En Haïti, rares sont les jeunes filles aux cheveux crépus à remporter les concours de beauté prestigieux. Dans ce milieu, l’usage des extensions de cheveux synthétiques s’impose afin d’attirer les regards
Lors des prestations qui doivent acter leur progression dans les concours de beauté, la grande majorité des jeunes femmes haïtiennes défilent avec des cheveux lisses. Les rares qui n’en portent pas sont sévèrement critiqués par les jurys.
En 2017, Madjolah Pierre s’est portée candidate à Miss Haïti, le plus prestigieux concours de beauté en Haïti. Cheveux crépus, de taille moyenne, élégante et dévouée, elle croyait avoir tout pour être élue Miss Haïti 2017.
« Au cours du déroulement du concours, les remarques portées sur moi par la plupart des jurys concernaient mes cheveux », raconte Madjolah Pierre qui n’a pas été sélectionnée parmi les 10 finalistes dudit concours. « Penses-tu [pouvoir] arriver à la grande finale avec ces cheveux ? Cette coiffure naturelle ne fait pas de toi une miss ! », ce sont parmi les commentaires de certains membres du jury rapportés par l’ancienne postulante surtout dans la première étape du concours.
L’on a recommandé à la jeune candidate d’appliquer des produits pour « friser » ses cheveux. « Je me suis souvent défendu », dit la malheureuse candidate qui s’est fait couronner Miss Beauté Lakay la même année.
Madjola Pierre révèle que tout au long du concours Miss Haïti, les responsables incitaient les postulantes à porter des cheveux lisses pour cadrer avec l’idée qu’on se fait d’un modèle de beauté.
Toutefois, le port des cheveux lisses n’est pas officiellement exigé parmi les critères de participation à Miss Haïti. Sabine Désir, co-directrice nationale du concours, déclare que le type de chevelure importe peu. « On n’impose pas de style ni de modèle. Si l’impétrante veut garder ses cheveux naturels, c’est sa volonté », confie Sabine Désir.
Contactés par AyiboPost, les responsables de Miss World Haïti n’ont pas répondu à l’appel.
Un idéal de beauté
Les questions relatives à la beauté prêtent souvent à controverse. Mais, l’idéal proposé par les concours de Miss en Haïti cadre difficilement avec l’image de la majeure partie des femmes haïtiennes.
Parmi les traits régulièrement mis en valeur, la minceur demeure le plus important, accompagné des longues jambes et des cheveux longs et soyeux.
« Bien que les greffes ou extensions ne soient pas des critères définis, ils sont retenus comme éléments du canon de beauté que cherchent les organisateurs de concours », dit Vitannia Louissaint, deuxième dauphine au concours Miss Haïti Caraïbes 2019.
Elle rajoute que les traitements reçus au sein de ces concours incitent les postulantes à se démarquer de leurs coiffures naturelles. « On a l’impression que les photographes, maquilleurs, coachs et organisateurs ont plus de velléités à vendre l’image d’une postulante aux cheveux lisses, aux teints clairs, etc. », poursuit-elle.
Une imposition de l’international ?
Les grands concours de miss en Haïti préparent leurs candidates pour les compétitions internationales. Certains estiment que les jurés choisissent les jeunes filles en fonction des codes et attentes de ces importantes compétitions.
Vitania Louissaint est celle qui a représenté Haïti au concours de beauté Miss Earth 2019. À l’échelle internationale, raconte Madame Louissaint, les maquilleurs n’ont pas de produits pour maquiller les femmes aux teints noirs.
« Vous devez vous-mêmes vous procurer vos produits de beauté et des crèmes pour la peau. Sinon, ils auront du mal à trouver des produits pour votre teint noir », dit Vitania Louissaint, toute surprise.
Des modèles haïtiens
Parallèlement, pour aider les jeunes filles haïtiennes à se décomplexer face à la texture de leurs cheveux naturels, certains concours offrent la possibilité de postuler avec des cheveux crépus. « Les cheveux crépus et des modèles de femmes typiquement haïtiennes sont vivement encouragés », dit Staëlle Vilsaint coordinatrice de Miss Beauté Kreyòl.
Madjolah Pierre fait savoir que Miss Beauté Lakay promeut la culture haïtienne et valorise les femmes qui décident de s’afficher sans greffes, sans extensions et sans trop de maquillages.
Un débat complexe
Si certaines femmes courageuses et rebelles revendiquent leurs cheveux crépus dans les concours de beauté ou se coiffent carrément à la garçonne, le débat demeure complexe et ne peut se résumer à une approche manichéenne.
Maudeline Jean-Louis, une jeune femme qui porte des cheveux crépus se montre accablée à avoir à les coiffer régulièrement. « Difficiles à démêler, denses, trop secs, les cheveux crépus sont parfois pénibles », révèle-t-elle.
D’autres femmes haïtiennes déclarent tout bonnement : « mwen pè peny ». De ce fait, la plupart d’entre elles ont recours aux dreads locks, à des extensions ou aux cheveux permanentés pour échapper aux séances de coiffures quotidiennes que requièrent leurs cheveux crépus.
Quoiqu’il en soit, l’exposition agressive aux cheveux lisses dans les concours de beauté et à la télévision façonne l’imaginaire de millions d’enfants haïtiens qui, à défaut d’une image alternative, peuvent croire qu’elles ne peuvent être jolies sans porter des cheveux soyeux.
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