreprise publique qui produit et alimente le pays en électricité. Elle a été créée en 1971. Avant l’Edh, deux compagnies privées produisaient du courant. La première était dans la ville de Jacmel, en 1895. La deuxième, la Compagnie d’éclairage de Port-au-Prince, a été rachetée en 1971, par l’État haïtien.

Au cours de cette même année 1971, le barrage de Péligre qui servait à l’irrigation commence à être utilisé pour produire du courant électrique. Peu à peu, un réseau de distribution a été installé dans plusieurs localités.

Aujourd’hui, l’EdH est présente dans une bonne partie du pays, même si l’électrification nationale n’est pas encore une réalité.

La production des centrales

L’EdH produit du courant de deux façons, selon l’ingénieur Patrick Camille Michel, ancien directeur technique adjoint de l’entreprise. Il évolue depuis plus de 30 ans dans le secteur. « L’EdH a un réseau hybride, explique-t-il. Il y a des centrales thermiques, qui fonctionnent au carburant, et des centrales hydroélectriques. » Les centrales thermiques qui alimentent l’EdH sont à Carrefour, à Cité Soleil, Petit-Goâve, Cap-Haïtien et dans d’autres villes de province. Les centrales hydroélectriques sont celles de Péligre, la plus importante avec 54 MW, et d’autres comme celle de Saut Mathurine.

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L’EdH possède aussi les centrales Bolivar, Pétion et José Marti, appelées PBM. Construites dans le cadre de l’accord Petrocaribe, elles sont le résultat d’une coopération tripartite entre Haïti, Venezuela et Cuba. Elles peuvent produire 34 MW pour la centrale Pétion et 13,6 MW pour chacune des deux autres.

E-Power, Haytrac et Sogener SA sont des producteurs indépendants d’électricité qui fournissent du courant à l’EdH. L’usine E-power est à Drouillard, dans la commune de Cité Soleil. Elle produit 30 MW de courant. Toutefois, depuis quelque temps, un bras de fer a lieu entre l’État haïtien et tous les producteurs privés. Le dernier épisode de cette guerre a été la saisie des centrales situées à Varreux, opérées jusque-là par Sogener SA.

Distribution du courant

L’ensemble de la production de ces sites alimente le réseau de l’Edh. L’entreprise distribue ce courant dans ses différents circuits, à travers des lignes de transport, c’est-à-dire des fils de haute tension. Selon Patrick Camille Michel, le barrage de Péligre amène le courant jusqu’à Port-au-Prince, à Delmas 33 plus précisément. Cette ligne transporte un courant de 115 kilovolts, ou 115 000 volts.

Le volt est l’unité qui mesure la tension du courant électrique. En général, pour l’expliquer, on fait une analogie avec un tuyau d’eau. Plus la pression est forte dans le tuyau, plus il y a de l’eau qui circule. De même, dans un câble électrique, plus la tension est élevée, plus il y a de courant dans la ligne.

Ces 115 kilovolts, une fois arrivés à Delmas, sont transformés en 69 kilovolts. Cette ligne de courant fait presque le tour de Port-au-Prince. Elle passe à Delmas, Canapé-Vert, Carrefour-Feuilles, Avenue N, Martissant et Rivière Froide. Ce courant circule dans plusieurs sous-stations. Les sous-stations sont de mini-réseaux qui alimentent des circuits. Chaque circuit correspond à une zone. Dans les villes de province, c’est le même schéma qui est reproduit.

L’origine des rationnements

Selon René Jean Jumeau, ancien ministre de l’Énergie, à la création de l’EdH, l’entreprise arrivait à produire assez de courant pour desservir tous ses abonnés. L’électricité était disponible tout le temps.

