Une bonne partie des victimes habitaient des camps, après avoir été contraints de fuir la violence des gangs
Une attaque violente de gangs à Bois Verna risquait de lui coûter la vie lorsque Arilus s’enfuit du lycée Marie-Jeanne de la zone pour atterrir en catastrophe à l’Office de la protection du citoyen (OPC) de Bourdon, le 9 mars 2024.
L’OPC devrait être «la sentinelle des droits humains», selon le charpentier. «Je suis venu ici parce que cela fait partie de mes droits imprescriptibles», déclare l’homme qui rapporte avoir abandonné sa maison à Carrefour-Feuilles l’année dernière après une attaque des gangs.
Quelques heures après ces déclarations, des policiers débarquent et expulsent vigoureusement Arilus, ainsi que des dizaines d’autres déplacés, de l’OPC, une institution étatique dédiée à la défense des droits humains, constate AyiboPost.
Environ 25 000 personnes sont délogées par les attaques d’une rare violence initiées contre des institutions de l’État par les bandits le 29 février 2024, selon l’Organisation internationale de la migration (OIM).
Ces nouveaux déplacés se sont installés sur quatorze autres sites dont onze sont déjà surpeuplés, selon l’OIM.
Surpeuplement ou pas, les institutions étatiques n’ouvrent pas grands les bras pour accueillir les victimes.
À l’institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBESR), les sinistrés ont été chassés à coup de balles par des individus non identifiés, selon les constats d’un journaliste d’AyiboPost présent sur les lieux au moment des faits le 9 mars 2024.
Dans l’intervalle, une partie de l’IBESR a été vandalisée. «Nous n’arrivons pas à trouver certains dossiers», déclare à AyiboPost Thermilus, un employé, venu récupérer des fichiers laissés en vrac dans l’institution.
Une bonne partie des victimes habitaient des camps, après avoir été contraints de fuir la violence des gangs.
C’est le cas de Gérald, un ancien habitant de Carrefour-Feuilles jusqu’en novembre 2022. Expulsé de chez lui par la fureur des gangs, il a trouvé refuge pendant neuf mois dans un centre à Bécassine avant d’atterrir au Champ-de-Mars.
Les assauts récents contre les institutions policières dans la zone poussent Gérald à aller s’abriter dans les locaux de la Faculté Linguistique Appliquée (FLA), une entité de l’Université d’État d’Haïti (UEH).
Dans une note rendue public le 11 mars, le rectorat de l’UEH dénonce «la prise d’assaut» de la FLA. Soulignant les dégâts matériels que cela pourrait causer, l’institution demande aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour reloger ces personnes et ainsi protéger l’intégrité de l’espace de l’institution universitaire.
D’après le vice-président du comité de gestion du camp, Nono David, l’espace héberge plus d’un millier de personnes. Elles viennent pour la plupart de camps préalablement installés à proximité du Marché Salomon et du Champ-de-Mars. D’autres déplacés continuent à les rejoindre, rapporte Nono David. Ce qui pose un risque de promiscuité accrue, explique le membre du comité.
Au lendemain de l’attaque des gangs sur le Pénitencier national le 2 mars 2024, plus d’une centaine de sinistrés trouvent refuge au ministère de la Communication. La répression ne les a pas encore rattrapés, mais, selon un responsable, le centre souffre d’un manque cruel d’eau potable.
Assise sur un petit tabouret dans l’encoignure d’une grande salle du ministère, Ghislaine, le dos courbé sous le poids de ses 70 ans, contient difficilement sa peine. Des bandits armés ont brûlé sa résidence à quelques mètres du Fort Mercredi à Carrefour-Feuilles en 2023. Elle a transité au Lycée Fritz Pierre-Louis avant de poser ses valises au ministère.
«En plus d’avoir tout perdu, je souffre de rhumatisme, dit-elle à AyiboPost. Ce sont des morceaux d’étoffe que des bienfaiteurs nous ont offerts qui nous servent ici de couverture.»
Sur le balcon arrière du ministère, Marilyna Léon, visiblement dans la cinquantaine, marque faiblement ses pas.
Mère de cinq enfants, le périple de Léon débute en novembre 2023 quand des individus lourdement armés saccagent et incendient sa maison à Caridad, une localité de Carrefour-Feuilles.
Réfugiée depuis dans les locaux du lycée Fritz Pierre Louis, elle va devoir s’enfuir à nouveau le dimanche 3 mars à cause des attaques des gangs. «J’ai perdu ma maison et mon petit commerce», déclare Léon. «Pour l’instant, je vis au gré des jours».
Assise sur un degré de l’escalier du ministère, Nancy Mézylas allaite un nourrisson de quatre mois, emmailloté dans un bout de linge d’occasion. La mère de trois enfants aussi a laissé le lycée Fritz Pierre-Louis où elle s’était abritée après que les bandits ont incendié son logis à la rue Joseph Janvier à Port-au-Prince. «La situation est chaotique pour nous», dit Mézylas. J’arrive difficilement à joindre les deux bouts».
Quatre heures de l’après-midi, le lundi 11 mars 2024, les locaux du ministère de la communication s’apparentent à un vaste marché à ciel ouvert. Des marchandes, derrière leurs étals, écoulent des fritures qu’elles tirent, à bout de bras, de chaudrons noircis par les flammes. Dans le voisinage, quelques personnes, debout, essorent des vêtements dans une partie de lessive. Les salles encombrées sont remplies de personnes déplacées qui dorment à même le sol, en bordure de quelques valises de fortune.
