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Ces haïtiens qui habitent au cimetière de Port-au-Prince

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Le cimetière de Port-au-Prince n’est pas seulement la demeure des morts. Il loge aussi des jeunes et des vieux qui s’accrochent à la vie dans des conditions précaires

En rentrant au cimetière, l’on pourrait croire se trouver dans un de ces temples à Port-au-Prince où les gens viennent jeûner chargés de leurs colis et accompagnés de leurs enfants. « N’est-ce pas la fille de Marie Jeanne ? », hurle une dame à une fillette qui courait dans l’allée principale du cimetière. Tel un adulte qui veille sur la fille de ses voisins, madame jette un regard réprobateur à l’enfant si bien qu’elle met fin à sa ballade. Elle vient s’asseoir rapidement à côté de la dame où l’on peut voir des sacs empilés.

Dans tous les corridors que forment les caveaux, l’on voit sortir des gens comme s’ils sortaient de chez eux. Tranquilles, portant des tenues légères et des nu-pieds, ils discutent entre eux.

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Comme dans un quartier populaire en un jour de vacances, les hommes, jeunes et vieux s’installent en cercle pour une partie de dominos. Ils se régalent. Tout près de ces derniers, une dame vend des boissons gazeuses gardées dans une glacière. Pas de problème pour les déchets, on les glisse dans une ravine qui donne sous le cimetière.

Mais il n’y a pas que cette dame qui a installé son commerce au cimetière. À plusieurs endroits entre les caveaux, l’on observe des marchandes, des vendeurs de sachets d’eau, de cigarettes, de clairin et de bonbons qui arpentent le cimetière en quête d’acheteurs.

En rentrant au cimetière, l’on pourrait croire se trouver dans un de ces temples à Port-au-Prince. Photo: Frantz Cinéus

Les sœurs du cimetière

Solange Aurélien, Terlicia Lindor et Erda Chéry sont trois sans-abris qui ont déjà perdu la force de leur jeunesse. Ces dames aux cheveux grisonnants passent le plus clair de leur temps au cimetière. « Nous sommes des pauvres. Nous mendions notre pain », avance Chéry qui habite au cimetière depuis deux ans.

Chéry a la tête rasée. Elle porte un tee-shirt crème taché de tabac. Devant elle, il y a un sac qui contient des paquets de tabac. « Quand j’ai un peu d’argent, nous dit-elle, j’achète la demi-marmite de tabac pour 300 gourdes, je le revends en faisant des paquets de dix gourdes.  Mais durant la période lock, je ne trouve personne pour me donner de l’argent. J’ai déjà mangé tout l’argent du commerce et je n’ai plus de quoi acheter un nouveau stock», se lamente-t-elle, d’une voix nasillarde. Elle consomme aussi son tabac.

« Je vis dans les rues depuis très longtemps.  J’ai connu des épisodes difficiles dans ma vie, je ne peux pas en dire beaucoup plus », avance Chéry pour ne pas parler de sa jeunesse.

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Solange Aurélien frise la cinquantaine. Elle est de Léogâne, mais elle a grandi à Port-au-Prince. « À 15 ans, se rappelle-t-elle, mon père a perdu son emploi, ma mère ne travaillait pas. Mes parents m’ont donc envoyé vivre chez une famille à Port-au-Prince. » Cette famille a quitté le pays et a laissé la maison sous la responsabilité de Aurélien. « Cela n’a pas plu à certaines personnes qui plus tard ont convaincu les gens de me mettre à la porte. Depuis ce jour, je vis dans les rues. J’étais très jeune, peut-être dans la vingtaine», se souvient-elle. Aurélien semble timide, elle porte une casquette qui cache ses yeux quand elle parle.

Terlicia Lindor paraît la plus âgée de toutes. Elle a une bosse dans le dos. Son corps est frêle. Lindor est née à Jacmel, mais elle a grandi à Port-au-Prince. « Quand j’étais enfant, une sœur catholique prenait des enfants pour la pension, ce qui soulageait beaucoup de familles. Mais quand mes parents ont voulu m’inscrire, il était trop tard, la sœur avait déjà reçu le nombre d’enfants qu’elle voulait», nous raconte Lindor.

À 18 ans, Lindor a commencé à travailler en tant que femme de ménage. Après la naissance de ses deux enfants, elle a dû gagner les rues, car elle n’avait pas les moyens d’offrir un logement à sa famille.

À plusieurs endroits entre les caveaux, l’on observe des marchandes. Photo: Frantz Cinéus

Comment vit-on au cimetière?

Les trois femmes ont témoigné que le cimetière est le seul endroit où elles mènent une vie acceptable. « Nous venons toutes de localités différentes. Nous nous sommes croisées dans les rues. Nous avons réalisé que le cimetière est le meilleur asile qui puisse nous loger», dit Chéry.

Elles passent leur journée au cimetière, le soir elles vont dormir devant une église. « Nous allons devant la Cathédrale ou devant l’Église Saint-Joseph à La Saline », lance cette fois, Lindor. « Cependant durant la période lock nous avons eu peur de nous rendre dans ces endroits. Nous dormions ici au cimetière», ajoute Chéry.

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Certaines familles organisent régulièrement au cimetière des messes appelées « libéra » pour leurs proches décédés. La coutume veut que lors de ces cérémonies les gens donnent à manger aux pauvres et qu’elles leur donnent un peu d’argent. C’est ce qui aide ces dames et d’autres personnes qui vivent au cimetière.

« Les gens viennent souvent, ce qui fait qu’on trouve toujours à manger. Cependant à cause des moments difficiles que connait le pays, ces activités sont au ralenti. Nous demandons l’aumône à n’importe quel visiteur du cimetière. Nous nous aidons mutuellement comme des sœurs. Si j’ai de l’argent, je le partage avec elles, c’est ce qu’elles font aussi avec moi », explique Aurélien.

Si le tremblement de terre n’est pas la cause de l’installation de ces dames au cimetière, il a profondément bouleversé leur vie. Photo: Frantz Cinéus

Aurélien, Lindor et Chéry ont aussi leur agenda. « Nous allons prier le mardi à l’Église Saint-Yves de Delmas 5; le jeudi, nous allons à L’Église Saint Antoine à l’Avenue Poupelard. Les lundi, mercredi et vendredi nous restons ici. Cependant, les samedis vers midi nous allons sur la Grand-rue où des propriétaires de magasins nous donnent 25 ou 30 gourdes», lance fièrement Chéry. Elles font tous leurs trajets à pied.

Des mères marquées par le séisme du 12 janvier 2010

Si le tremblement de terre n’est pas la cause de l’installation de ces dames au cimetière, il a profondément bouleversé leur vie. « J’avais un fils unique de 17 ans. Le mardi 12 janvier 2010, son école a effondré et je ne l’ai jamais revu », se souvient Chéry.

Aurélien et Lindor ont eu chacune deux enfants qu’elles ont perdus durant le séisme. « Avant le séisme dit Lindor, nous vivions dans les rues avec nos enfants. Mais nous pensions qu’un jour notre situation pourrait s’améliorer. Mais aujourd’hui, nous n’avons aucun espoir. »

Quand elles mourront, ces dames ignorent ce qui adviendra de leurs corps. En attendant, elles vivent au jour le jour dans la demeure des morts.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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