Justice

Après la mort du juge René Sylvestre, la justice haïtienne risque le dysfonctionnement total

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Le décès du magistrat Sylvestre augmente le nombre de sièges vacants à la Cour de cassation. Sous peu, les juges restants ne pourront pas siéger en session ordinaire.

Le juge René Sylvestre est mort le mercredi 23 juin 2021. Ses funérailles auront lieu le 7 juillet. Testé positif au coronavirus, René Sylvestre qui présidait à la fois la Cour de cassation et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) depuis février 2019, a succombé des suites de complications respiratoires à l’hôpital universitaire de Mirebalais. Son remplacement est plus que nécessaire pour assurer le fonctionnement habituel de l’appareil judiciaire, déjà boiteux.

Marquée par des grèves à répétitions et des revendications de tout genre, la justice haïtienne n’a pas fonctionné pleinement durant le mandat du magistrat René Sylvestre, qui cumule 28 ans de carrière dans l’appareil judiciaire haïtien. La nouvelle de son décès enfonce davantage la justice haïtienne dans la paralysie.

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L’article 175 de la Constitution de 1987 et l’article 28 de la loi portant statut de la magistrature confèrent au Sénat le pouvoir de combler les postes vacants à la Cour. Mais cette institution est elle-même dysfonctionnelle depuis le 12 janvier 2020. 

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) est aussi affecté par le départ du magistrat Sylvestre. Le mandat de tous les juges composant cette institution est arrivé à échéance le 3 juillet 2021. 

La Cour de cassation va mal

La Cour de cassation est la plus haute cour de justice en Haïti et le tribunal de dernier ressort. Elle a pour mission de veiller à l’observation des lois en vigueur et joue aussi le rôle de la Cour constitutionnelle par exception.

La Cour est composée de douze membres suivant les prescrits de la loi du 16 juillet 1954. À date, il ne reste que six membres à la Cour de cassation. Il s’agit du vice-président Jean-Claude Théogène et des magistrats Barthélemy Alténor, Louis Pressoir Jean-Pierre, Franzi Philémon, Jean Joseph Lebrun et Kesner Michel Thermési.

Selon le décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire, en cas d’absence ou d’empêchement du président de la Cour de cassation, c’est le vice-président, ou à défaut de celui-ci le juge le plus ancien, qui assure l’intérim en attendant qu’un autre juge soit nommé président. Mais il est impossible que les magistrats se réunissent avec cet effectif réduit. 

«Il faut au minimum un quorum de sept juges. Ce qui était possible avant la disparition du magistrat René Sylvestre », précise le juge Martel Jean Claude, président de l’association professionnelle des magistrats (APM).

Une entité en crise

La Cour de cassation est une institution en crise depuis février 2019, fait remarquer le juge Jean Wilner Morin, ex-président de l’association nationale des magistrats haïtiens (ANAMAH). En effet, le président de la République, Jovenel Moïse, avait jugé nécessaire de mettre fin à la présidence du juge Jules Cantave à la tête de la Cour en le remplaçant par le juge René Sylvestre.

Cette nomination a été annoncée par un arrêté présidentiel datant du 18 janvier 2019 et publié dans le journal Le Moniteur le jour même de l’installation du juge René Sylvestre, soit le 1er février 2019. Étant donné que le juge Cantave a été démis de ses fonctions et remplacé de son poste, le Cour était déjà réduite à onze membres. Les raisons de cette révocation demeurent inconnues.

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De plus, la décision du président Jovenel Moïse de mettre à la retraite en février 2021 trois juges de la Cour de cassation, complique la situation de cette institution qui est passée d’un coup de onze membres à huit.

Le nombre de sièges vacants à la Cour de cassation a augmenté après le décès du juge Sténio Bellevue en mai 2021 et celui du juge René Sylvestre.  « Avec les six membres restants, seule la session ordinaire de la Cour a la capacité de siéger avec cinq juges réunis », fait savoir Martel Jean Claude.

Vers un dysfonctionnement

Parmi les six juges restants à la Cour de cassation, le mandat de trois d’entre eux prendra fin en 2022. «Il s’agit du juge Lionnel Pressoir Jean Pierre, Kesner Michel Thermési et Franzy Philemon », informe Martel Jean Claude.

