InsécuritéPOLITIQUE

Qu’attendent les Kényans pour agir contre les bandits ?

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Des sources proches de la mission révèlent à AyiboPost l’état des préparatifs. L’actualité politique au Kenya risque d’avoir un impact sur le comportement des policiers, selon des analystes

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Le premier contingent de policiers kényans débarque en Haïti avec pour mission d’appuyer les forces de sécurité du pays le 25 juin 2024.

Le même jour, leurs collègues affrontaient des milliers de jeunes manifestants dans les rues du Kenya.

Les protestataires exigeaient le retrait de la loi sur les finances du gouvernement du président William Ruto. Ils critiquaient également l’envoi d’une force armée en Haïti.

La police a réagi brutalement au mouvement.

Une quarantaine de personnes ont été tuées en deux semaines de manifestations, selon le rapport d’un organisme financé par le gouvernement.

Ces décès enveniment la contestation et déclenchent des critiques généralisées contre la police et le président dont la démission est désormais réclamée.

« Nous devons nous assurer qu’ils nous entendent », déclare John Mwangi, un des protestataires.

L’étudiant en journalisme de 23 ans rejette la loi sur les finances et s’oppose à la décision du gouvernement d’envoyer des policiers en Haïti.

« Je pense que nous aurions dû régler nos problèmes internes avant d’essayer de résoudre les problèmes des autres », soutient-il à AyiboPost.

Les protestataires exigeaient le retrait de la loi sur les finances du gouvernement du président William Ruto. Ils critiquaient également l’envoi d’une force armée en Haïti.

Le texte, retiré depuis, devait augmenter les taxes sur des biens de consommation essentiels comme le pain ou l’huile végétale.

La somme collectée aurait contribué à rembourser plus de 80 milliards de dollars américains de dette publique contractée à travers les années par le Kenya auprès de pays comme la Chine, ou d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale.

La dette représente environ 70 % du produit intérieur brut du pays, le niveau le plus élevé depuis 20 ans.

La plupart des milliards ont été investis dans des projets d’infrastructure parfois fictifs ou d’autres, éclaboussés par la corruption, mal conçus et souvent sous-utilisés, selon des rapports.

Le FMI demande de l’austérité pour sécuriser le versement de montants supplémentaires.

Lire aussi : L’accord complet signé avec le Kenya pour la force multinationale

Selon des analystes, l’envoi de troupes en Haïti fait partie d’une stratégie globale pour permettre au Kenya d’alléger sa dette et renforcer son économie.

Lors d’une visite aux États-Unis en mai dernier, le président Ruto a obtenu le soutien de l’administration de Joe Biden pour des mesures de réduction de sa dette.

Un policier kényan en poste devant l’Ambassade des USA en Haïti, le 5 juillet 2024. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Mais l’implication du Kenya dans la crise sécuritaire en Haïti peut coûter beaucoup politiquement à William Ruto.

L’envoi de troupes en Haïti demeure une décision impopulaire au Kenya.

Selon deux sources médiatiques dans ce pays, très peu de chaînes de télévision ont rapporté le débarquement du premier contingent.

La brutalité des policiers envers les manifestants conduit certains à souhaiter la mort des policiers en Haïti, en témoignent des dizaines de publications en ligne revues par AyiboPost.

Capture d’écran d’une des publications sur X exprimant l’hostilité contre la présence de troupe kényane en Haïti allant même jusqu’à souhaiter la mort des policiers.

En début du mois, l’inspection générale du service national de la police a dû publier une note pour démentir la rumeur « infondée, non patriotique et malicieuse » de l’assassinat de sept officiers en Haïti.

Note de l’Inspection générale du service nationale au Kenya sortie le 1 juillet 2024 pour démentir les rumeurs de l’assassinant de sept  officiers du pays en Haïti.

Le mardi du débarquement, les protestataires ont mis le feu à une partie du parlement, incendié des entreprises et bloqué la capitale, Nairobi.

Le potentiel de récupération politique reste grand, ce qui peut conduire les dirigeants de la MMAS à jouer la prudence pour ne pas attirer des critiques en Haïti, selon des analystes.

« Nous risquons de voir des cadavres de policiers en mission en Haïti arriver à Nairobi», déclare à AyiboPost un journaliste d’investigation kényan. « Si cela arrive, Ruto, déjà très impopulaire, sera forcé de démissionner », anticipe-t-il.

