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Ces grandes épidémies qui ont frappé Haïti

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La pandémie du Covid-19 terrasse le monde. En Haïti, 85 cas sont confirmés. Mais ce n’est pas la première épidémie qui a attaqué le pays. Certaines ont été bien plus meurtrières, et le sont encore

L’histoire de la nation haïtienne commence par une épidémie. Certains croient que sans cette maladie, les possibilités de l’armée indigène, face à celle de Napoléon, étaient infimes. La fièvre jaune, couplée à la malaria, a été une arme invisible, qui a déstabilisé l’ennemi.

Pour mater les insurgés de Saint-Domingue, l’empereur français avait confié une mission de haute importance à son beau-frère. C’était l’expédition Leclerc. Les troupes métropolitaines ne s’attendaient pas à l’épidémie de fièvre jaune. Le général Leclerc lui-même succomba à la maladie et fut remplacé par Rochambeau.

Cette fièvre était transmise par la piqûre d’un moustique, lui-même infecté après avoir piqué une personne porteuse du virus. Les symptômes de la maladie sont, entre autres : fièvre, maux de tête, yeux et peaux jaunes, nausées, vomissements et fatigue.

La plupart des gens infectés peuvent ne montrer aucun symptôme. La fièvre a une période d’incubation de 3 à 5 jours. Il n’y a aucun médicament contre cette fièvre. Seuls les symptômes peuvent être traités. Toutefois, il existe un vaccin très efficace qui protège à vie contre l’infection.

Comme un coronavirus…

L’influenza, appelée à tort grippe espagnole, est l’une des épidémies les plus meurtrières que le monde ait connues. Plus de 20 millions de personnes ont succombé à cette maladie. En Haïti, les premiers cas de cette maladie mortelle seraient retrouvés en 1918, trois ans après le début de l’occupation américaine du pays. Selon le médecin et historien Ary Bordes, cette grippe occasionna la fermeture des écoles.

Les données sur cette maladie et ses ravages dans le pays ne sont pas nombreux. Le département du sud, surtout la ville des Cayes, semble avoir été le plus touché. Plus de 3 000 personnes en seraient mortes, dans cette seule ville.

Dans son tirage du jeudi 21 novembre 1918, le quotidien le Matin, dirigé à l’époque par Clément Magloire, parle des « ravages » de la maladie dans cette ville. Selon le quotidien, les « nouvelles étaient terrifiantes ». En contraste, le lendemain 22 novembre, le journal notait que dans les autres villes du pays, particulièrement Port-au-Prince, l’épidémie s’en allait décroissant.

On ne sait pas combien de personnes ont contracté la grippe espagnole en Haïti. Mais en République dominicaine, les chiffres étaient élevés. En octobre 1919, quand les autorités dominicaines ont déclaré que l’épidémie était terminée, le pays voisin avait enregistré plus de 96 828 infectés et environ 1 654 morts. Pendant quelque temps, les frontières entre Haïti et la République dominicaine avaient même été fermées. Les Dominicains pensaient que l’épidémie leur était venue d’Haïti.

Comme la grippe se transmettait surtout par les voies respiratoires, le port de masques dans les lieux publics était recommandé. Mais, note Frank Moya Pons, docteur en histoire latino-américaine, le port des masques n’était pas très efficace pour empêcher la progression de l’épidémie.

La variole ou petite vérole

La variole ou petite vérole a frappé Haïti à différentes époques. Déjà sous l’administration de Jean Pierre Boyer, (1818-1843), on retrouve des traces de la maladie, selon l’historien Jean Ledan Fils. Puis, vers 1880, sous la Présidence de Lysius Félicité Salomon Jeune, une nouvelle vague a frappé Haïti. Cette fois, l’épidémie était meurtrière.

