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Ces prisonniers haïtiens vendent des dessins pour payer leurs avocats

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L’argent récolté par la vente des cartes permet aussi leur survie, au pénitencier national

Dans la prison civile de Port-au-Prince, les détenus n’ont aucune activité qui les prépare à se réinsérer dans la société. L’environnement pénitentiaire est d’ailleurs à lui seul un châtiment. Selon une enquête menée sur cette prison, elle a été conçue pour 700 prisonniers, mais de nos jours, elle en loge plus de 4000.

La surpopulation carcérale et les mauvaises conditions de détention créent un climat de terreur au pénitencier national. Plusieurs détenus de ce centre expliquent que d’une manière ou d’une autre, le malheur les atteint toujours. « Dans la prison, les autres détenus te frappent, ils volent tes affaires. Parfois, ils s’entretuent. À la prison, on vit une douleur intense », déclare un détenu du Pénitentiel national.

C’est en partie pour cela qu’en 2017, un groupe de détenus a décidé de dessiner pour ne pas se laisser submerger par des idées de suicide et de vengeance. 

La naissance d’un projet

Au départ, les prisonniers voulaient dessiner leur situation exécrable dans la prison. Expliquer leur réalité. Mais ils se sont rendu compte qu’ils feraient mieux de donner une autre image de la prison. « Tout le monde sait que les conditions de détention sont à déplorer.  On en parle toujours dans la presse. Nous voulions donner des images positives des prisonniers », rapporte l’un des détenus qui ont fondé l’initiative. 

Ils ont alors eu l’idée de peindre la nature, la lune, le soleil et les étoiles. Mais selon le fondateur du projet, beaucoup de détenus n’ayant vu aucune de ces choses depuis plusieurs années se trouvaient dans l’impossibilité de les dessiner fidèlement. 

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Il fallait donc imaginer la nature, telle qu’ils la connaissaient avant d’être incarcérés. Les prisonniers ont commencé à dessiner des fleurs, des plantes, sur du papier bristol découpé en rectangle. 

C’est ainsi qu’est né le projet « Talan prizonye », comme ils l’appelaient au début. Étant donné que les objets tranchants sont interdits dans la prison, ce sont les proches des détenus qui ont la charge de découper le papier.

Puis, les prisonniers s’occupent du croquis, de la coloration et de tout le reste du travail à faire. Une vingtaine de cartes ont ainsi été créées, que les proches des artistes revendaient. Sur l’enveloppe d’une carte, on écrivait : « faites un don en achetant cette carte Katizana. Ceci permettra d’aider un plus grand nombre de détenus à bénéficier d’une assistance juridique. » 

Selon l’instigateur de l’idée, qui est encore en prison, cela se passe bien. « La société a embrassé le projet. On a recueilli beaucoup plus d’argent que ce qu’on espérait. De là, nous avons baptisé le projet Katizana, pour cartes et artisanat », raconte-t-il.

Se payer un avocat

Aujourd’hui, l’initiative Katizana donne du travail à une trentaine de personnes. Vingt détenus créent les cartes et un comité externe de dix membres les distribue. « Nous créons 1200 cartes par mois. Pour le moment, nous avons seulement deux points de vente à Port-au-Prince », rapporte Youvica Cherubin, la coordonnatrice du comité externe de Katizana.

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Le projet aimerait trouver à l’avenir beaucoup plus de points de vente pour pouvoir extraire ses membres de la prison. C’est le plus grand objectif de Katizana selon Chérubin, car la majorité des 20 membres qui sont incarcérés sont en détention préventive prolongée et n’ont pas les moyens pour payer les services d’un avocat. 

« Katizana à elle seule ne peut pas faire sortir un détenu de la prison. Cependant, nous avons déjà contribué à ce que deux de nos membres soient libérés », explique Youvica Chérubin. Selon la dame, 20 % des revenus que génère la vente des cartes sont alloués au suivi des dossiers des détenus qui composent l’initiative. 

Un ancien détenu de la prison civile de Port-au-Prince requérant l’anonymat, avoue que Katizana l’a aidé à sortir de ce centre carcéral. L’homme vient d’être libéré le 29 décembre 2020 après avoir passé 3 ans et quelques mois en prison. « Sans le projet, je ne pourrais pas compléter l’argent pour payer l’avocat », rapporte-t-il.

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Mais Katizana n’a pas seulement pour objectif de contribuer à la libération des détenus. Le projet veut aussi assurer la survie de ses membres qui ne sont pas encore libérés, pour qu’ils puissent poursuivre l’initiative.

«  50 % de nos revenus vont à la prise en charge des prisonniers. En cas de besoin, ils peuvent s’acheter de la nourriture et des kits hygiéniques. Il y a aussi une autre partie des revenus qui est allouée à l’achat de matériels, notamment du papier bristol et des crayons de couleur pour créer les cartes », explique Youvica Cherubin. 

Lovesky Josile, le responsable des relations publiques de Katizana, pense que ce projet permet de voir les talents des détenus. Il croit qu’il doit s’étendre à toutes les prisons du pays. 

Laura Louis

Dans le souci de protéger leur identité, l’ancien détenu et les autres détenus qui ont témoigné dans cet article n’ont pas dévoilé leur nom

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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