Lors d’une interview avec AyiboPost, le directeur de l’institution, Joses Jean Baptiste, estime qu’adopter «une telle mesure n’aura aucun effet sur le marché puisque la majorité des utilisateurs ont déjà en leur possession les deux cartes [Digicel et Natcom]»
En 2020, l’ancien directeur du Conseil national des télécommunications (CONATEL), Jean Marie Guillaume, a annoncé à AyiboPost que l’État avait dépensé plusieurs millions de dollars pour permettre aux clients de téléphonie mobile en Haïti de changer d’opérateurs tout en gardant leurs numéros, à partir d’octobre 2021.
Contactée à l’époque par AyiboPost, la compagnie Digicel – détentrice de 70% du marché – avait refusé d’intervenir sur le sujet. Mais la Natcom avait accueilli le projet avec enthousiasme, selon les déclarations de son porte-parole.
Depuis, le Conatel a changé de directeur.
Et la possibilité pour les clients parfois frustrés qui veulent changer de compagnie sans changer de numéro ne fait pas partie des projets immédiats de l’institution dirigée par Joses Jean Baptiste.
Pour le nouveau directeur, «adopter une telle mesure n’aura aucun effet sur le marché puisque la majorité des utilisateurs ont déjà en leur possession les deux cartes», Digicel et Natcom.
Selon Joses Jean Baptiste, avant de penser à la portabilité des numéros, il faut «d’abord créer la compétition».
Interviewé par AyiboPost le 23 février 2024, le directeur du Conatel a également abordé la vente désordonnée des cartes SIM ainsi que ses réalisations et projets, après un an comme responsable de l’institution.
Pour des raisons de clarté et de concision, l’interview a été éditée.
Où en est le projet de la portabilité de numéro de téléphone ?
Il faut dire que la portabilité de numéro est une mesure réglementaire prise pour renforcer la compétition.
Un marché économique, tout comme le marché des télécommunications, possède ses caractéristiques. Quand vous avez un seul opérateur, vous avez un monopole, et un monopole dans un marché économique n’est pas recommandé.
Dès lors, quand vous avez deux opérateurs, vous avez un duopole, et les utilisateurs auront une possibilité de choisir. Là maintenant, on n’a pas de compétition. Tu as de la compétition dans un marché quand il y a au moins trois opérateurs et que ces opérateurs ont à peu près 30 à 33% du marché.
Cette situation fera en sorte que les opérateurs ne veulent pas que leurs chiffres diminuent et que le chiffre de leurs concurrents augmente. La portabilité est là pour maintenir la compétition, mais elle ne la crée pas.
Quand vous avez un duopole, les utilisateurs connaissent les faiblesses de chacun des deux concurrents. Ils possèdent une carte SIM pour chacun d’eux correspondant à leurs besoins.
De fait, vous êtes déjà dans la portabilité puisque la majorité des utilisateurs possèdent déjà les deux cartes SIM.
La portabilité est nécessaire lorsque le marché devient compétitif, quand vous avez plus de deux opérateurs. Il faut déjà créer la compétition et si la compétition ne donne pas les résultats escomptés, on peut alors mettre cette mesure qu’est la portabilité. Mais si vous l’utilisez bien avant, c’est mettre les charrues avant les bœufs.
Octobre 2021 était la date prévue pour la concrétisation de ce projet par le Conatel. Ce projet était là en 2019. Pourquoi ce revirement soudain du Conatel ?
Parce qu’aujourd’hui, adopter une telle mesure n’aura aucun effet sur le marché puisque la majorité des utilisateurs ont déjà en leur possession les deux cartes. Il faut d’abord créer la compétition, ne pas avoir un opérateur dominant.
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Qu’en est-il du consommateur non satisfait d’un service et qui désire garder son numéro en changeant de compagnie ?
Il faut que le marché soit compétitif. S’il ne l’est pas, on ne peut pas utiliser cet outil.
Quels sont les projets en cours de réalisation au Conatel ?
L’un des projets en cours est la mise en place d’une plateforme d’identification et d’authentification des acheteurs de cartes SIM, ce qui représente un double défi à la fois en termes de sécurité et pour l’économie numérique.
Avec l’avènement de l’économie numérique, la régularisation des utilisateurs devient une nécessité.
C’est pourquoi le gouvernement a travaillé sur ce sujet et a proposé des solutions, notamment la mise en place d’une plateforme qui sera connectée aux bases de données de l’Office National de l’identification. Lorsqu’un utilisateur achète une carte SIM en présentant une pièce d’identification, il pourra l’utiliser pour enregistrer cette carte SIM.
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Les utilisateurs de cartes SIM qui n’ont pas été enregistrés auparavant peuvent également utiliser la plateforme pour s’enregistrer.
L’un des projets en cours est la mise en place d’une plateforme d’identification et d’authentification des acheteurs de cartes SIM.
Il y a également l’élaboration d’un cadre légal et réglementaire pour l’utilisation des réseaux sociaux en Haïti. Leur utilisation est en pleine croissance dans le pays, mais il n’existe pas encore de réglementation définie à cet égard.
