L’importation des jouets sexuels reste interdite dans le pays
« Est prohibée l’importation des marchandises suivantes : […] les livres, les brochures ou autres imprimés ou écrits, tableaux ou illustrations, figures, films ou autres objets d’un caractère obscène ou pornographique. »
C’est un extrait de l’article 52 du code douanier haïtien. Selon ses dispositions, les objets obscènes ou pornographiques sont sur la même liste d’interdiction que les armes de guerre, les appareils pour imprimer de la fausse monnaie, ainsi que les stupéfiants. Ils ne doivent pas être vendus sur le territoire national.
Pourtant, l’utilisation de sextoys, ou jouets sexuels, est de plus en plus répandue dans le pays. Vibromasseurs, strapons pour lesbiennes, culottes vibrantes, il y en a pour tous les goûts. Plus encore, c’est une activité florissante pour les entrepreneurs, surtout pendant la pandémie du Covid-19, même si les tabous ont la vie dure sur le sujet.
Vivre de sextoys
Richard est un vendeur de sextoys. Le jeune homme a étudié la finance à l’Université Quisqueya. Son entreprise Plezi Pa m Sextoys existe depuis deux ans. Il assure que lors de certaines périodes, les ventes observent un pic.
« Je n’arrive pas encore à comprendre, dit-il, mais pendant le peyi lòk de l’année dernière, les ventes étaient excellentes. En deux semaines, j’ai vendu un stock de produits estimés à 1 500 dollars américains. Cette année, après les deux premiers cas de Covid-19 enregistrés en mars, les demandes ont aussi augmenté. En plus, mes produits ne sont pas chers. Celui qui coûte le plus avoisine les 55 dollars américains. »
Pierre Lochard Joseph est un jeune entrepreneur capois de 24 ans. Lui aussi est un vendeur de sextoys. Il y a quelques mois, sa petite amie et lui ont créé Sensuality store, une boutique spécialisée dans la vente de lingerie « sexy » et d’accessoires pour le sexe. L’entreprise est encore jeune et se fait à peine connaître, mais les demandes augmentent. D’après Joseph, même si toutes ces sollicitations n’aboutissent pas à une vente, le coronavirus est propice pour ses affaires. « Je ne sais pas si c’est à cause du confinement, dit-il, mais en ce moment les clients appellent beaucoup plus pour les jouets que pour la lingerie. »
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Le jeune homme a beaucoup hésité avant de se lancer dans la commercialisation de ces jouets sexuels. « J’avais entendu dire que c’était illégal, explique-t-il. Je me suis renseigné. Des avocats m’ont expliqué que les sextoys n’avaient rien de pornographique. De plus, il existe certaines formes de sextoys que personne ne prendrait pour tel. J’évite toutefois d’en vendre à des mineurs. »
Pour Richard, cette interdiction illustre l’hypocrisie de la société. « Je ne connais pas un sextoy qui a tué des gens, dit-il. Mes produits font plus de bien que de mal, c’est pour cela que ma conscience est tranquille. J’ai même vendu des gadgets à un agent douanier. C’est lui qui m’a informé que les sextoys étaient illégaux. »
Quoiqu’il en soit, il y a des sextoys pour toutes les catégories. « Le gadget le plus cher coûte 100 dollars américains, raconte Pierre Lochard Joseph. C’est un accessoire pour lesbiennes, appelé strapon. Le moins cher coûte 50 dollars. Mais ce qui intéresse vraiment les gens ce sont les vibromasseurs. »
De toutes les couleurs
Caroline, Catherine ou encore Patricia ont toutes une chose en commun : elles utilisent un vibromasseur. Dora, jeune journaliste, quant à elle a un godemiché, accessoire en forme de pénis. Sur les recommandations d’autres amies proches, elles se sont procurées ces objets qui, affirment-elles, les comblent de plaisir.
« J’ai acheté mon vibromasseur alors que j’étais à l’étranger, dit Caroline, jeune femme de 26 ans. Je n’ai eu aucun problème à le faire entrer. La première fois que je l’ai utilisé, j’ai cru m’étouffer de plaisir. Je n’ai jamais pu retrouver cette sensation, mais j’aime l’utiliser. »
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Quant à Dora, cela fait plus de cinq ans qu’elle ne se passe plus du cadeau que lui avait fait un ami. « Je me masturbe depuis toute petite, explique-t-elle. Mais je ne savais pas vraiment ce que c’était. Maintenant que j’ai le godemiché, je l’utilise à l’envie. Je ne le prête pas à mes amies, je ne voudrais pas l’utiliser ensuite. »
Il existe des sextoys de toutes les formes, et de toutes les couleurs. Certains peuvent être facilement pris pour du rouge à lèvres. C’est l’erreur qu’a failli commettre Patricia, employée du ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales. « Dans le sac d’une amie, j’ai vu le petit objet. J’allais me farder les lèvres quand elle m’a dit que c’était un gadget sexuel. C’est à ce moment que j’ai voulu m’en procurer un. »
Le regard culpabilisateur d’autrui
Même si la tendance semble être de plus en plus à l’émancipation, surtout grâce aux réseaux sociaux, certains préjugés ont la vie dure. « Parler de sexe est tabou, dit Catherine. Alors, encore plus parler de gadget sexuel. C’est certain que les gens auraient une mauvaise opinion de moi s’ils le savaient. Même entre adeptes de sextoys on se sent parfois gênées d’en parler. »
C’est ce que croit Dora également. « Je ne crierais pas sur tous les toits que j’ai un sextoy, dit-elle. Et bien que je sois très active sur les réseaux sociaux, pour en parler j’aurais préféré créer un compte anonyme. Mais tout cela c’est de l’hypocrisie, car finalement, c’est comme pour la marijuana : beaucoup en consomment, peu en parlent. »
Et si certaines sont ouvertes sur la question, toutes les femmes ne voient pas d’un bon œil l’utilisation de vibromasseurs, godemichés et autres gadgets sexuels. C’est le cas de Mélissa, Haïtienne de la diaspora. D’après elle, le sexe est une question de confiance mutuelle.
