« Ici en Haïti, notre vie aussi devrait compter. Notre Derek Chauvin (le policier meurtrier) a le plus souvent la peau aussi noire que nous et nous l’appelons frère. »
Depuis que j’ai visionné l’horrible vidéo de cet homme noir tué par ce policier blanc aux États-Unis le 25 mai dernier, je suis devenue fébrile. L’image me hante encore l’esprit. Georges Floyd, 46 ans, non-armé, menotté, face contre terre, criant « Je ne peux pas respirer », le cou sous le genou de l’agent, avant d’aller ad patres.
Moi qui ne suis pas fan de télévision, je la garde allumée depuis, afin de pouvoir suivre le déferlement des mouvements antiracistes, mais aussi toutes les informations relatives à cette affaire.
J’en ai la conviction. Je suis en train de vivre un moment historique particulier.
Mais je n’ai pas arrêté non plus de réfléchir, car hormis sa visée première qui est le chambardement d’un système — selon que l’on considère la société, la politique, l’économie, etc. — une révolution sert aussi à inspirer un changement le plus souvent nécessaire dans d’autres sociétés.
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Le mouvement « Black Lives Matter » qui resurgit dans le contexte où le racisme systémique américain frappe en pleine poire est plus qu’un simple hashtag. C’est une toute nouvelle façon d’éduquer les noirs-e-s sur leur histoire. Et parfois une révolution peut avoir le même but ou finalité, mais différents adversaires.
Les Africains-Américains, les protestataires pour être plus précise, se battent contre la haine qui caractérise une société qui donne au blanc le droit de vie et de mort sur un (e) noir-e. Ils veulent que leurs vies pèsent sur la balance en tant qu’humains.
Et si on déplaçait cette réalité vers la nôtre ? Ici en Haïti, notre vie aussi devrait compter. Notre Derek Chauvin (le policier meurtrier) a le plus souvent la peau aussi noire que nous et nous l’appelons frère.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter lorsque des massacres ont lieu dans certains quartiers populaires, comme Cité Soleil, La Saline, Martissant, Pont Rouge, et qu’on ne bronche pas.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand on est kidnappé-e et/ou violé-e sous le nez de ces « dirigeants » qui ne dirigent rien.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand les grandes institutions de la société gardent leur mutisme face aux dénonciations de viol contre un président de fédération de football, jusqu’à attendre une sanction internationale.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand des manifestants, non-armés, sont tués pour avoir demandé de meilleures conditions d’existence, quand le destin d’un garçon de 14 ans est de mourir sous les yeux de sa mère, d’une balle à la tête.
La vie des noirs compte #BlackLivesMatter quand 5 minutes de pluie suffisent pour emporter des vies.
La vie des noirs compte #BlackLivesMatter quand manger devient un luxe que plus de quatre millions de personnes ne peuvent se permettre.
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La vie des noirs compte #BlackLivesMatter quand nous payons des taxes à la Caisse d’Assistance sociale tous les mois alors que les personnes handicapées de chez nous vivent dans des taudis, dans l’indignité.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand donner naissance dans ce pays devient un macabre jeu de cache-cache avec la mort.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand on s’accommode, qu’on s’arrange plutôt que de forcer l’Etat à assumer ses responsabilités.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand ceux qui demandent #KotKobPetwoKaribeA sont traités de voyous, récoltent la mort sur le macadam brûlant, alors que les corrompus circulent partout sans crainte et sont traités comme des « honnêtes gens ».
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand aucune structure n’est mise en place par ceux et celles qui se sont succédé à la tête de l’État pour nous protéger, nous aider et qu’on accepte de remettre notre sort à Dieu.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand être noir-e peut porter préjudice dans la Première République NOIRE et LIBRE du monde.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand une minorité, une oligarchie compradore, aidée de certains gourous antipatriote, affamés, retiennent tout un pays en otage.
La vie des noirs compte, #BlackLivesMatter quand certains noms valent plus que des années d’études et d’expériences.
Alors, utilisez cette grande fougue dont vous faites montre à l’égard de la lutte contre le racisme aux USA (qui est la lutte de tous les noirs du monde) pour supporter aussi la lutte contre l’insécurité, la pauvreté, la corruption qui empêchent votre société de « respirer ».
Je sais que beaucoup d’entre vous avez peur de sortir de votre zone de confort, perché sur votre trône virtuel pour oser une action concrète. Toutefois, pour reprendre mon ami Yenny : « Ne soyons pas étonnés si la lutte ne trouve pas écho auprès de certains, car même lors de la révolution de 1804, tous les esclaves n’aspiraient pas à la liberté. »
Wenshe R. C. Jean
Photo couverture: Hector Retamal / AFP
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