« Carole, tu es ma vie et je veux une fois pour toute officialiser cet amour que je te porte. Je veux que tu sois ma fiancée. »
Carole sentit son cœur tressaillir de joie face à l’anneau que lui présenta son amoureux. Cette déclaration aussi inattendue que bienvenue lui portaient les larmes aux yeux. Il avait fait tout dans l’usage. Petite escapade en amoureux à Port Salut, séance de relaxation sur la plage, petit dîner dans un coin intime avec les troubadours comme musique de fond et boum, la totale. Elle avait envie de crier son bonheur car cette bague signifiait non seulement la concrétisation de son amour mais aussi la victoire sur les doutes émis par sa mère, les ragots qui accusaient Joel de tous les crimes du monde.
Combien de fois avait-elle subi la pression de la famille? Combien de fois avait-elle douté de cette relation? Mais elle avait toujours fini par décider de suivre son cœur et de s’investir entièrement dans cette relation.
Elle avait rencontré Joel Bausséjour à une fête d’anniversaire… une danse konpa love avec lui et elle avait été séduite. La conversation qui suivit leur avait révélé tellement de points communs que cela paraissait comme un signe du ciel. Ils étaient tous deux politologues de formation et malgré certaines divergences d’opinion, leur entente sur l’essentiel avait créé un lien tout particulier et spécial.
« Oh Joel, je suis si heureuse» ! dit-elle en essuyant une larme.
Joel la serra dans ses bras et émit un rire rauque qui, comme à l’accoutumée, la fit rosir de plaisir. Elle n’arrivait pas y croire. Elle allait devenir madame Bausséjour et elle pouvait déjà se voir porter ses enfants. Elle en voulait deux : des garçons afin d’être entourée de ses hommes. Oui, elle voulait voir les traits de Joel chaque jour devant ses yeux au travers de ses enfants. Elle était trop heureuse pour ne pas crier sa joie ; alors elle se mit à danser sur le sable blanc tout en admirant cet anneau porteur de bonnes nouvelles pour leur futur à tous les deux. Elle pouvait le rendre heureux, de cela, elle n’avait aucun doute. Ils avaient surmonté tellement d’épreuves ensemble que Dieu ne faisait que la bénir en lui offrant ce cadeau.
« Il faudra que tu viennes voir ma famille et faire la demande à l’ancienne; dit-elle d’une toute petite voix en se remémorant le côté austère de sa famille quand il s’agissait des traditions à respecter. »
« Cela va de soi, dit-il.»
…. Et il respecta ses mots et vint officiellement faire sa demande aux parents de Carole. Sa mère fut surprise mais que dire face au comportement bon chic bon genre de Joel? En trois ans de relation, elle n’avait jamais pu s’adapter au petit ami de sa fille. Il y avait quelque chose qu’elle n’arrivait pas à décrire qui la mettait sur ses gardes quand il s’agissait de lui. Elle ne pouvait se l’expliquer mais elle ressentait maintenant un sentiment de soulagement car elle avait dû obligatoirement se tromper si Joel faisait les choses si bien dans les règles de l’art. Elle ne put que hocher la tête en voyant son mari ému donner l’approbation pour ces fiançailles et finit par se dérider devant la joie intenable de sa fille qui paraissait radieuse de bonheur. Elle souhaita vivement en son cœur que sa fille unique obtint tout ce que son cœur désirait au travers de cette union.
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…. Sidérée, Carole écoutait sans trop comprendre les mots qui sortaient de la bouche de Joel. Elle aurait voulu crier sa honte et son désarroi mais les mots s’étranglaient dans sa gorge. Elle devait être en plein rêve… oui, il n’y avait que cela… un foutu rêve duquel elle allait se reveiller pour en rire. Mais bizarrement, les minutes s’écoulaient et toujours les mots qui faisaient mal continuaient à pleuvoir comme des gouttes de pluie……
« Je ne me sens pas assez bien pour toi »…. « Il vaut mieux faire chacun sa route »…. « Je préfère prendre une pause »… « Il me faut recalibrer pour voir où j’en suis »… « Je me sens perdu »… « Je ne me suis pas encore réalisé en tant qu’homme et donc je ne me sens pas capable de t’apporter ce qu’il faut dans un couple ».
Carole se mit à sangloter car sa frustration frisait l’extrême. Elle ne comprenait rien. Tout avait commencé une semaine après les annonces officielles faites en présence de sa famille. Ses parents avaient planifié de rendre une visite à la famille de Joel à Jacmel pour sceller définitivement l’entente entre les deux familles comme se voulait la tradition haïtienne. Mais Joel avait semblé vouloir reculer la visite puis avait juste disparu de la surface de la terre. Deux semaines plus tard, il avait reparu sans piper mot et elle s’était fâchée de ce manque de tact car elle avait dû mentir et prétexter un voyage urgent de Joel pour les Etats-Unis afin de ne pas alerter la suspicion des « granmoun ». Au premier tournant, il avait utilisé la dispute et avait disparu de plus belle. Elle avait prié et pleuré sans comprendre ce qui se passait.
Elle était si frustrée qu’elle ne pouvait même pas parler. Où avait-elle péché pour que son bonheur se termine si rapidement ? Elle essaya de se reprendre car elle n’avait jamais aimé les femmes pleurnicheuses mais c’en était trop pour son cœur meurtri. Apres les fiançailles qui plus est, elle s’était donné à lui et avait ainsi connu le premier homme de sa vie. Alors qu’est-ce que cela signifiait maintenant ? Pourquoi Dieu la punissait avec ces mots cruels de Joel ? Qu’allait-elle dire à ses amis ? Et sa famille dans tout cela ? Comment en moins d’un mois, tout pouvait basculer si rapidement ? Elle ne s’en remettrait pas. Ce n’était pas possible que Joel lui fasse cela. Elle n’avait pas exigé des fiançailles alors pourquoi le faire et ensuite se rétracter de la sorte ? C’était cruel et dur…. c’était dur dur dur….