Ailleurs à Port-au-Prince, les mauvaises conditions hygiéniques, le manque de nourriture et les violences constituent le lot quotidien des personnes habitant les camps, selon des témoignages recueillis sur place par AyiboPost.
Walguens Pierre-Jean habitait l’Avenue Fouchard, où il exerçait le métier d’artiste peintre. Lors des actes de violence des bandits dans cette zone en août 2023, il avait perdu plus d’une centaine de tableaux.
Le professionnel s’installe d’abord au kiosque Occide Jeanty, avant d’atterrir au Rex Théâtre en septembre 2023 au cœur du Champ-de-Mars.
L’espace a été partiellement détruit lors du tremblement de terre de 2010. Il abrite environ 1068 personnes déplacées, selon Pierre-Jean, vice-président du comité de gestion de ce centre. «Habiter dans un bâtiment fissuré, c’est très risqué. Nous sommes conscients du danger», déclare l’artiste à AyiboPost.
En marge des dernières attaques aux alentours du Champ-de-Mars, «nous avons reçu un premier groupe de 165 personnes, ensuite un autre de 70 personnes», indique le responsable. Les nouveaux venus habitaient auparavant la rue Monseigneur Guilloux, la rue de l’enterrement, la rue de la Réunion ou la rue Alerte à proximité du cimetière de Port-au-Prince.
Les conditions sanitaires à l’intérieur et dans les environs du Rex sont désastreuses. «Nous ne pouvons pas nous protéger contre la pluie, dit Pierre-Jean. Les déplacés font leur besoin aux alentours du bâtiment. Il n’existe pas de douches pour que les femmes prennent leur bain en toute discrétion».
Depuis le samedi 9 mars, la plupart des occupants du Rex Théâtre reçoivent des plats chauds du Programme Alimentaire Mondiale (PAM).
Au Lycée Marie Jeanne de Bois Verna, «la situation est chaotique», déplore John Élysée, responsable de ce camp. Près de 3 000 personnes y vivent sans médicaments, eau potable, ni électricité, selon Élysée. «Depuis novembre 2023, les gens ne reçoivent aucune assistance alimentaire», déclare le responsable. «[La plupart] vivent de la mendicité.»
Au Lycée des jeunes filles situé à la rue Jean Paul II, les résidents ne reçoivent aucune assistance depuis décembre 2023, d’après le chef de sécurité de ce camp, Elysée Jean-Pierre.
Après les raids des gangs le 2 mars 2024, 730 nouvelles personnes ont rejoint l’espace. «Les détonations et les balles perdues constituent notre plus grande inquiétude», déclare Jean Pierre.
Au lycée, depuis novembre 2023, Chantal Paris, une dame dans la cinquantaine, explique d’une voix cassée, comment les bandits armés ont attaqué et pillé sa petite entreprise de vente de produits alimentaires à l’impasse Eddy.
À trois heures de l’après-midi, ce lundi 11 mars, Paris et ses co-déplacés s’activent pour prendre leur premier repas de la journée. Dans la toiture faite de tôle, les impacts des balles sont visibles.
Les femmes paient un lourd tribut de la situation désastreuse dans les camps.
Par exemple, les tentes au Rex théâtre offrent une protection minimale aux occupants face aux intempéries.
«Nous manquons d’intimité ici», se plaint une dame. Selon cette dernière, «nous sommes dépourvues d’espace pour effectuer des tâches aussi élémentaires que prendre un bain. De surcroît, la qualité de l’eau que nous utilisons pour notre hygiène corporelle et intime n’est pas de bonne qualité».
Selon des témoignages, de nombreuses femmes du centre souffrent de démangeaisons de la peau et d’autres symptômes d’infections vaginales.
Le même constat a été fait dans les locaux du lycée Antenor Firmin où le nombre de personnes à y avoir trouvé refuge est passé de 3000 à plus de 4000 personnes, selon Fernando membre du comité gérant du camp.
«Beaucoup d’enfants ont de la fièvre, des démangeaisons sur la peau, et de la teigne sur la tête», déclare l’ancien résident de Savane Pistache.
Marie Thérèse Delimar, mère de six enfants, dont cinq filles, raconte rencontrer des difficultés pour trouver une serviette hygiénique pour une de ses filles qui venait d’avoir ses premières règles.
Craignant pour l’intimité et l’intégrité physique de ses filles, Delimar affirme dormir les yeux ouverts. «Le soir au coucher, je mets en place devant l’entrée un assortiment d’objets assez résistants pour empêcher toute intrusion», explique-t-elle.
Au ministère de la Culture et de la Communication, Alexandre Erickson, un responsable du camp, redoute les cas d’harcèlement et de violences sexuelles.
Selon lui, plusieurs plaintes et remarques ont été rapportées dans ce sens par des femmes. «La situation me dépasse», affirme le responsable à AyiboPost. «Je lance un appel à l’aide car les femmes et les filles ici sont exposées chaque jour à des cas d’agression sexuelle ».
Une quinzaine de femmes enceintes et près de six mères de nourrissons trouvent abri au ministère, un environnement inadéquat, tant sur le plan des normes sanitaires que des installations hygiéniques adaptées.
Par Rolph Louis-Jeune, Junior Legrand, Lucnise Duquereste, Wethzer Piercin et Jean Feguens Regala
Image de couverture : Une personne déplacée au Ministère de la Communication à Port-au-Prince crie au secours le 9 mars 2024, fatiguée de fuir la violence des gangs. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
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