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Les gangs incendient des dépôts de céréales et des plantations agricoles dans l’Artibonite

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Ces attaques font craindre une amplification de l’insécurité alimentaire à laquelle faisait déjà face cette importante région agricole du pays

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Lorsque la police est retournée à Liancourt en novembre 2024, de nombreux paysans, forcés de fuir quelques mois auparavant, ont regagné leurs terres dans l’espoir de reprendre leurs activités agricoles.

Mais de nouvelles offensives des gangs, en juillet dernier, les ont poussés à fuir une nouvelle fois, abandonnant leurs plantations, leurs dépôts de céréales et leurs maisons.

Deux d’entre eux, revenus sur les lieux en septembre dernier, rapportent à AyiboPost avoir constaté l’incendie de plusieurs dépôts et moulins.

Ce, dans un contexte où cette importante région agricole de l’Artibonite fait face à une insécurité alimentaire croissante, tandis que de nombreuses familles déplacées vivent dans des conditions très précaires.

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«Les gangs ont détruit des plantations, pillé ou incendié plusieurs dépôts. Ils ont même utilisé des sacs de riz et de maïs pour ériger des barricades dans les rues», rapporte à AyiboPost Valdo Jean, journaliste et technicien agricole résidant à Liancourt.

D’autres épisodes de destructions similaires ont été observés au début du mois d’octobre dans la commune de L’Estère.

Des membres du gang « Kokorat san ras » ont mis feu à des plantations de riz et tué plusieurs personnes. Des centaines de résidents ont dû quitter la zone pour fuir leur fureur.

Si aucune évaluation officielle n’a encore été communiquée par les autorités, une dizaine de producteurs de cette zone à forte production rizicole du pays, joints par AyiboPost, font état de pertes évaluées parfois à plusieurs centaines de milliers de gourdes.

«Les gangs ont détruit des plantations, pillé ou incendié plusieurs dépôts. Ils ont même utilisé des sacs de riz et de maïs pour ériger des barricades dans les rues», rapporte à AyiboPost Valdo Jean, journaliste et technicien agricole résidant à Liancourt.

Depuis 2022, ce professionnel en carrelage de 38 ans, cultivait quatre parcelles de terre en riz à L’Estère.

Lors de l’attaque menée par les gangs le 15 octobre, il voit sa plantation qui lui procurait habituellement une cinquantaine de sacs de riz partir en fumée.

« Notre jardin était prêt à être récolté », fait-il savoir.

Les bandits ont également assassiné des travailleurs puis blessé d’autres personnes, rajoute le père de deux enfants.

Pour cette saison, l’homme affirme avoir dépensé près de 70 000 gourdes notamment pour l’achat des plants et des engrais.

« Les bandits se sont introduits dans ma rizière, ont arraché puis incendié le riz avant de tuer deux personnes qui travaillaient dans le jardin », témoigne un agriculteur à AyiboPost.

« J’ai perdu un gain potentiel estimé à près de 200 000 gourdes », précise le père de famille qui dit s’indigner face au contexte sécuritaire actuel.

Wilgens, de son côté, est membre de « Kowalisyon », une brigade d’autodéfense dans la commune de Liancourt luttant contre les gangs.

Lors des attaques de ces derniers sur les plantations, ils ont incendié ses quatres parcelles plantées en riz. Une perte qu’il évalue à 250 000 gourdes environ.

« Les bandits se sont introduits dans ma rizière, ont arraché puis incendié le riz avant de tuer deux personnes qui travaillaient dans le jardin », témoigne t-il à AyiboPost.

Les criminels ont aussi brûlé sa maison, celle de sa tante et de sa cousine.

Lire aussi: Artibonite : les agriculteurs forcés d’abandonner leurs terres face aux gangs armés

Les agriculteurs de l’Artibonite font face à cette intensification des activités des gangs au moins depuis 2018.

Des reportages menés par AyiboPost, ainsi que des rapports d’institutions internationales, montrent que de nombreux cultivateurs ont dû fuir pour s’installer ailleurs au cours des dernières années, abandonnant leurs terres.

Ceux qui sont restés continuent de cultiver à la merci des gangs armés, qui volent leur bétail, partagent les récoltes et imposent des taxes sur l’eau destinée à l’arrosage.

L’annonce du déploiement d’agents de la force multinationale dirigée par le Kenya, aux côtés de la Police nationale à la fin de l’année dernière, n’a pas permis d’enrayer cette violence.

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Depuis la mi-juillet, une récurrence d’attaques directes contre les récoltes et les dépôts de céréales a été observée à Liancourt par le cultivateur Valdo Jean.

Lorsque les gangs se sont emparés de la localité de Payen, dans cette commune, ils ont dérobé puis incendié plus d’une demi-douzaine de dépôts et de moulins, détruisant ainsi des centaines de sacs de céréales.

De plus, rajoute Jean, une bonne partie des grains non brûlés est en train de germer dans les dépôts sous l’effet de l’humidité et de la pluie.

L’homme explique avoir rencontré certains des propriétaires de ces dépôts qui souffrent actuellement de la faim dans des camps de fortune.

