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Beny chans, beny giyon… Beaucoup d’Haïtiens se « purifient » par des bains mystiques

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« Tous les bains, religieux ou pas, ont leur propre dimension spirituelle »

Marie-Claire est chrétienne, de confession protestante. Tous les ans, en début d’année scolaire, elle prépare un bain spécial pour son fils qui va encore à l’école primaire.

Dans une large cuvette, elle verse de l’eau qu’elle mélange à des feuilles de papaye, d’orange, etc., cueillies pour la plupart dans sa petite cour. Ce bain, Marie-Claire le fait en secret. En raison de sa foi chrétienne, elle refuse que l’on sache qu’elle a recours à cette pratique. C’est aussi pour cela qu’elle choisit de s’exprimer sous couvert d’anonymat.

L’anthropo-sociologue Jowel Erns Jean Pierre tente d’expliquer cette attitude à partir de ce qu’il appelle « un gêne social ». Selon lui, en plus des pasteurs et des prêtres qui ont souvent tendance à diaboliser la pratique du bain, il y a les jugements rabaissants sur le Vodou. Cela pousse plus d’un à ne pas s’assumer.

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Pourtant, pour Erol Josué, hougan et directeur du Bureau national d’ethnologie, le bain va au-delà du Vodou. Pour le comprendre, il importe de saisir avant tout le rapport de l’Haïtien et du vodou avec l’eau.  

Plus que le Vodou

Jeter trois gouttes d’eau devant sa porte ; Recueillir de l’eau de la première pluie de l’année pour que toute la famille puisse se laver ; Chauffer de l’eau sous un soleil de midi pour donner un bain à une personne malade. Ce sont autant de pratiques mystiques  qui font partie de la culture haïtienne.

Mais le bain a commencé avec la création de l’humanité, selon Erol Josué. « Avant de respirer dans l’air, on respirait dans l’eau », soutient-il, en référence au fœtus plongé dans le liquide amniotique, dans le ventre de sa mère.

De plus, il existe des bains qui ne sont pas forcément religieux. Par exemple, celui que prépare une mère pour son enfant malade. Ce sont en général des bains traditionnels, que les parents laissent en coutume aux enfants. On les appelle leve jwenn. Ce ne sont pas des rituels, mais ils font partie de la société et constituent notre héritage, poursuit le vodouisant.

Elle dépend de ce que l’on veut, de quel esprit nous demande de prendre le bain, de ce qu’il réclame et du bitasyon d’où l’on vient

Ainsi, que l’on mette uniquement des feuilles dans de l’eau, sans rien faire de plus, ou bien qu’on fasse des kilomètres pour prendre son bain dans sa ville de naissance, ce n’est pas le plus important. « Tous les bains, religieux ou pas, ont leur propre dimension spirituelle », explique Erol Josué. Ils sont destinés à laver le corps et l’âme, à se purifier.

Différents types

James Pierrevil, père de dix enfants, à la fois catholique et vodouisant, sait tout ce dont il a besoin pour son bain : sept mauvaises feuilles, comme celles du bois de cèdre, sept bouteilles de « mauvaises eaux », un gallon d’eau de mer, une calebasse verte, un sabot de bœuf, une barre de savon de lessive, une tête et une queue de hareng sel…

La liste est longue et n’est pas la même pour tous. « Elle dépend de ce que l’on veut, de quel esprit nous demande de prendre le bain, de ce qu’il réclame et du bitasyon d’où l’on vient, explique Erol Josué. Et dépendamment de qui il s’agit, le rituel ainsi que le lieu peuvent varier ».

Il n’y a donc pas un seul esprit responsable des bains. Dans le cas de Pierrevil, il s’agit d’Erzulie. Par conséquent, son bain aura lieu soit un mardi, soit un jeudi.

Dessin de Pyelila

Le bain de James Pierrevil est censé lui porter chance, mais il existe d’autres types de bains pour les adeptes. Ainsi, après une année parsemée de rudes épreuves, le beny giyon est le plus indiqué. Il est également appelé beny vèvenn parce qu’il est préparé avec des feuilles de verveine, une plante très prisée en Haïti, qu’on infuse souvent pour soigner différents malaises.

Ce bain prétend chasser les mauvais sorts, et aider à réussir dans ses entreprises. « Pour le prendre, on se rend sur notre lieu de vie, qui est l’endroit où notre cordon ombilical est enterré», explique Jowel Jean Pierre.

Certains bains sont assez chers à préparer, car ils demandent des ingrédients qui ne sont pas toujours à bon marché, comme du champagne, du vin blanc ou du parfum. 

Le poids du temps

Le temps est un aspect important dans les bains. Dans sa cuvette, Marie-Claire prépare sa concoction qui ne sera utilisée qu’une fois chauffée au soleil de midi. Le 26 janvier prochain, jour de son anniversaire, James Pierrevil prendra le sien à minuit. « C’est le cadeau d’anniversaire que je me fais tous les ans », dit-il.

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L’heure est aussi importante parce que les esprits vivent dans un univers très temporel, tente d’expliquer Erol Josué. Du coup, il y a des bains à prendre à midi, d’autres qui utilisent des feuilles qui ont été exposées pendant sept jours à la rosée, et sept jours au soleil. D’autres encore doivent contenir des feuilles qui ont été cueillies le soir, ou de préférence le matin.  

Par ailleurs, des bains comme le beny vèvenn ou le beny madyòk sont liés à une collectivité, un lakou, un perystil. Ainsi, même quand elles ne seront pas toutes les bénéficiaires du bain, plusieurs personnes y participent.

« Pour aller cueillir les feuilles dans les bois, raconte Jean Pierre, on organise une sortie en bande, qu’on appelle rara ». 

Les bains sont en général renouvelables à intervalle plus ou moins régulier.

« Accompagnée » par l’esprit dénommé Ganbwa, la bande s’en va chercher toutes sortes de feuilles. Pour chaque feuille cueillie, les initiés prononcent des paroles qui ne sont connues que d’eux-mêmes, et qui comptent encore plus que les feuilles elles-mêmes.

Au retour, les feuilles sont mises dans des mortiers. Tous viennent les écraser à tour de rôle. À minuit, ceux qui sont concernés avancent pour prendre leur bain.

Les bains sont en général renouvelables à intervalle plus ou moins régulier. Mais parfois, certains attendent des années avant de le renouveler, soit parce qu’ils estiment qu’il n’est plus nécessaire, soit parce celui qui l’a préparé le leur a demandé.

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À la période des fêtes de fin d’année, on prend le beny Makaya considéré comme un devoir de mémoire, d’après Erol Josué.

Plus mystique que les autres, ce bain est historique aussi. « Il porte le nom de Makaya qui était un marron qui a lutté contre le système esclavagiste aux côtés de Makandal », explique Jean Pierre.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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