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Pourquoi la section « vent » disparait-elle progressivement du compas ?

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Toute musique déclare fidélité aux soubresauts de son temps. Le compas ne fait que s’adapter aux contraintes économiques et techniques du monde d’aujourd’hui. Perd-il pour autant son identité ?

Le son du compas a muté dans le temps. C’est une musique qui subit d’importantes transformations tant au niveau du rythme qu’au niveau des instruments utilisés.

Ce genre musical met en avant aujourd’hui des outils et logiciels qu’il n’a jamais connus dans les années antérieures. Il voit aussi disparaître des instruments comme l’accordéon électrique, la contrebasse, le xylophone ou le tam-tam qui faisaient la joie des mélomanes dans les années 1960 et 1970.

Les instruments à vent tendent à se raréfier également. Pourtant, ils ont toujours été importants dans le Compas. Beaucoup de groupes légendaires comme Tropicana, Septentrional ou Les Frères Dejean avaient les « cuivres » comme signature sonore.

Mais aujourd’hui, rares sont les groupes qui font encore usage de ces instruments. Quand la sonorité est utilisée, c’est grâce à la technologie et non en faisant appel aux « vrais musiciens ».

Quatre sections

Traditionnellement, le compas comporte quatre sections. Les cordes avec ses guitares et la basse, la percussion avec sa batterie, ses tambours et le fameux gong, les keys qui font référence aux claviers et pianos, et la section cuivre et bois qui met en scène les instruments à vent comme la trompette, le trombone, et les saxophones…

La dernière section avait une place prépondérante aux débuts du compas. Nemours Jean-Baptiste et Webert Sicot, les deux grands noms de la genèse de cette musique, étaient deux saxophonistes.

D’autres grands noms des instruments à vent ont jalonné le passé du genre. Ulrick Pierre Louis et Octavius Charles (Ti Blanc) ont écrit l’histoire de Septentrional et de Tropicana, les deux géants du Nord.

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On ne saurait oublier les saxophonistes, Emmanuel Figaro de Bossa Combo, Georges Loubert Chancy du groupe Skah-Shah et Jean Robert Damas de Bossa Combo ou du groupe Accolade. Il convient de mentionner aussi le trompettiste Edgard Depestre de Skah-Shah puis du groupe Carribean Sextet ou encore Fred Dejean, excellent saxophoniste, et l’une des figures emblématiques du groupe Les frères Dejean.

Au côté des saxophonistes, des trompettistes ou trombonistes ont aussi garni cette section dans toute l’histoire du Compas. Le groupe Scorpio a connu un duo remarquable et mémorable avec Pierre Reynold Ménélas au trombone et Fritz Dorvilien à la trompette. Après leur départ, Saur Gelin a aussi rehaussé les chansons de ce groupe.

Il y avait d’autres noms comme Yvon Louis, tromboniste de Bossa Combo, Louis Bonhomme de Shoogar Combo, Eddy Brisseaux trompettiste de Carribean Sextet, sans oublier André Dejean du groupe Les Frères Dejean. Ce dernier prête ses services aujourd’hui à la formation musicale Nu-look.

Règne des expats

Les instruments à vent sont parfois l’apanage de musiciens étrangers, évoluant au sein des groupes compas. Tabou combo et Magnum Band ont vu passer plusieurs expatriés.

La bande à Herman Nau a connu entre autres Paul Henegan au Sax, Joe Mosello et Ken Watters à la trompette, Andrew Washington comme tromboniste. Ce groupe n’a jamais confié les instruments à vent aux professionnels haïtiens. « Tabou Combo a fait un choix de ne pas utiliser des Haïtiens à la section des cuivres, déclare Herman Nau, le cofondateur du groupe quinquagénaire. À l’exception d’Eddy Leroy comme musicien haïtien qui jouait pour Tabou dans la section de cuivres et de bois entre 1975 et 1977, tous les autres sont Américains, Cubains ou Tunisiens. »

Zenglen a donné du travail à des étrangers comme Nestor Zabala au trombone, Eddy Léal à la trompette et la saxophoniste Nicolina Ferrantino qui est aujourd’hui une figure emblématique du groupe.

À chaque fois que le Compas subit une transformation importante, les instruments à vent sont toujours le dindon de la farce.

Les Mini-Jazz des années 1970 n’utilisaient pas tous des instruments à vent. Certains ont attendu plusieurs albums avant de les intégrer. Des groupes comme Gypsies, les Difficiles de Pétion-Ville, Tabou Combo etc., n’ont pas commencé avec la section des cuivres. Selon Johnny Célicourt, Tabou Combo a attendu jusqu’en 1975 pour intégrer le vent sur l’album « The Masters » dans la chanson « Oh ! La La ».

