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«Les rapports sexuels sont violents» et autres calvaires d’une Haïtienne violée par son mari

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En Haïti, certains pensent qu’il est un devoir conjugal d’être toujours disponible sexuellement pour son mari, même quand on n’en aurait pas envie. Deux professionnelles expliquent pourquoi le viol conjugal reste problématique

Solange Noël est mariée depuis huit ans. Sa relation avec son conjoint n’est pas au bon fixe.

« Il m’accuse du fait qu’on n’a jamais eu d’enfant alors qu’il s’oppose à ce qu’on suive tous les deux un traitement chez un spécialiste en fertilité » dit la dame. « En plus, mon mari est très jaloux. Il veut m’isoler de tous les gens que j’ai connus avant d’être mariée, il m’a même interdit d’aller voir ma famille ».

Noël explique que depuis quelque temps son mari ne l’attire plus sexuellement, parce que celui-ci a souvent eu des rapports intimes avec elle sans son consentement.

« Les rapports sexuels sont de plus en plus violents. Je me rappelle qu’un soir, il a déchiré ma nuisette », rapporte la dame avec tristesse. « Il m’a pénétré avec tellement de dégoût que je me suis sentie humiliée, alors que lui semblait prendre du plaisir dans l’acte. Ce soir-là, j’ai juré que j’allais porter plainte contre lui. Le lendemain, la nuisette déchirée n’était plus là. »

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Selon la sexologue Laetitia Degraff, le viol est un acte de pénétration sexuelle forcé sur une victime. L’acte s’exerce sans consentement, sous pression ou avec menaces. « Dans le cas d’un viol conjugal, dit-elle, cela se passe dans le couple, c’est à dire entre deux personnes partageant une vie conjugale (en étant en relation, mariés ou en concubinage). »

Depuis l’adoption par l’ONU de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes qui reconnait le viol conjugal comme une forme de violence basée sur le genre, une vingtaine de pays africains ont modifié leur loi pour bannir et punir cet acte. Cependant, dans à peu près la moitié des pays de l’Afrique subsahariens, aucune loi spécifique ne vient interdire à un homme de violer sa conjointe.

En Haïti, la loi punit le viol généralement, mais reste silencieuse sur les instances de pénétrations forcées dans les couples. Selon une étude sortie en 2017 par le Copenhagen Consensus Center et Haïti Priorise, environ 300 000 femmes haïtiennes, soit 9,4 % de la population féminine âgée de 14 à 49 ans sont victimes de graves violences physiques et sexuelles, incluant le viol conjugal.

Manifestation de la domination

Degraff souligne que tout rapport sexuel non consenti constitue un viol. Et le fait que deux personnes soient en couple ou mariés n’enlève pas le droit de consentir à des rapports sexuels.

La spécialiste ajoute que le viol est une manifestation de la domination et de la possessivité de l’agresseur sur sa victime. Elle relate qu’assez souvent, l’on remarque que le viol conjugal survient dans une relation de couple déjà abusive où l’un des conjoints violents agresse l’autre physiquement ou psychologiquement.

Selon Degraff, les impacts des abus peuvent être multiples tant sur le plan psychologique que sur le plan physique pour la personne qui les a subis.

« Il y a d’abord l’isolement », explique Degraff. « L’agresseur tentera d’isoler sa partenaire de ses proches pour avoir une emprise sur elle. Il y a aussi la dépression et le stress post-traumatique : la personne vit dans la peur que les violences et/ou le viol se reproduisent. Ce qui peut l’amener entre autres à avoir des troubles du sommeil, troubles alimentaires, de l’angoisse, de l’addiction à l’alcool ou la drogue, une grossesse non désirée ou même des maladies sexuellement transmissibles (MST). »

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La spécialiste avance que certains de ces effets peuvent persister même après que la relation prenne fin. Et il peut être difficile pour la victime de s’attacher, de faire confiance, ou d’avoir des relations sexuelles avec un autre partenaire.

La sexologue signale que le contexte dans lequel se produit l’agression n’est pas à négliger.

Quand il s’agit d’une relation abusive, rajoute Degraff, la femme a souvent besoin d’un accompagnement pour pouvoir s’en sortir. « L’intervention psychosociale visera à rendre la victime consciente de la situation d’abus et de l’emprise dans laquelle elle se trouve. Cette démarche s’inscrira d’abord dans le but d’éviter une escalade de la violence et éventuellement de mettre un terme à la relation, si la vie de la personne est en danger. » 

Aucune mention dans la législation

En dépit des impacts négatifs que le viol conjugal peut avoir sur la vie d’une personne, l’avocate Dilia Lemaire soutient la législation haïtienne ne dit rien à ce propos. Lemaire est membre du Mouvement des femmes pour l’éducation et le développement (MOUFHED) qui est une association dont la mission est de promouvoir et défendre les droits des femmes en Haïti.

