Le refus de l’ONU de se remettre en question sapera tout effort visant à « répondre aux causes profondes de l’instabilité en Haïti », écrit Juwendo Denis, Directeur de la recherche et des publications à Policité
Au cours de son intervention devant le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) le 19 juin 2020 (une traduction est disponible ici) la représentante spéciale du secrétaire général en Haïti, madame Meagher, a préféré passer sciemment sous silence, entre autres, la corruption endémique qui exaspère les Haïtiens et qui mine le développement du pays, les inégalités économiques et sociales inhérentes à un système en décrépitude soutenu par la communauté internationale et dont les Haïtiens ne veulent plus.
Elle a, de préférence, repris certains éléments de langage très stéréotypés à propos d’Haïti et des formules insistantes bien maîtrisées par une communauté internationale qui ne jure que par le maintien du statu quo.
Pour parler de l’absence de réponse adéquate de l’actuel gouvernement à la crise sanitaire liée à la pandémie du nouveau Coronavirus, madame Meagher a opté pour la stigmatisation de la population haïtienne quand elle parle de la « manifestation du climat de déni, de stigmatisation et de discrimination qui persiste dans le pays ». En vrai, madame Meagher fait référence à une population trahie aussi bien par son gouvernement que par la communauté internationale, et dont les conditions de vie ne cessent de dégrader.
Comprendre l’origine de la crise de confiance qui existe entre les gouvernants et gouvernés en Haïti nécessite une réflexion historique et structurelle très profonde. Les déclarations de la représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti à ce sujet sont simplistes et méritent d’être contextualisées.
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Madame Meagher s’est, d’une part, montrée complètement indifférente face à la situation d’aberration dans laquelle pataugent des millions d’Haïtiens. D’autre part, elle a souillé la mémoire des victimes des massacres perpétrés contre la population, en invoquant respectivement des avancées en matière de développement et de sécurité publique enregistrées dans le pays. Pour Meagher, « des gains en termes de sécurité et de développement acquis lors des quinze dernières années risquent de disparaître ».
Il serait par ailleurs judicieux pour Madame Meagher de préciser les principaux bénéficiaires des avancées en matière de développement qu’Haïti ait connues. L’oligarchie haïtienne ? Les organisations non gouvernementales internationales ? Ou ceux-là mêmes qui ont bénéficié de l’argent de la reconstruction ? La population haïtienne n’a « hérité » que de l’inflation, des inégalités, du dérèglement climatique, des conditions de vie extrêmement précaires.
L’Organisation des Nations unies, qui a introduit le choléra en Haïti, essaie par la voix de la représentante de son secrétaire général en Haïti de répandre un sentiment de peur dans les pays de la région par rapport à une éventuelle explosion du nombre de migrants et de réfugiés que la situation en Haïti pourrait engendrer. Elle parle d’un « problème local qui pourrait se transformer en problème régional, au cas où la situation humanitaire se serait aggravée davantage, et au cas où de nombreux Haïtiens seraient tentés d’émigrer à l’étranger. » Ce discours contribue indéniablement à exacerber le racisme dont sont victimes nombre d’Haïtiens et à attiser l’anti-haitianisme déjà prégnant dans certaines sociétés de la région.
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Madame Meagher tente, une nouvelle fois, d’incriminer les Haïtiens quand elle parle du « cercle vicieux de la méfiance, récrimination et de la violence qui commence à définir le paysage de la politique en Haïti ». Pourtant, elle n’admet pas le rôle actif de l’ONU, de l’organisation des états américains et des acteurs internationaux qui ont largement contribué à l’instabilité politique qui sévit en Haïti en supportant un président décrié, un président, épinglé dans le scandale de détournement des fonds du projet « PetroCaribe » et dont un large pan de la société haïtienne demande le départ.
L’incohérence dans la démarche de la représentante du secrétaire général en Haïti, feignant de promouvoir un dialogue national et inclusif devant aboutir à une « réforme de la Constitution » qu’elle veut imposer aux Haïtiens, saute aux yeux. Un « processus national » doit, avant tout, être le fruit de l’engagement des acteurs clés de la vie nationale. Ce processus doit apporter des réponses aux besoins de la population, et non un espace servant à valider l’agenda politique de la communauté internationale. Une « réforme de la Constitution » n’engage que les Haïtiens et ne devrait être nullement propulsée par une quelconque initiative de l’international.
Le refus de l’ONU de se remettre en question sapera tout effort visant à « répondre aux causes profondes de l’instabilité en Haïti ». Ce déni de vérité sidère. La communauté internationale en général, et l’ONU en particulier devraient examiner le rôle qu’elles ont joué dans le maintien dans l’abjection de la population et, prendre, en conséquence, la décision de réparer les dommages causés. L’ONU devrait, en autres, se mettre à la hauteur des revendications du peuple haïtien, indemniser les victimes du choléra, au lieu de fournir une protection sans faille aux bourreaux des violences politiques, sociales, économiques, et environnementales orchestrées contre la population haïtienne.
Juwendo Denis, PhD en Télécom
Directeur de la recherche et des publications, Policité
Chercheur à l’Université d’Illinois à Chicago
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