ART & LITERATURESOCIÉTÉ

Tabou Combo : plus d’un demi-siècle et dernier survivant des mini-jazz haïtiens

0

52 ans après, les musiques de Tabou Combo font encore rêver

La formation musicale Tabou Combo compte 52 ans. Tabou entre dans le cercle très fermé des groupes musicaux de la Caraïbe qui sont restés actifs pendant plus de 50 ans. Il est le seul survivant actif des Mini-Jazz créés dans les années 1960 en Haïti.

Durant ces cinq décennies, Tabou Combo a représenté Haïti et sa musique partout dans le monde. Il a connu un grand succès en terres étrangères.

Selon Fanfan Ti bòt, un membre important du groupe depuis 1968, le succès et la longévité de Tabou Combo dépendent de l’attitude de ses musiciens. « Contrairement à d’autres groupes musicaux haïtiens, Tabou Combo donne la priorité aux fans, et non à l’argent, précise-t-il. Notre rêve depuis la fondation du groupe c’était de plaire aux mélomanes dans tous les recoins du monde. »

De l’anonymat au succès

C’est en décembre 1966 qu’un groupe de jeunes allaient mettre sur pied cette formation musicale qui marquera de façon indélébile l’histoire de la musique haïtienne. Herman Nau, ancien trompettiste à la fanfare du lycée national de Pétion-Ville, et Albert Junior Chancy en étaient les deux initiateurs.

Tabou Combo comptait dans ses rangs une pléiade de jeunes musiciens talentueux comme Jean Claude Jean au gong puis à la guitare ; Michelot Benjamin comme chanteur ; Bob Sampeur au tambour ; Aliscar William à la deuxième guitare ; Raynold Duverglas à l’accordéon ; Jean Bernard Dorga à la basse.   Les deux co-fondateurs, en l’occurrence Herman Nau et Albert Chancy, étaient respectivement à la batterie et à la première guitare.

Lire aussi: Comment la mort lente des night-clubs fait augmenter le prix des bals compas

Ces musiciens âgés de moins de 20 ans avaient une grande vision du monde. Baptisé sous le nom de « Los Incognitos », les inconnus en français, le jeune groupe qu’ils avaient créé commençait à taper dans l’œil des Pétionvillois.

« Los Incognitos » allaient participer à un grand concours organisé en été 1967 par Radio Haïti. Herman Nau et les siens ont remporté haut la main cette compétition. Dès lors, ils ont commencé à se tailler une place dans l’industrie musicale haïtienne.

Sur la demande d’un des responsables de Radio Haïti, « Les incognitos » sont devenus Tabou Combo le 25 aout 1967. « Tabou » était le nom d’un grand magasin de fleurs à Port-au-Prince et « Combo » est l’abrégé du terme combinaison. Ils étaient sollicités dans plusieurs espaces de la capitale.

Le départ pour les États-Unis

Durant la période de 1968-1970, Tabou Combo avait le vent en poupe. Mais malgré ce succès, les parents de certains musiciens du groupe se refusaient à l’idée de les voir sur scène. Ceux de Herman Nau et d’Albert Chancy s’étaient entendus afin d’exiler leurs fils pour que le groupe s’éteigne.

Le 17 août 1970, Albert Chancy part pour Montréal sous la pression de son père. Au lendemain, soit le 18 août, c’était au tour d’Herman Nau de se rendre aux États-Unis. À cause de ces départs, le groupe disparaît de la scène musicale, après un dernier bal d’adieu, le 11 août 1970, à l’hôtel Ibo Lélé de Pétion-Ville.

Toutefois, les départs forcés n’ont pas tué le rêve d’Herman. Entre septembre 1970 et mai 1971, les autres musiciens qui étaient restés en Haïti le rejoignent à New York, pour que l’aventure fasse son chemin. Dadou Pasquet, âgé seulement de 17 ans, a remplacé Albert Chancy à la première guitare. Il était une valeur ajoutée et complémentaire dans cette jeune équipe.

Après cette reconstitution à New York, le groupe regagne le cœur de ses fans et commence à s’imposer en terre étrangère. 