« Même la notion du viol tout court n’a pas de définition stricte dans la législation haïtienne », rapporte Lemaire.

« Le viol est puni par la loi en Haïti, c’est un crime, mais il n’est pas clair, continue la spécialiste. Haïti a ratifié en 1994 la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (ou Convention Belém do Pará), mais cet [instrument juridique] appréhende la violence de manière générale. Il n’y a pas une partie spécifique qui traite des violences conjugales voire du viol conjugal. »

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Au-delà de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par Haïti en 1981, des tentatives pour inclure et définir cette infraction dans la législation haïtienne se sont révélées infructueuses, jusqu’à date.

« En nous inspirant de la convention [Belem Do Para], nous avons proposé une loi sur les violences conjugales qui pourrait traiter du viol conjugal que la sénatrice Dieudonne Lima a présenté au Sénat. Malheureusement, cette loi n’a pas été votée », regrette Me Lemaire qui ajoute que la législation haïtienne a longtemps traité la femme mariée comme étant mineure.

« Le Code civil haïtien, dit-elle, en son article 197 stipule que le mari doit protection à sa femme alors que la femme doit obéissance à son mari. Le législateur n’a pas prévu des conditions où la femme pourrait désobéir à son partenaire. Cet article a été abrogé par la loi du 8 octobre 1982 qui confère à la femme mariée toute son autonomie. Cependant, dans les us et les coutumes, les rapports entre un homme et une femme dans le couple demeurent presque pareils », explique l’avocate.

Problème occulté

Dilia Lemaire avance que le problème du viol conjugal n’est même pas posé dans la société haïtienne. Elle explique que depuis les 27 ans d’existence du MOUFHED, aucune femme n’a porté plainte contre le viol conjugal. Alors que dans leurs discussions, les femmes parlent du devoir conjugal qu’elles ont envers la personne avec qui elles partagent leur vie. Ce devoir, ajoute Me Lemaire, inclut la disponibilité sexuelle.

Solange Noël dit qu’elle a fait plusieurs tentatives pour se séparer de son époux, mais ses proches lui ont toujours conseillé de trouver une entente avec lui. Cette entente, d’après elle, n’est pas près d’arriver.

« Quand deux personnes s’installent ensemble qu’elles soient mariées ou pas, l’homme pense qu’il a tous les droits sur la femme, explicite Lemaire. La société le voit comme tel et dans beaucoup de cas, même la femme n’imagine pas qu’elle puisse dire non à son mari pour un acte sexuel. Une fois au tribunal, j’ai entendu un homme dire au juge qu’il a payé la bague à sa conjointe, qu’il lui a donné le statut de femme mariée et que celle-ci lui devait des obligations. »

Complicité de la justice

Dilia Lemaire raconte qu’il est difficile pour une femme de se présenter au tribunal quand elle est victime de violence. Selon elle, les juges banalisent souvent les violences faites aux femmes. « Il est d’autant plus difficile quand le violeur partage le lit de la victime, argumente-t-elle. Même quand la femme détient des preuves qui montrent qu’elle est violentée, le juge l’envoie souvent se réconcilier avec son agresseur. »

Me Dilia Lemaire affirme que pour de multiples raisons dans un couple, l’un des conjoints peut refuser d’avoir des rapports intimes pour une période plutôt longue. Selon elle, cela peut résulter entre autres d’un problème de santé ou d’une tension qui n’est pas digérée au sein de la relation. Dans de telles circonstances, l’avocate conseille aux couples de rechercher de l’aide plutôt que de recourir à la violence.

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Dans le cas où deux époux n’ont pas consommé leur mariage, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de relations sexuelles dans le couple, l’avocate souligne que ce mariage peut être annulé. « Je dis annulation et non divorce parce qu’on parle de divorce quand le mariage est consommé. »

En dépit des failles de l’appareil judiciaire haïtien, Lemaire encourage toutes les femmes à porter plainte contre leur époux violent, « même quand je sais que c’est difficile et que les procédures judiciaires peuvent être longues et lassantes. »

En Haïti, c’est souvent l’homme qui prend soin de la famille. « La femme dans de tels cas n’a d’autres choix que de se soumettre », observe Lemaire. « Malgré tout, [elles] doivent sortir de leur mutisme. Les organisations de droits humains doivent continuer de faire des débats autour des violences faites aux femmes en général et le viol conjugal en particulier qui constituent un sujet tabou », conclut-elle.

Solange Noël est un nom d’emprunt.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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