Cette situation va entraîner un dysfonctionnement à la Cour, puisqu’il n’y aura pas de quorum pour se réunir en session ordinaire. La Cour n’aura légalement pas la capacité d’entendre une affaire avec un effectif aussi réduit. 

La procédure de nomination d’un juge à la Cour de cassation est tracée par la loi portant statut de la magistrature. « Pour être nommé juge à la Cour, le magistrat devrait être qualifié dans le processus d’appel à candidature lancé par le Sénat de la République », explique le juge Jean Wilner Morin.

Après analyse des dossiers, le Sénat procède au vote pour faire choix d’une liste de trois candidats par poste à pourvoir. La liste des candidats qualifiés est ensuite acheminée vers la présidence qui, à son tour, la transfère au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) pour un travail de vérification. Après vérification, la CSPJ émet un avis favorable pour les juges ayant rempli les critères demandés.

Chef de la nomination

Par arrêté, en février 2021, le président Jovenel Moïse avait nommé les citoyens Octélus Dorvilien, Louiselmé Joseph et Pierre Harry Alexis juges à la Cour de cassation. Les robes noires de la Cour ont refusé la prestation de serment de ces trois nouveaux juges parce que leur nomination n’était pas conforme aux procédures exigées par la loi.

Bien que le CSPJ soit un organe de contrôle et d’administration en matière judiciaire, il n’a pas le pouvoir de nomination. Son rôle est de surveiller les juges, la performance des tribunaux et prendre des mesures pour éviter des cas de corruption, de malfaisance, d’incompétence, entre autres.

« Le président de la République est le chef de la nomination. Il fait choix des juges ayant l’avis favorable du CSPJ pour constituer les 12 membres de la Cour. Ainsi, c’est lui qui nomme le président, le vice-président parmi les juges qui lui sont proposés », déclare Jean Wilner Morin.

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À présent, la procédure de nomination des juges à la Cour de cassation est pratiquement impossible puisque le Sénat est dysfonctionnel. Jean Wilner Morin estime que la situation de la justice haïtienne est très critique: « Depuis un certain temps, les tribunaux de première instance ne fonctionnent presque pas dans le pays. Voilà que maintenant les organes de contrôle et de régulation, chargés de jeter un œil sur l’appareil judiciaire sont tous dysfonctionnels ».

Le CSPJ est aussi touché

L’implantation du CSPJ en 2012, constitué après sept ans de retard, était considérée par les acteurs du système comme une occasion pour que la justice soit indépendante des autres pouvoirs. La création de cet organe passe d’abord par le décret du 28 décembre 2005 puis par la loi du 13 novembre 2007.

« Dans ce nouveau système, c’est le juge qui délègue ses représentants pour administrer le pouvoir judiciaire. Dans le temps, c’était le ministère de la Justice qui avait ce rôle de désignation. Or le ministre de la Justice est le représentant du pouvoir exécutif », relate Martel Jean Claude.

Selon ses dires, le CSPJ est composé de neuf membres selon le vœu de l’article 4 de la loi du 13 novembre 2007. Le président de la Cour de cassation et le vice-président de cette Cour assurent respectivement le rôle de président et de vice-président du CSPJ.

Les autres membres sont composés du commissaire du Gouvernement auprès de ladite cour, d’un juge de la Cour d’appel, d’un juge des tribunaux de première instance, d’un commissaire du Gouvernement choisi par le ministre de la Justice, d’un juge de paix choisi par ses pairs, d’un représentant des organisations de la société civile et d’un avocat désigné par l’assemblée des bâtonniers en exercice.

« Le mandat de trois ans des juges nommés à la CSPJ a pris fin le 3 juillet 2021. En principe, la CSPJ n’existe plus à partir de cette date, fait savoir Martel Jean Claude. Les conseillers étaient tous nommés à la tête de cette institution essay writer depuis 2018. »

Le CSPJ était alors composé des magistrats René Sylvestre, Pressoir Jean Pierre, Durin Junior Duret, Noé Pierre Louis Massillo, Clamé Ocnam Daméus, Nadert Désir, Chenet Jean Baptiste, Chesnel Fils Lovy, et Jean Robert Constant.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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