« On lui donnait le nom de Veret Salomon, explique Georges Michel, historien. C’était dans les années 1880. Au cimetière de Port-au-Prince, on avait réservé une section exclusive aux victimes, qu’on appelait cimetière des varioles. Mon arrière-grand-mère avait été infectée par cette maladie. »

D’après Jean Ledan Fils, au début, l’épidémie n’était pas prise au sérieux. « Elle fut même parodiée lors du carnaval, note-t-il. D’ici octobre, l’épidémie arriva en force à la capitale. On comptait jusqu’à 60 morts par jour. Le décompte final était de plus de 4 000 morts selon le président du jury médical haïtien. » Finalement, une grande campagne de vaccination aura raison de l’épidémie.

En 1920, la variole recommença. Selon Georges Corvington, dans le tome 3 de Port-au-Prince au cours des ans, c’est le 22 septembre 1920, environ deux ans après le pic de grippe espagnole, que les premiers cas ont été découverts. Une polémique s’en est suivie, quant au diagnostic des cas suspects. Certains médecins affirmaient que c’était la variole, sous sa forme virulente. D’autres au contraire estimaient qu’il s’agissait de l’alastrim, une variante peu mortelle de la variole.

Corvington rapporte que dans la seule première quinzaine du mois de novembre, plus de 200 cas avaient été répertoriés à Port-au-Prince. D’après un rapport de l’OPS, plus de 60 % de la population du pays étaient touchés pendant cette épidémie, mais la mortalité n’était pas très élevée.

D’un autre côté, l’Église catholique a un rapport particulier à la petite vérole. D’après le clergé, c’est un miracle qui aurait arrêté l’épidémie en 1881. Une icône de la Vierge Marie, introduite dans le pays par un prêtre, coïnciderait avec le déclin de la maladie, jusqu’à sa disparition. Grâce à cette croyance, l’Église catholique a consacré le pays à Notre-Dame du perpétuel secours. Elle organise régulièrement une procession pour célébrer la fin de la variole.

Le paludisme encore actif

Haïti est l’un des seuls pays de la région où la malaria existe encore à l’état endémique. Le pays, avec la République Dominicaine, dispose d’un programme national de lutte contre la malaria, et prévoyait de l’éradiquer au cours de l’année 2020. Bien que des progrès ont été observés dans cette lutte, beaucoup restent encore à faire.

D’après un rapport statistique du MSPP, datant de 2017, les cas confirmés de paludisme sont passés de 7 013 en 2015 à 13 189 en 2016, soit une augmentation de 88 %. Au cours de cette même année, environ 65 931 cas suspects de malaria ont été reportés.

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Quant aux cas confirmés, de 1962 à 1987, soit 25 ans, ils sont plus de 70 000. Cependant, la tendance semble être à la baisse. De janvier à septembre 2019, 4 603 cas de malaria étaient confirmés, dont 5 décès. C’était une diminution de 19 % par rapport à la même époque, en 2018.

L’un des traitements les plus utilisés contre la malaria en Haïti est la chloroquine. Des laboratoires haïtiens, 4C et Farmatrix ont la capacité d’en produire, sous forme de comprimés ou de sirop.

Débats sur le SIDA

L’histoire du SIDA en Haïti a connu de grandes controverses. La principale a été son origine. Pendant longtemps, les médias du monde ont assuré que l’épidémie était née en Haïti, et que de là, elle s’était répandue dans le reste du monde. On parlait même des quatre H, qu’on associait au SIDA : Haïtiens, homosexuels, hémophiles, héroïnomanes. Les observations montraient que beaucoup d’immigrés haïtiens aux États-Unis vers les années 1980 portaient les germes de la maladie.