Un succès mondial

Tabou Combo est le groupe musical haïtien qui a connu le plus de scènes internationales. De l’Amérique à l’Afrique en passant par l’Europe et l’Asie, cet orchestre quinquagénaire s’est révélé un véritable maître du spectacle. Les plus grandes salles mythiques de la France ont vu évoluer Tabou Combo. Zénith, L’olympia, Bercy, pour ne citer que celles-là.

La bande à Herman Nau s’est offerte en spectacle dans d’autres pays du vieux continent comme la Suisse, la Hollande, le Luxembourg, l’Italie, l’Allemagne, le Danemark, la Belgique ou l’Angleterre.

L’Asie a aussi reçu sa part du gâteau. Le Japon en particulier a accueilli Tabou Combo en quatorze spectacles lors d’une tournée de seize jours. L’Amérique du Sud, l’Amérique centrale, les Antilles ont été témoins des prestations de Tabou Combo.

Lire également: Combien touchent véritablement les musiciens dans les groupes de compas ?

Même l’Afrique peut témoigner du rendement de cette machine. Des pays comme le Maroc, le Mozambique entre autres, ont eu la joie de vivre des concerts de Tabou Combo.

Les sons du groupe sont aussi rentrés dans le patrimoine de la musique mondiale. La chanson « New York City » a connu un succès monstre à la fin des années 1970. Ce tube a même fait partie d’un hit-parade sur Europe 1 en France pendant plusieurs semaines. C’est une chanson grâce à laquelle Tabou Combo s’est fait un nom sur le continent européen.

La discographie du groupe est très riche. Des chansons comme « Juicy Lucy », « Mabouya », « Zap Zap », « Cole », « Kite M Fè Zafè M » et « La Mare A » figurent dans de grands films internationaux. Au début des années 1990, des CDs de Tabou Combo (originaux et copies) se vendaient en grande quantité au Panama.

Shoubou, le chanteur mythique

Aujourd’hui, Roger M. Eugene, dit Shoubou, est la figure emblématique du groupe. Il est l’un des rarissimes chanteurs dans toute l’histoire de la musique régionale à avoir passé 50 ans dans un seul et même groupe musical.

Mais Tabou Combo n’a pas connu que Shoubou comme chanteur. Le natif de Port-de-Paix est la cinquième voix dans l’histoire de Tabou. Michelot Benjamin, Grégory Roc, Victor Desgrottes et Sergo Guerrier sont ses prédécesseurs. Aucun d’entre eux n’a fait long feu dans le groupe.

L’origine de Shoubou avait malheureusement joué contre lui. Il n’était pas vu d’un bon œil quand il a débarqué à Pétion-Ville, avec l’ambition d’intégrer le groupe. Ce gamin venant de Port-de-Paix n’avait pas l’élégance et la réputation qu’il faut pour faire partie de la bande à Herman. Plusieurs musiciens refusaient de l’intégrer. Sa mère a insisté, suppliant Albert Chancy d’accepter son fils dans le groupe. Finalement, les musiciens ont donné le feu vert à Shoubou en 1968.

Aujourd’hui encore, le chanteur légendaire ne cesse d’exprimer sa gratitude envers Albert Chancy. Dans une entrevue qu’il a accordée à Ayibopost dans un hôtel à Pétion-Ville, il n’a pas tari d’éloges à son endroit. « M. Albert Chancy est un grand homme pour qui j’ai beaucoup d’admiration, affirme-t-il. Il a grandement contribué à ce que je représente aujourd’hui pour Haïti et pour le monde. »

Des moments plus difficiles

Des départs importants ont aussi façonné l’histoire du groupe. Le premier qui allait faire couler de l’encre est celui de Dadou Pasquet en 1976. Le guitariste s’est séparé de Tabou Combo après beaucoup de mésententes, pour former Magnum Band. Jusqu’à date, 44 ans après, la relation entre Dadou Pasquet et Tabou Combo n’est pas très amicale.

Adolphe Chancy, frère d’Albert, le cofondateur du groupe, a aussi laissé Tabou après y avoir passé environ 20 ans. Par suite de disputes avec Shoubou, « Dòf » Chancy s’est vu dans l’obligation de tirer la révérence.