En Haïti, les officiers kényans entreprennent des missions de reconnaissance avec leurs confrères haïtiens, sans s’engager dans le combat.

Deux sources indépendantes proches de la mission révèlent à AyiboPost qu’ils attendent du matériel et d’autres troupes.

Les policiers sont « prêts » et « très motivés », selon une des sources. Ils ont donc « la capacité d’expulser » les gangs des territoires qu’ils contrôlent depuis plusieurs années.

« Les agents s’entraînent et s’acclimatent à ce nouvel environnement de travail petit à petit », informe l’autre source à AyiboPost.

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Entre-temps, les gangs poursuivent leur entreprise de destruction et de violence.

Au moins deux citoyens ont été kidnappés la semaine dernière à Port-au-Prince.

Dans la commune de Gressier, des milliers d’habitants fuient leurs maisons après des attaques de criminels.

En mai 2024, un article d’AyiboPost révèlait la construction d’un wharf au sud de la capitale par le gang de 5 Segonn dirigé par Johnson André, dit Izo, au Village de Dieu.

Selon les experts, cette structure devrait être utilisée pour déplacer ses soldats, les armes et la drogue.

Ces travaux se poursuivent, selon de nouvelles images parvenues à AyiboPost. La hauteur des murs ainsi que les embrasures observées renforcent l’idée d’une infrastructure érigée pour le combat.

Évolution de la construction d’un «wharf» à Village de Dieu, fief du gang «5 segond» dirigé par Johnson (Izo) André.

Jimmy Cherizier, chef de la puissante coalition de gangs dénommée Viv Ansanm, appelle le gouvernement au dialogue dans plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

De retour d’un voyage aux États-Unis le 6 juillet, le Premier ministre Gary Conille a placé la reprise des territoires contrôlés par les gangs parmi ses priorités. Il avait auparavant demandé aux gangs de reconnaître l’autorité de l’État et de déposer les armes avant tout dialogue.

Contrairement aux informations diffusées dans la presse, la notification de ce déplacement aux USA a été reçue par la présidence le 27 juin 2024, selon l’accusé de réception obtenu par AyiboPost.

Lettre du Premier Ministre Gary Conille adressée au Président du Conseil Présidentiel, Edgard Leblanc Fils, le 26 juin 2024, pour lui annoncer son voyage à Washington du 28 juin au 6 juillet 2024.

Accusé de réception de la lettre du Premier ministre Garry Conille par la Présidence le 27 juin 2024, un jour avant son déplacement vers les États-Unis.

La force kényane et la Police nationale d’Haïti (PNH) jouent la carte de l’optimisme.

« Il n’y a pas de place pour l’échec de notre côté, dans l’exécution de notre mandat », a déclaré le commandant en chef de la MMAS, Godfrey Otunge, lors d’une conférence de presse avec le chef de la PNH lundi.

La réussite de cette mission déterminera également l’avenir du Conseil présidentiel et du nouveau gouvernement.

Il n’y a pas de place pour l’échec de notre côté, dans l’exécution de notre mandat.

Godfrey Otunge

La moitié du pays réclame une assistance humanitaire.

Un demi-million de déplacés veulent revenir chez eux, dans un contexte où le pays ne compte aucun élu depuis l’assassinat en juillet 2021 de l’ancien président Jovenel Moïse.

Dans la rumeur et la promiscuité au ministère de la Communication, Althémany Clifford attend « avec impatience » le jour où il dormira enfin dans un vrai lit.

Le professeur de langues avait été chassé avec son fils par les gangs à Carrefour-Feuilles en avril 2024.

Depuis quatre mois, les deux hommes mangent mal et trouvent difficilement de l’eau potable.

Lire aussi : Du fief de Barbecue à Santo Domingo, le voyage clandestin d’un professeur

L’arrivée du premier contingent de policiers kényans le 25 juin était pour Clifford une bouffée d’air frais.

« Je suis à bout », soupire-t-il à AyiboPost. « Un peu de sécurité, c’est tout ce que je demande. »

Par Wethzer Piercin et Widlore Mérancourt

Image de couverture : Un policier kényan en poste à proximité de l’Ambassade américaine à Tabarre, le 5 juillet 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost.


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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