Haïti dispose d’un Centre national de l’information géospatiale (CNIGS). Cette institution, peu connue du grand public, produit des cartes géographiques du territoire ainsi que d’autres représentations graphiques, grâce au GPS, à l’acquisition et l’exploitation d’images satellites, ainsi qu’à des relevés de terrain.
Le Centre national de l’information géospatiale est un organisme autonome, rattaché au ministère de la Planification et de la Coopération externe. Son rôle est de produire de l’information géospatiale et cartographique pour tous les secteurs, publics et privés. En clair, le CNIGS produit des cartes territoriales, à partir d’images provenant de satellites et de photographies aériennes.
Les cartes ne sont pas seulement des représentations du territoire physique. Elles peuvent aussi représenter des phénomènes de société. « Nous pouvons tout mettre sur une carte, explique Boby Emmanuel Piard, le directeur général du CNIGS. Il est possible de présenter des données concernant la criminalité par exemple, la justice, les accidents de la route. Les cartes sont des outils qui permettent ensuite aux acteurs concernés d’analyser l’information et de prendre des décisions. »
Dans certains cas, des phénomènes en apparence isolés peuvent être mis en corrélation et représentés visuellement, toujours dans le but de faciliter la prise de décision. « Maitriser l’espace, c’est maitriser l’avenir ».
Comment les images sont-elles obtenues ?
Comme Haïti ne dispose pas de satellites, les images utilisées proviennent de trois principales sources. D’abord, il y a le domaine public. Selon l’ancienneté d’une image satellite, elle devient libre de droits d’utilisation. Les images plus récentes et plus précises sont obtenues grâce à des partenariats dans le cadre de projets comme le Recovery Observatory avec l’agence spatiale française, CNES.
De plus, le CNIGS dispose d’un observatoire, relié à un réseau de diffusion d’images satellites. Ces images sont à basse résolution. Tous les 15 jours, l’observatoire télécharge une nouvelle image. Cela permet de suivre l’évolution de la couverture végétale haïtienne, ou la situation agricole par exemple. À partir de ces données, le CNIGS émet chaque mois un bulletin d’alerte à la sécheresse. Ce bulletin doit permettre à l’État haïtien d’anticiper certains problèmes, comme l’insécurité alimentaire.
Même si le pays n’est pas autonome en matière d’imagerie aérienne, Philémon Mondésir, coordonnateur de la direction des applications thématiques du CNIGS, assure qu’avec les moyens du bord le CNIGS améliore et intensifie son réseau d’observation au sol. Il y arrive grâce à un réseau de GPS permanent et grâce à la géodésie, la science qui étudie la taille et la forme de la terre. Couplés, ces réseaux offrent une extrême précision de positionnement au sol, très utile pour certains travaux d’infrastructures dans le pays.
Le Centre national de l’information géospatiale dispose également d’instruments de mesure agro-météorologiques. En temps réel, ils collectent des données sur l’environnement : mesure de la quantité de pluie, température, vitesse et direction du vent, etc.
Les défis sont grands
Le CNIGS dépend de trois types de financement : les fonds publics, les ventes d’informations cartographiques au grand public et les financements internationaux. Le budget de l’institution est limité et ne permet pas de répondre entièrement à sa mission et sa vision.
Des équipements importants comme des sismographes, des instruments de surveillance des côtes, de mesure d’instabilité des sols ou des outils mesurant la hauteur et le débit des cours d’eau sont nécessaires. Les responsables du centre croient que ces outils pourraient être partagés avec d’autres organismes comme le Service maritime et de navigation haïtienne, le Bureau des mines et de l’énergie, l’Unité hydrométéorologique d’Haïti, etc.
« À défaut de satellite, dit Philémon Mondesir, l’État haïtien peut investir dans l’acquisition de drones sophistiqués de dernière génération, ou un avion pour la prise de vue aérienne. La dernière couverture aérienne complète réalisée en Haïti remonte à 2014. C’était grâce à un financement de la Banque mondiale et au support technique de l’Institut national de l’information géographique et forestière de France. »
« L’idéal, poursuit Mondésir, serait de produire une nouvelle couverture tous les 5 ou 10 ans. Mais il faut des ordinateurs très performants, des logiciels, une bonne connexion internet, beaucoup d’espace de stockage. »
D’autres difficultés tout aussi importantes ne sont pas liées aux équipements. L’une d’entre elles, selon Boby Emmanuel Piard, est la sous-exploitation des données cartographiques, malgré toutes les possibilités qu’elles offrent. Les acteurs, ceux que le sujet devrait intéresser au plus haut point, ne savent pas que ces données sont disponibles. Ceux qui le savent en font rarement la demande, et une fois obtenues, ils n’en font presque pas usage.
Le directeur prend l’exemple des cartes agricoles. Elles sont censées relever et traduire les informations ayant trait aux superficies cultivables et faciliter la prise de décisions. C’est un premier niveau d’information. Mais il est possible d’approfondir, en détaillant beaucoup plus les données. Malheureusement, le ministère de l’Agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (MARNDR) se contente du premier niveau de données et n’en demande pas plus. Un exemple parmi tant d’autres, pour souligner le peu d’attention portée à un secteur qui, selon le CNIGS, devrait être au centre des politiques publiques.
Le Centre national de l’information géospatiale travaille beaucoup avec d’autres entités de l’État pour produire des données qui ont un aspect pratique et qui sont utiles à la population. Un projet comme le cadastre, mené de concert avec le Comité interministériel d’aménagement du territoire, permet le relevé et l’identification des parcelles de terre dans une zone donnée du pays.
Le grand public, principalement les étudiants, peut aussi se procurer des cartes géographiques ou rattachées à un thème spécifique au CNIGS. Tout dépend du format d’impression, de la complexité de l’information, les prix varient entre 450 et 1500 gourdes. Les étudiants ont droit à une réduction de 30 %.
Le CNIGS a 75 employés formés dans des domaines liés aux sciences de la terre (géologie, géographie, topographie, génie civil…) et à l’informatique. Le centre a beaucoup de mal à garder ses meilleurs techniciens, parce que la rémunération offerte est non proportionnelle à leur expertise.
Jameson Francisque
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