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« Je ne me vois pas introduire en moi un objet en plastique, affirme-t-elle. Celles qui les utilisent le font sous influence, pour se sentir cool. Il est vrai qu’un sextoy ne peut pas t’infecter sexuellement, mais il peut causer des déchirures ». De confession chrétienne, Mélissa assure que la Bible n’est pas non plus favorable à ces pratiques.
D’autres femmes n’utilisent aucun gadget parce qu’elles n’en éprouvent pas l’envie. « Mon copain me suffit, dit Stéphanie Cherestal. Mais je ne juge personne. Une femme a le droit de connaître son corps, et s’il lui faut un sextoy pour cela, je ne vois pas le problème. »
Jouets coquins et couples
Patricia se souvient de la réaction de son partenaire quand il a su qu’elle possédait un vibromasseur. Il était très remonté. « Il m’a demandé de le jeter, se rappelle-t-elle. Pour lui, c’était une abomination. »
Par peur d’une réaction similaire, Dora n’a jamais avoué à ses partenaires qu’elle en possédait. « Je sais qu’ils pourraient se sentir inférieurs, dit-elle. Ils pourraient croire que c’est parce qu’ils ne me satisfont pas que je l’utilise. Je ne veux pas blesser leur fierté. Pour moi, la relation physique est aussi très importante, mais je ne pourrais pas me passer du gadget non plus. »
Mais tous les couples ne sont pas divisés sur la question. « J’étais dans une relation à distance, explique Caroline. Mon compagnon de l’époque avait admis que c’était une façon de compenser son absence. Dans la relation que j’ai maintenant, nous l’utilisons régulièrement dans nos ébats. Cela ajoute du piment. »
Quant à Catherine, elle assure que pour son partenaire, il est excitant de la voir utiliser ses gadgets lors de l’acte sexuel. « On s’entend bien là-dessus, dit-elle. »
Catherine Solano, médecin et sexologue française, auteure de nombreux livres sur la sexualité, dont « La mécanique sexuelle de l’érection », croit que « l’envie de sortir de la routine sexuelle » peut inciter à l’utilisation de ces jouets.
Des hommes convertis
Kanis est un jeune homme de 27 ans. Il assure qu’il y a quelques années, il voyait d’un très mauvais œil les femmes qui utilisaient ce genre de gadgets. « Je croyais qu’elles allaient développer une relation exclusive avec cet objet. Pour moi, c’était obscène comme image. »
Aujourd’hui, il ne croit plus que seule une femme de mauvaise vie peut décider de se satisfaire. « J’ai fini par comprendre que c’était comme la masturbation. Si les hommes peuvent se masturber, pourquoi pas les femmes ? J’ai moins de complexes maintenant. Je crois même que je pourrais en acheter pour ma copine si elle le souhaitait. »
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Catherine Solano estime que les hommes sont en général « attirés par les objets techniques… et espèrent trouver des solutions mécaniques (plutôt que psychologiques) à leurs difficultés. ». Cela pourrait selon elle expliquer pourquoi certains hommes voudraient utiliser des sextoys avec leurs partenaires.
Selon Joseph Pierre Lochard, il y a plus d’hommes que de femmes à l’appeler pour se procurer ses gadgets. « De plus, poursuit-il, les femmes qui me contactent ne savent pas toujours ce qu’elles veulent. Je leur explique alors que tout dépend de la sensation recherchée, il faut un gadget spécifique. »
Sextoys comme thérapie ?
Même si les jouets sexuels ont pour première raison d’être de donner du plaisir à celles et ceux qui les utilisent, ils peuvent aussi être utilisés en sexothérapie, pour traiter le cas de quelques patients. C’est ce que croit la sexologue française Caroline Le Roux. D’après elle, les sextoys peuvent traiter l’anorgasmie et le vaginisme.
Une femme souffre d’anorgasmie quand elle est « dans l’incapacité d’avoir un orgasme avec son ou sa partenaire ». Dans ce cas, la sexologue croit que la thérapie peut commencer par la masturbation, car il « s’agit souvent de femmes qui ne se masturbent pas ». L’orgasme sera vite atteint par la suite par l’utilisation d’un sextoy.
Les cas de vaginisme se rapportent à « une contracture involontaire des muscles du périnée, rendant impossible toute pénétration, même d’un tampon hygiénique ». Dans ces cas, Caroline Le Roux pense à l’utilisation de sextoys spécifiques, capables peu à peu d’habituer la femme à la pénétration.
Jameson Francisque
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