En 2007, le professeur Michael Worobey, de l’Université de l’Arizona, aurait apporté des preuves scientifiques confirmant que le pays a été le principal foyer de propagation du SIDA dans le monde, principalement aux États-Unis. Dans cette étude, Worobey affirme : « … nous avons découvert que [le virus] a été introduit en Haïti vers 1966 (1962-1970), venant d’Afrique. Le virus s’est propagé dans le pays pendant quelques années avant d’être exporté ailleurs. »

Pour Georges Michel, c’est vers les années 1980 que le virus a été introduit dans le pays. « Il a probablement été introduit par les touristes homosexuels, dit-il, car à l’époque le pays était une destination du tourisme sexuel. »

Lire également: Pourquoi un nombre élevé de prisonniers haïtiens sont infectés du VIH ?

Un homme en particulier a pendant longtemps été désigné coupable de l’expansion du SIDA aux États-Unis. Il s’agit de Gaétan Dugas, un Franco-canadien, travaillant dans une compagnie d’avion. Ce grand adepte du tourisme sexuel aurait plus de 250 partenaires sexuels à l’année. Il aurait visité Haïti. De là, il aurait apporté la maladie aux Américains, surtout homosexuels.

Cependant, l’étude de Michael Worobey fait croire que bien avant Gaétan Dugas, il y avait des cas de SIDA aux USA.

La thèse de Worobey a fait des remous considérables. Certains ont trouvé des failles dans l’étude qu’ils estiment discriminatoires.

Quoiqu’il en soit, le SIDA a fait des ravages dans le pays. En 2018, environ 160 000 personnes vivaient avec le VIH en Haïti. Parmi elles, il y avait environ 8 700 enfants de moins de 14 ans.

Aujourd’hui, les traitements antirétroviraux sont disponibles, pour aider les malades à vivre à peu près normalement. Mais l’épidémie n’est pas encore éradiquée. Encore en 2018, on comptait encore plus de 7 300 nouvelles infections dans le pays.

La controverse du choléra

Le virus du choléra est la dernière grande épidémie dans le pays. Les projections de la communauté internationale prévoyaient des centaines de milliers de morts. Plus de 800 000 personnes auront attrapé la maladie, mais toutes ne sont pas mortes. Cette épidémie a été introduite dans le pays par les Casques bleus des Nations Unies, selon les spécialistes. Les soldats népalais l’auraient apportée avec eux, dans le cadre de la coopération de leur pays avec la Minustah.

La thèse de l’origine onusienne a longtemps été combattue, en faveur d’une thèse environnementale. Selon les tenants de la thèse environnementale, le choléra était déjà présent dans le pays, dans la nature. Il aurait simplement été « réactivé ». Cette explication avait l’avantage de dédouaner les Nations Unies.

Lire aussi: Le choléra a disparu d’Haïti, confirment des experts

L’épidémie de choléra a commencé à Mirebalais, près de la base des Casques bleus. Les matières fécales des soldats avaient contaminé la rivière Meille, un affluent du fleuve Artibonite. Les riverains buvaient cette eau régulièrement, et s’en servaient pour leurs activités quotidiennes.

 «C’est une honte pour nous, en tant que peuple, qu’en 2010, des gens buvaient encore de l’eau directement d’un fleuve. Si vous déversez dans un autre pays la même quantité de bactéries du choléra déversée dans le fleuve Artibonite, il n’y aura probablement pas d’épidémie de choléra dans ce pays », déclare Jean Hugues Henrys, médecin en première ligne contre l’épidémie de choléra.

Des victimes de l’épidémie ont porté plainte collectivement contre l’ONU en novembre 2011. Les Nations Unies, bien qu’ayant reconnu leur rôle, et présenté leurs excuses par la voix de l’ex-secrétaire général Ban Ki Moon, refusent d’assumer leur responsabilité. L’État haïtien, regrette Mario Joseph, l’un des avocats des victimes, ne s’engage pas assez aux côtés de celles et ceux qui cherchent réparation.

D’un autre côté, Jean Hugues Henrys et Renaud Piarroux, autre chercheur qui a contribué à la lutte contre l’épidémie dans le pays, pensent que la maladie a disparu d’Haïti.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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