«La situation est difficile ici. Si rien n’est fait, on risque de connaître des jours encore plus sombres», explique Valdo Jean, qui affirme lui-même avoir perdu sa plantation de riz évaluée à près de 50 000 gourdes.

Jour après jour, les gangs Kokorat san Ras, Gran grif et plus récemment Taliban, basé à Canaan, intensifient leur règne de terreur dans le bas Artibonite.

Ils tuent, détournent des camions, et enlèvent des gens à Dessalines, L’Estère, Liancourt et à Petite Rivière de l’Artibonite.

Classé groupe terroriste étranger par les Etats-unis en mai 2025, Gran grif a été responsable de 80 % des décès civils dans l’Artibonite depuis 2022.

Face à l’absence de résultats des initiatives des autorités, la population compte sur une brigade d’autodéfense qui tente de résister.

Mais cette brigade est souvent accusée d’utiliser sa force contre des membres de la population.

En juin dernier, le gang Taliban, dirigé par Jeff Gwo Lwa, a attaqué la commune de La Chapelle, limitrophe de Mirebalais, déjà visée par ce même groupe trois mois auparavant. Les assaillants ont détruit des biens et incendié des maisons.

Avant de passer à l’offensive, ils s’étaient déjà installés dans la ville, indique un entrepreneur de la zone joint par AyiboPost.

« Des panneaux portant l’inscription Taliban ont été identifiés dans plusieurs rues de la commune deux semaines avant l’attaque », poursuit-il. Cet entrepreneur a fui le centre-ville le 25 juin 2025. Il a traversé le fleuve Artibonite pour trouver refuge.

Le 26 juin, le chef de gang Jeff Gwo Lwa laisse son fief à Canaan et arrive à La Chapelle pour marquer son emprise sur la zone.

Dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, il se vante d’en avoir pris le contrôle. Les résidents des zones avoisinantes, notamment Martineau, Charrier et Désarmes, se sont déplacés de manière anticipée, craignant les menaces des bandits armés. Ces déplacements ont encore augmenté le nombre de personnes déjà déplacées dans la région.

Selon la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), près de six millions d’Haïtiens se trouvent actuellement en situation de crise alimentaire aiguë.

L’Artibonite, communément appelé le grenier d’Haiti et qui produisait près de 80 % du riz dans le pays, a été classée comme zone faisant face à une urgence alimentaire par la CNSA.

«Cela m’écœure de recevoir des appels de producteurs qui m’expliquent avoir fui leur domaine, perdu tous leurs biens et se voir contraints de mendier pour survivre», ajoute Joseph.

«Cela a tout l’air d’un complot pour détruire définitivement notre production nationale. Dans tous les domaines de production, on constate la même tendance à la destruction», analyse à AyiboPost Bertha Joseph, coordinatrice du Groupe de recherche et d’appui à la production nationale (GRAPNA),  regroupant une centaine d’organisations paysannes à travers le pays.

Visionner aussi: Latibonit : Gang ame yo lage depatman an nan yon kriz alimantè grav | AyiboLab

La responsable cite en exemple le village artistique de Noailles, abandonné par les artistes à la Croix-des-Bouquets, ainsi que des zones de production à Kenscoff ou dans l’Artibonite, délaissées par les cultivateurs en raison de la présence des gangs.

«Cela m’écœure de recevoir des appels de producteurs qui me racontent avoir fui leur domaine, perdu tous leurs biens et se voir aujourd’hui contraints de mendier pour survivre », déplore Joseph.

En toile de fond de l’expansion des gangs, qui exercent une pression sur les zones de production, la responsable souligne des problèmes structurels, tels que l’absence de crédit agricole ou de tout autre type d’encadrement susceptible d’aider les producteurs à se relever.

Cet éducateur, père de trois enfants et originaire de L’Estère, travaille une parcelle de terre depuis six ans. Lors des récoltes, sa production avoisinait une cinquantaine de sacs de riz.

Pour cette saison, ses dépenses pour la préparation du terrain, les intrants, le paiement des travailleurs, s’élevaient à près de 100 000 gourdes.

« Il s’agit d’une perte qui m’attriste, car l’argent de la récolte du riz me permettait de payer la scolarité de mes enfants, et de payer mon loyer », relate l’enseignant.

Pour Valdo Jean, les producteurs sont plus que jamais délaissés par l’Etat.

«Nous sommes au bord d’une crise sans précédent dans la vallée. Mais très peu de personne en parle. Les autorités refusent d’en parler», explique Valdo Jean à AyiboPost.

AyiboPost a contacté deux représentants locaux ainsi qu’un représentant de l’organisation de développement de la vallée de l’Artibonite (ODVA), ils n’ont pas réagi avant la publication de cet article.

Par: Jérôme Wendy Norestyl  et Wethzer Piercin

a participé à ce reportage.

Couverture: Une femme vend du riz sur le marché de Pont-sondé sur les rives de la rivière Artibonite, en Haïti. FAO/Walter Astrada.

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Éditeur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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