Puis, avec l’extension du réseau, les clients sont devenus plus nombreux, et les déboires de l’EdH ont commencé. « Dès que le courant est disponible, dit René Jean Jumeau, les ménages ont tendance à s’acheter plus d’appareils électroniques. Cela augmente la demande en courant. »

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Selon le Bureau des Mines et de l’Énergie, « entre 1972 et 1989, la consommation d’électricité per capita est passée de 12 KWH à 54 KWH soit une croissance de 8,7 % par année. » L’Edh ne pouvait plus satisfaire la demande, surtout à cause d’une mauvaise politique de maintenance. « Une compagnie de courant a trois responsabilités, explique René Jean Jumeau. Produire l’électricité, entretenir les équipements et planifier l’extension du réseau. Cette extension doit être faite avec la marge bénéficiaire que la compagnie réalise, par la vente de son produit. Mais la marge que réalisait l’EdH n’a pas servi à l’investissement ; l’État l’utilisait dans des programmes sociaux. »

Aujourd’hui, tout le courant produit par les différentes centrales est déversé dans le réseau électrique. Mais il ne suffit toujours pas. C’est de là que vient le rationnement. C’est-à-dire, en fonction du courant produit, l’EdH décide d’alimenter certaines zones au détriment d’autres.

Le black-out programmé

« Tous les jours, dit Patrick Camille Michel, la direction technique de l’EdH contacte les centrales pour connaître leur production. À partir de ces données, l’entreprise détermine quelles zones doivent être alimentées et pendant combien de temps. C’est une programmation. Les employés de l’Edh connaissent très bien leur travail. »

Après cette programmation, la section « dispatching » de l’EdH contacte les différentes sous-stations et les instruit de l’horaire du courant à distribuer. « Les sous-stations fonctionnent 24 heures sur 24, continue l’ingénieur. Les employés travaillent par tranche de huit heures. Dans chaque sous-station, il y a des recloser, à raison de un recloser par circuit. »

Le recloser est une sorte d’interrupteur. À l’origine, il sert à couper l’alimentation sur un réseau en cas de panne ou en situation d’urgence. Dans les sous-stations, les employés s’occupent d’actionner cet équipement, en accord avec la programmation décidée par la direction technique et le dispatching. C’est ainsi que le « black-out » est produit.

Il y a des circuits prioritaires, pour lesquels on actionne rarement le recloser. C’est le cas de celui qui alimente le Palais national et les zones avoisinantes. « La programmation est réfléchie, dit Patrick Camille Michel. Tout dépend des activités dans une zone, elle sera alimentée en courant pendant le jour ou pendant la nuit. Par exemple, Pétion-Ville est une zone commerciale. Elle est le plus souvent alimentée pendant le jour. La zone du Chemin des dalles a beaucoup d’institutions médicales, elle jouira donc d’un horaire de courant adapté à ces activités. »

Une entreprise au bord de la faillite

L’électricité d’Haïti est une entreprise publique, mais elle fonctionne comme toutes les entreprises. Elle est autonome et a un caractère commercial. Elle offre un service pour lequel elle facture ses clients. L’EdH n’arrive toutefois pas à facturer tous ses clients. Le taux de facturation de l’énergie consommée par les abonnés de l’institution est d’environ 40 %.

Comme l’électricité est un service stratégique, l’État haïtien est obligé de subventionner l’EdH pour lui permettre de continuer à exister. Pour l’exercice fiscal 2017-2018, la subvention était prévue à hauteur de 8 762 milliards de gourdes.

Les 40 % de clients facturés ne payent pas tous leur facture. Ainsi, dans des déclarations tenues plus tôt dans l’année, le directeur général de l’EdH dénonçait le faible taux de recouvrement de l’entreprise qu’il dirige. En décembre 2018, sur 136 589 factures, seulement 16 654 avaient été payées ; soit un taux de 12,19 %.

Selon Patrick Camille Michel, le blâme n’est pas à mettre sur le compte de l’EdH. « C’est un manque de planification qui vient du plus haut niveau, dit-il. L’État ne pense pas à un système d’électricité, mais à un système d’éclairage. »

Malgré de nouveaux moyens de paiement mis à la disposition des abonnés, comme les cartes de crédit ou les paiements par téléphone, l’EdH est à la traîne. Entre-temps, les Haïtiens attendent encore la matérialisation de la promesse du chef de l’État, Jovenel Moïse, d’électrifier le pays 24/24. L’échéance est arrivée à son terme il y a cinq mois, en juin 2019.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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