Le Conatel se penche sur cette question et met en place une cellule chargée d’étudier la situation et de proposer au gouvernement des mesures réglementaires. La première recommandation de cette cellule est la création d’une structure chargée de la réception des plaintes. Ne serait-ce qu’au niveau juridique, il est nécessaire de compiler tous les incidents et plaintes formulées afin de pouvoir les traiter juridiquement.
Nous avons initié le projet de migration de la télévision analogique en Haïti vers la télévision numérique. Le réseau des chaînes de télévision en Haïti utilise un système très ancien datant de 1930, à savoir la télévision analogique.
Cette migration permettra à chaque station de télévision de diffuser une seule émission, ou de regrouper plusieurs stations sur une seule chaîne, offrant ainsi plusieurs programmes sur un seul canal. Si l’on peut compresser ces stations, il ne sera plus nécessaire d’avoir toutes ces chaînes.
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Il y a aussi la mise en place de la signature électronique qui aura une valeur juridique. La bonne nouvelle est que cette semaine, le Conatel a reçu son code international délivré par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Ce code sera identifiable pour Haïti. La signature électronique revêt une importance particulière. Ce ne sera plus obligatoire de se déplacer pour la signature d’un document, que ce soit chez un notaire ou autre. À l’instant, le projet attend un texte d’application du gouvernement. Une fois publié, ce sera le lancement des appels d’offres pour trouver des compagnies qui seront habilitées à donner le service.
La bonne nouvelle est que cette semaine, le Conatel a reçu son code international délivré par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Ce code sera identifiable pour Haïti.
On a également relancé la cybersécurité. Si l’on souhaite intégrer le monde numérique, il est essentiel de protéger nos réseaux, nos banques, etc. Une cellule dédiée à la Conatel travaille en collaboration avec l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI) afin de maintenir un système de protection des réseaux contre les intrusions, contre les vols d’identité, etc.
Vous avez mentionné la mise en place d’une plateforme de régularisation des cartes SIM en Haïti. Pourriez-vous nous fournir un aperçu détaillé de l’avancement de ce projet ?
Nous avons déjà préparé le document de l’appel d’offres, qui est achevé à 95%.
Ensuite, nous avons les cahiers des charges. Comme il s’agit d’une plateforme qui sera installée, il y aura la commission physique qui permettra l’interconnexion avec la base de données de l’ONI et les opérateurs de téléphonie.
Pourquoi les compagnies de téléphones mobiles ne font pas partie du processus d’identification ?
Elles en feront partie. En fait, c’est l’État qui a mis en place cette plateforme et qui donnera licence à une compagnie pour opérer. C’est pour cela qu’on a créé les cahiers de charges qui définiront les conditions techniques et financières pour être interconnecté avec l’ONI et ces deux opérateurs.
Quand est-ce que le projet sera-t-il opérationnel en Haïti ?
Ce projet sera opérationnel cette année. Parce que dans la phase où nous sommes, nos documents d’appels d’offres sont déjà préparés. La semaine prochaine nous adopterons et étudierons les cahiers de charges. Après, les processus administratifs se réaliseront auprès de l’État haïtien. Pour l’instant, notre travail en soi est avancé à 80%.
Considérant la quantité de cartes SIM non-identifiées déjà en circulation, comment le Conatel agira-t-il pour les régulariser ?
Cette plateforme offrira avec plus de facilitation le service d’enregistrement sans nécessiter de déplacement physique vers les compagnies. Nous apporterons le service aux clients.
Et cette facilitation donne aux compagnies beaucoup plus de moyens pour imposer une date limite pour les utilisateurs qui ne sont pas encore identifiés. Ils auront aussi la capacité de bloquer ceux qui ne se sont pas enregistrés. Cette initiative fermera la vanne des cartes SIM non enregistrées.
Il y aura toujours un processus d’identification de la personne ayant procuré un bloc de carte destiné à la vente. Mais, le focus et ce qui nous intéresse sera l’identification de l’utilisateur final.
En un clic, il pourra procéder à son identification, sinon la carte sera bloquée.
Est-ce que le Conatel a une idée de la quantité des cartes SIM identifiées et non identifiées sur le territoire national actuellement ?
Oui, nous sommes au courant de la quantité par rapport à nos données, mais nous ne pouvons pas partager cette information. Nous sommes cependant au courant de l’ampleur de la situation.
La compagnie Natcom a annoncé qu’à partir du 8 février 2024, le SIM électronique (e-sim) sera disponible. C’est une initiative assez nouvelle pour Haïti. Est-ce que le Conatel, en tant qu’entité régulatrice, a un certain contrôle sur l’initiative ?
En fait, la technologie est en pleine expansion, et l’innovation des SIM numériques intégrées est la tendance.
Ces initiatives posent des défis. Donc, le Conatel les observe et regarde quelle est la régulation appropriée qu’il faudra mettre place en temps et lieu.
Image de couverture éditée par AyiboPost montrant l’actuel directeur du CONATEL. | © Photo : © Jean Feguens Regala/AyiboPost
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