À chaque fois que le Compas subit une transformation importante, les instruments à vent sont toujours le dindon de la farce.

Les années 1980 qui ont été marquées par le Compas Digital, communément appelé nouvelle génération, ont vu poindre beaucoup de groupes qui ont encore une fois mis à l’écart les instruments à vent au profit de la technologie. Au sein de certains groupes formés à cette époque, c’est le keyboardiste qui produit les sons des instruments à vent. Des groupes comme Top Vice, Zin, Sweet Micky pour ne citer que ceux-là n’ont jamais utilisé les instruments à vent.

Ordinateur roi

Grâce à des logiciels qui facilitent la production de la musique, les responsables de « jazz » font fi des instruments à vent. La majorité des groupes formés ces cinq dernières années n’en font pas usage.

Enposib, 5 Lan, Kaï, Vayb font partie des derniers-nés sur l’échiquier du Compas. Ils ne comptent pas une section cuivre. D’autres artistes ou groupes qui sont parmi les ténors n’utilisent pas non plus ces instruments. Nous pouvons citer Harmonik, J-Beatz, Kreyòl La, Maestro, Gabèl. Non seulement ces groupes n’ont pas de musiciens qui jouent les instruments à vent, mais en plus ces sonorités ne sont guère présentes sur leurs chansons, non plus.

Sur plus de vingt groupes musicaux que connait cette génération, seulement huit utilisent les instruments à vent : Zenglen, Nu-Look, Mass Konpa, Disip, Klass, K-Niway, Ekip et Zafem. Il faut noter que les groupes de l’ancienne génération qui sont encore actifs font toujours usage de ces instruments.

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« Il est triste que les instruments à vent soient en voie de disparition dans le compas alors qu’un saxophoniste a créé ce rythme, regrette Johnny Célicourt. Mais cela n’aura aucun impact négatif sur l’avenir du compas, car nombreux sont des groupes qui n’ont pas d’instruments à vent, mais qui demeurent de véritables ambassadeurs de cette musique. »

Les raisons pour lesquelles les musiciens refusent de faire usage des instruments à vent sont multiples. D’abord, il y a la question économique. Au lieu de payer deux ou trois musiciens dans cette section, certains dirigeants de groupes préfèrent s’appuyer sur le keyboard pour produire le son des instruments à vent. C’est le cas de Ti Pouch au sein de Djakout #1, Reynaldo de T-Vice ou encore d’Alfred Lataillade pour le groupe K-dans. Tous utilisent leur keyboard pour produire les sons des instruments à vent.

Kyrielle d’explications

Un musicien moderne peut produire à lui seul un album dans son studio à partir des logiciels. Autrefois avec le « Music Production Center » (MPC) qui peut produire tous les sons, les musiciens mettaient les instruments à vent de côté. Aujourd’hui il y a le « MIDI Contrôler » et quelques logiciels que même les amateurs en musique peuvent manier facilement afin de produire divers sons.

Autre raison majeure expliquant l’abandon du « vent », c’est le fait qu’il n’y a presque plus de fanfare dans les écoles. Au cours des années 1960, 1970 jusqu’à 1980, les professionnels des instruments à vent poussaient comme des champignons dans le pays, car la musique était obligatoire dans presque toutes les écoles.

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Beaucoup de professionnels qui ont garni la section cuivre et bois des groupes musicaux étaient issus d’une fanfare scolaire. À cette époque, la plupart des groupes musicaux avaient pris naissance dans des écoles. André Dejean et Herman Nau jouaient à la fanfare du lycée national de Pétion-Ville — ci-devant lycée François Duvalier — de la 7e à la classe terminale entre 1963 et 1970. Le groupe Septentrional a sa base au lycée Philippe Guerrier du Cap-Haïtien.

L’autre raison évoquée par les leaders de groupe demeure l’absence de grands musiciens d’instruments à vent dans le pays. En conséquence, certains groupes jettent leur dévolu sur des étrangers, d’autres n’utilisent pas cette section. « On peut compter sur les doigts de la main les bons instrumentistes à vent en Haïti », précise Herman Nau.

Quoi qu’il en soit, toute musique reste fidèle aux soubresauts de son temps. Le compas ne fait que s’adapter aux contraintes économiques et techniques du monde d’aujourd’hui. Perd-il pour autant son identité ?

P.S. Les sections cuivre et bois sont séparées dans un orchestre. Dans le Compas, elles ne font qu’une seule, car le saxophone fait partie du bois, la trompette et le trombone font partie des cuivres, selon les usages du milieu.

Nazaire «Nazario» Joinville

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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