Lire enfin: Enposib gagne 10 000 dollars US chaque week-end et autres détails sur l’économie de la musique en Haïti

Le successeur de Dadou Pasquet à la première guitare, Elysée Pironneau, a aussi marqué Tabou Combo par son départ. Adventiste pendant tout son passage dans le groupe, Pironneau était contraint de rester dans le groupe sous pressions familiales, dont les insistances de sa femme. À la faveur de mésententes avec Fanfan Ti bòt, il s’est retiré après environ quinze ans de services rendus.

Herman Nau et Jean-Claude Jean, deux figures de proue, ont aussi laissé le groupe pendant quelques années. Ils se sont tous deux installés en Haïti alors que Tabou Combo évoluait encore à New York. À la fin des années 1980, Jean-Claude avait intégré Superstar Mizik Machin, un groupe basé en Haïti. Au début des années 2000, Herman Nau était quant à lui secrétaire d’État à la jeunesse et au sport sous la présidence de Jean Bertrand Aristide.

Le départ le plus touchant est celui d’Ernst Marcelin. Il a été fusillé après un bal à New York. Il était un claviériste innovateur qui a apporté sa touche magique dans la sonorité de Tabou Combo dans les années 1980 et 1990.

Un groupe qui rime avec discipline

Herman Nau, toujours considéré comme une main de fer au sein de Tabou, a déclaré dans une longue entrevue accordée à Ayibopost que sa rigueur pendant plusieurs décennies a contribué aux accomplissements du groupe. « À plusieurs reprises, j’ai eu des ennemis dans le groupe ; on m’appelle souvent dictateur, dit-il. Je dis toujours aux musiciens de Tabou que si on a peur de se créer des ennemis, on n’apporte pas de changements. »

Herman Nau avoue qu’au sein du groupe, il y a un grand respect mutuel, mais il s’impose en chef et propriétaire, à chaque fois que le besoin se fait sentir. Selon lui, depuis 1970 quand Tabou Combo s’est installé à New York, tous les musiciens reçoivent le même salaire. « J’interdis l’alcool et le tabac avant et pendant les spectacles, déclare-t-il. Les musiciens sont dans l’obligation d’appliquer mes instructions, sinon leur place est ailleurs », conclut-il.

 Le Tabou Combo d’aujourd’hui

Tabou Combo compte encore cinq membres influents qui sont actifs depuis plus de cinquante ans. Herman Nau, Yvon André (Kapi) et Jean-Claude Jean, sont là depuis décembre 1966, tandis qu’Yves Joseph (Fanfan Ti Bòt) et Roger M. Eugène (Shoubou) ont rejoint les rangs en 1968. L’autre musicien le plus ancien est le tambourineur Reynald Valmé qui a intégré le groupe au début des années 1980.

Il y a quelques nouvelles têtes. « Papito », le nouveau chanteur, Alex Mathieu, le jeune bassiste sans oublier Rudy Nau (fils d’Herman) à la batterie sont les nouvelles figures de la formation musicale quinquagénaire. Le groupe veut se rajeunir avec des jeunes disciplinés qui suivront à la lettre sa philosophie.

Les albums de Tabou Combo :

 – Haïti/Yapatia (1969)

– Disque souvenir (1970)

– Tabou À La Canne à sucre (1972)

– Respect (1973)

– 8th Sacrement (1974)

– The Masters (1975)

– Indestructible (1976)

– L’an 10 (1977)

– The music machin (1978)

– Voye monte (1979)

– Bese Ba (1980)

– Et alors (1981)

– Boléro Jouk Li Jou (1981)

– Pataje (1982)

– Min Sirop (1983)

– Allo Allo (1984)

– Incident (1986)

– Kite M Fè Zafè M (1987)

– Aux Antilles (1988)

– Zap Zap (1991)

– Go Tabou (1992)

– Rasanble (1994)

– Référence 1996

– Sans Limites (2000)

– Préjugé (2001)

– Taboulogie (2005)

– Konpa To The World (2010)

Nazaire « Nazario » Joinville

Cet article a été mis à jour. 14.20 22.09.2020

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

    Comments

    Leave a reply

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *