La Quinzaine Handicap et Culture leur permet d’exprimer leurs talents
Lovely Brogard a perdu l’un de ses pieds le 12 janvier 2010, lors du tremblement de terre. À l’époque, elle étudiait les sciences comptables et prenait des cours de danse. À la suite de la tragédie, la jeune femme avait fait une croix sur ses rêves de danseuse.
Rebecca Nauris, elle, souffre aussi de handicap moteur. En 2008, elle a été victime de l’effondrement de son école, La Promesse collège évangélique, à Nérette (Pétion-Ville). « J’ai une prothèse et une orthèse, explique-t-elle. Cela veut dire que j’ai un pied qui a été coupé, et l’autre pied a été endommagé, donc ils ont mis un appareil dessus. »
L’avenir de ces jeunes femmes s’est d’un coup assombri, après ces tragédies. Mais une rencontre va changer leur vie, celle de Johny Zéphirin, conteur et metteur en scène, et organisateur du festival de la Quinzaine handicap et culture.
C’est en 2016 que les deux jeunes femmes ont fait sa connaissance. Lovely Brogard était alors membre de la Congrégation des aveugles d’Haïti. Quant à Rebecca Nauris, c’est grâce à l’Association Filles et Femmes au Soleil, dont elle fait partie.
Aujourd’hui, Lovely Brogard joue des comédies musicales avec la troupe Teyat Toupatou et se produit à chaque édition de la Quinzaine Handicap et Culture. Rebecca Nauris, elle, tout comme Cindy Pierre Louis, une non voyante, est considérée par le metteur en scène comme l’une des meilleures comédiennes de la troupe.
« Lorsque nous sommes en train de nous produire, le public ne regarde pas notre handicap, dit Lovely Brogard, danseuse unijambiste. C’est ainsi que je me sens lorsque je suis sur scène. Mon handicap n’est ni un défaut ni ma limite. »
Pour les organisateurs de la Quinzaine Handicap et Culture, ces personnes en situation de handicap physique qui jouent, dansent ou disent des contes, sont le meilleur plaidoyer et la meilleure campagne de sensibilisation pour leur intégration dans la société haïtienne.
Leur talent, pas leur handicap
Johny Zéphirin était encore à la Faculté des sciences humaines lorsqu’il décida de travailler à connecter les personnes en situation de handicap avec l’art et la culture haïtienne. En tant que futur travailleur social, il était à l’époque très critique envers la prise en charge du besoin d’intégration de ces personnes.
« J’ai remarqué que les organisations qui travaillent dans ce champ sont plus intéressées à exposer les handicaps dont souffrent les gens, que leurs capacités et leurs talents », déplore Johny Zéphirin.
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En 2014, grâce à une résidence d’écriture à l’occasion de la onzième édition du Festival Quatre chemins, Johny Zéphirin monte un projet de spectacle avec des personnes souffrant de handicap physique, à Gonaïves. Ils ont travaillé sur l’une de ses pièces intitulée « Moi au bout de l’exil ».
Les représentations ont connu un véritable succès ; une tournée nationale fut même organisée. Et c’est à ce moment que l’idée de la Quinzaine Handicap et Culture est venue à l’esprit de Zéphirin.
Lorsque nous sommes en train de nous produire, le public ne regarde pas notre handicap.
– Lovely Brogard, unijambiste
L’idée était de créer une structure qui organise des activités culturelles pour les personnes en situation de handicap durant toute l’année. Cela pousserait les autorités et la société civile à cesser de penser à elles seulement le 3 décembre, Journée internationale des personnes handicapées.
« Il n’y a pas de meilleure sensibilisation ou plaidoirie, que lorsque nous sommes sur une même scène, dans un même espace, avec d’autres personnes qui ne souffrent pas de handicap, pense Jonas Lamarque, un jeune malvoyant. Il faut cesser de répéter que les personnes handicapées sont talentueuses, et leur permettre de le prouver elles-mêmes face à un public. »
Besoin de formation
Comme Nauris ou Brogard, Jonas Lamarque a pris contact avec Zéphirin grâce à son organisation. Pour lui, c’était la Société haïtienne d’Aide aux Aveugles. Il avait pris part à un atelier sur la canne sonore, à l’une des éditions de la Quinzaine Handicap et Culture.
« J’ai aimé l’initiative, donc je suis resté », partage Jonas Lamarque. En 2020, pour la première fois, ce jeune malvoyant de 28 ans était formateur, durant la Quinzaine Handicap et Culture. Il animait un atelier de lecture poétique en braille.
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Jonas Lamarque et beaucoup d’autres artistes travaillant avec le festival étaient déjà des amoureux de la danse ou du théâtre. Les activités telles que les ateliers leur ont permis de se former et de grandir dans l’univers artistique haïtien.
En 2020, les organisateurs de la Quinzaine ont proposé un atelier de sculpture à des non-voyants et un atelier de peinture avec des personnes sourdes. Leurs œuvres ont été exposées le 3 décembre. Brisson Joseph, un non-voyant a pris part à l’atelier de sculpture avec Woodly Caymitte, dit Filipo.
Les personnes souffrant de handicap ne sont pas toujours bien intégrées dans les festivals.
Avec de l’argile, Joseph a modelé un buste. Sa première œuvre. Il y a pris goût. « J’ai apporté de l’argile chez moi, et j’ai continué à modeler des têtes, raconte-t-il. J’en ai fait plusieurs, et j’ai montré des photos au professeur. Il les apprécie. Si les gens aiment vraiment mon travail, je pense que je vais continuer et peut-être en faire mon métier. »
Mais les séances de formation ne sont pas uniquement pour les personnes souffrant de handicap. Il y a aussi des cours de langue des signes, ou des spectacles de lecture poétique en braille, pour des personnes qui n’ont pas de déficience visuelle. L’inclusion des personnes souffrant d’un handicap, pour Johny Zéphirin, c’est aussi d’arriver à les plonger dans l’univers de ceux qui n’en ont aucun.
Des espaces non-accessibles
Les personnes souffrant de handicap ne sont pas toujours bien intégrées dans les festivals ou activités culturelles organisées à Port-au-Prince ou dans le reste du pays. De plus, même s’ils ont le soutien de leur famille, les problèmes de déplacement et l’insécurité rendent leur présence difficile.
Il y a en outre les difficultés liées à l’espace. Les organisateurs de la Quinzaine sont souvent obligés de refuser d’utiliser un lieu, à cause de son manque d’accessibilité. Un aspect qui est trop souvent négligé chez les opérateurs culturels en Haïti, d’après les observateurs. Pas de programmation imprimée en braille pour les festivals, ou de traducteur en langue des signes pour les concerts ou les représentations théâtrales, par exemple.
En 2021, la Quinzaine Handicap et Culture sera à sa 6e édition, sous le thème « L’art au service d’une cause ». Cependant, l’avenir s’annonce incertain. Organiser des activités culturelles en tenant compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap, apporte des soucis en plus pour ces opérateurs culturels.
Par ailleurs, il est de plus en plus difficile d’obtenir un financement pour les activités culturelles en Haïti. Le monde post Covid-19 tend à classer ce secteur d’activité de non essentiel.
Hervia Dorsinville
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