L’institution dirigée par Hans Jacques Ludwig Joseph affirme cependant avoir déclaré lors d’un appel téléphonique aux autorités canadiennes que l’argent utilisé par Rony Celestin pour acheter une villa de 4,2 millions de dollars ne provenait pas de la corruption
L’an dernier, Rony Célestin, l’un des dix sénateurs restants au Grand Corps, et sa femme Marie Louise Célestin se sont offert une villa à Laval, au Canada, au prix de 4,25 millions de dollars américains.
L’acquisition de cet immeuble luxueux avait poussé l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) à déclencher une enquête sur la provenance des richesses du sénateur et de sa femme, selon les informations relayées par le média canadien La Presse.
« L’enquête a été complétée récemment et l’ULCC a jugé qu’il n’y avait aucun signe d’enrichissement illicite dans les finances du couple », lit-on dans un article du journal sorti en juillet 2021.
…une villa à Laval, au Canada, au prix de 4,25 millions de dollars américains.
L’ULCC dément ces informations à AyiboPost. L’institution affirme que l’enquête sur le sénateur Rony Célestin, en ce qui a trait à son patrimoine, est en cours de finalisation.
« Il n’y a jamais eu de rapport d’enquête concernant Rony Célestin disponible à l’ULCC. D’ailleurs, tous les rapports de l’ULCC sont publics. Il ne peut pas y avoir un rapport confidentiel », se défend Me Daniel Jean, responsable de communication à l’ULCC.
L’ULCC déclare avoir été contacté par la justice canadienne et par un journaliste canadien pour savoir si Rony Célestin avait détourné des fonds publics pour l’achat de l’immeuble. L’ULCC confirme avoir répondu après vérification lors d’un appel téléphonique que le sénateur n’avait pas utilisé les fonds publics. Le journaliste et les autorités canadiennes devaient, selon l’ULCC, contacter l’Unité centrale des renseignements financiers (UCREF) pour des enquêtes plus approfondies.
Il ne peut pas y avoir un rapport confidentiel.
– Me Daniel Jean
Des doutes persistent sur la nouvelle version des faits racontée par l’institution de lutte contre la corruption. Me Samuel Madistin de la Fondation Je Klere soutient que l’ULCC avait passé aux avocats de Rony Célestin un rapport d’enquête favorable dans ce dossier. « Lorsque j’ai appelé le directeur de l’ULCC, Hans Jacques Ludwig Joseph, il a refusé de me transférer le document sans pour autant nier son existence », révèle le défenseur des droits humains à AyiboPost.
Ce scandale ressurgit en novembre 2022 en marge de la communication par le Canada de sanctions contre huit personnalités politiques haïtiennes, accusées d’être impliquées dans des violations des droits de la personne dans le pays. Gel des avoirs et interdictions de voyage sont, entre autres, les mesures appliquées contre ces personnalités accusées pour certains de trafic illicite de drogue, de corruptions, de blanchiment des avoirs et de financement d’activités de gangs armés.
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Le nom de Rony Célestin figure sur la liste à côté de l’ancien président Michel Martelly, son ex premier ministre Laurent Lamothe, l’ancien sénateur du Sud, Hervé Foucand ou l’ancien président de la Chambre des députés, Gary Bodeau.
Des doutes persistent sur la nouvelle version des faits racontée par l’institution de lutte contre la corruption.
Comme le Canada, les États-Unis ont annoncé des sanctions contre Joseph Lambert et Youri Latortue, respectivement président du sénat et ancien sénateur.
Ces dénonciations peuvent aider le système judiciaire haïtien à ouvrir une enquête judiciaire sur les personnes sanctionnées, explique l’avocat Frantz Gabriel Nerette.
Hier 24 novembre, la ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Emmelie Prophète Milcé, a indiqué que le gouvernement haïtien va chercher la meilleure formule afin d’avoir accès aux dossiers des personnes sanctionnées. Elle prenait part à un atelier sur la chaîne pénale, rapporte Le Nouvelliste.
La tâche ne sera cependant pas facile. Depuis juin 2021, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire n’avait pas de président, après la mort du chef de la Cour de cassation, Me René Sylvestre.
Le gouvernement haïtien va chercher la meilleure formule afin d’avoir accès aux dossiers des personnes sanctionnées.
Jean Joseph Lebrun a été installé par le Premier ministre Ariel Henry comme nouveau président de la Cour le 22 novembre 2022. Il admet dans son discours que « les défis à relever sont gigantesques. Notre société est malade. Notre justice l’est aussi ». Il n’a pas répondu aux demandes d’interview d’AyiboPost.
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Les sanctions internationales ne sont pas toujours efficaces. Le cas du président vénézuélien, Nicolas Maduro et celui de la Russie, Vladimir Poutine, en est un exemple. Ces chefs d’État subissent régulièrement des vagues de sanctions notamment des États-Unis et de l’Union européenne. Au lieu de les affaiblir politiquement, ces punitions semblent parfois susciter une certaine sympathie populaire à leur égard.
Les choses se déroulent différemment dans le cas d’Haïti. Au lieu de soulever la grogne populaire, beaucoup d’Haïtiens s’emballent notamment sur les réseaux sociaux, pour les sanctions infligées aux personnalités influentes de la classe politique du pays.
Les sanctions internationales ne sont pas toujours efficaces.
Si ces décisions entraînent des poursuites légales, les politiciens haïtiens seront prudents à l’avenir pour ne pas s’impliquer dans des cas de malversations, estime le spécialiste en relation internationale, James Osné.
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Au-delà de leurs implications juridiques, les sanctions conservent un aspect politique. Dans une entrevue accordée à Télé 20 le 8 novembre 2022, le chargé d’affaires des États-Unis en Haïti Éric Stromayer parle de la poursuite d’une « reforme » dans le comportement des politiciens visés.
Rien n’indique si les individus en cause cesseront les activités alléguées sans des décisions de justice assorties de peines concrètes pour les torts causés à la société.
Photo de couverture : Le sénateur Rony Célestin | © MIROIRINFO
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