Joel s’en alla sans demander son reste alors qu’elle pleurait encore sur son sort et sur l’humiliation qu’elle venait de vivre sans se douter que le pire était à venir…..
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« Wouy ! M te konn sa ! »
Tandis que son père utilisait tous les mots les plus osés qu’il connaissait, sa mère se tenait le ventre comme une femme en pleine ceinture sur le point d’accoucher. Comment cet homme avait-il osé se jouer de leur unique fille ainsi ? Venir dans leur salon et faire des promesses qu’il n’avait jamais eu l’intention de tenir… Etait-ce cela la nouvelle tendance des jeunes pour dépuceler les filles aux convictions profondes ? Car Carole lui avait fait la confession de s’être abandonnée à lui une fois la bague au doigt. Elle n’avait rien dit car rien ne présageait ce revers de fortune.
« Il va apprendre à respecter les filles de bonne famille. Je le ferai fusiller dans la rue, déclara son père revenant à ses jours d’ancien militaire.»
Carole ferma les yeux car tout le monde y allait de main forte. C’était son outrage et elle n’avait encore rien dit. Tout le monde s’entêtait à parler à sa place. Elle voulait juste sa paix d’esprit afin de réfléchir à la nouvelle information qu’elle avait apprise à force d’investiguer. Elle n’avait pas abandonné si facilement Joel et l’avait pratiquement harcelé au téléphone auquel il ne répondait plus. Elle avait tout essayé : whatsapp, facebook, sms, skype, tierce personne, missive, etc.… Et finalement, Joel avait lâché le morceau. Il y avait quelqu’un d’autre. Il l’avait rencontré durant la première semaine de silence qui s’était produite entre eux. Et curieux de voir ce qui pouvait se passer, il s’était laissé prendre au jeu et au final, cette personne était tombée enceinte. Joel avait été franc… cette fille ne l’intéressait guère mais jamais, il n’abandonnerait son enfant. Il avait été élevé dans une famille chrétienne avec ses deux parents et il n’allait pas renier sa chair.
Les larmes de rage, de déception, d’amertume, de colère, d’envie, de ressentiment avaient jailli comme des jets d’eau. C’aurait du être elle qui portait l’enfant de cet homme… de cet homme à qui elle avait donné sa vie et son âme… pas une traînée qui l’avait séduite alors qu’elle s’était tenue à ses côtés durant des années. Ah ça non, elle méritait sa part de bonheur dans cette vie. Pourquoi elle ? A bout de forces, elle s’était réfugiée chez elle et avait confessé l’horrible information à sa famille.
« Tu penses vraiment qu’il vient tout juste de rencontrer cette femme, Carole? Tu es stupide ou quoi? Vraiment, tu crois qu’un homme qui t’aime n’aurait pas préféré cacher sa double vie pour ne pas te perdre ? déclara sa mère le souffle haut, aussi triste de la naiveté de sa fille qu’outrée devant le cynisme de Joel.
Carole lui en voulut de dire tout haut les doutes de son cœur. Oui, elle y avait pensé honnêtement mais sa naïveté la poussait à croire encore en la bonté des gens et en l’amour de Joel. Sinon, que signifiait toutes les fois où elle s’était sacrifiée pour l’aider lui dans ses aspirations professionnelles… toutes les fois où il lui avait promis de lui rendre chacun de ses efforts? La vie était-elle aussi cruelle et sans sens? Se devait-elle laisser gagner par l’amertume et la frustration ? Elle était tombée amoureuse de cet homme et qu’adviendrait-il d’elle et de cet amour? Comment penser à refaire sa vie ?
« Je crois que cette fille faisait partie de sa vie depuis longtemps. Il n’a pas voulu continuer et a juste utilisé ce prétexte pour s’en aller.»
« Arrête maman ! Ça fait mal.»
« Ça doit faire mal Carole. J’aurais souhaité pouvoir t’épargner ce genre d’humiliation mais quand on est une femme, la vie ne nous fait pas de cadeaux alors il te faut être forte et assumer cette déception. Il te faut avancer, ne pas perdre ton temps et refaire ta vie », dit-elle la mort dans l’âme en regardant sa fille avec le regard vide.
« Autant mourir parce que cela fait mal…. là, dans mon cœur, manman, j’ai mal.»
Aucune mère pensa-t-elle ne méritait de voir cette tristesse accabler son enfant… ni d’entendre de tels mots sortir de la bouche de leur progéniture. Cela lui fit mal mais elle n’avait pas une baguette magique pour protéger sa fille de ces mésaventures. Elle avait prié et si Dieu avait pu laisser une telle chose arriver, ils ne pouvaient que s’en remettre à sa science infinie. Mais Carole ne voulait pas l’entendre ainsi et se sentait changer de l’intérieur. Elle se garda d’avouer les dernières bribes de sa conversation avec Joel car c’était son ultime moment partagé avec lui. En somme, tout ce qu’il lui restait. C’était ses mots qui avaient brisé les dernières parcelles de son cœur déjà malmené par le stress et les doutes. Elle était tellement amoureuse qu’elle avait retourné cette histoire dans sa tête et avait finalement proposé l’impensable :
« Je suis prête à accepter cet enfant illégitime, Joel. Tu peux même l’amener chez nous une fois mariés. Je l’aimerai comme mon enfant et je t’aiderai à l’élever. »
C’était à ce point qu’elle l’aimait et voulait arranger les choses. Elle imaginait sa mère vociférer et mourir de honte mais il n’y avait plus de raison de faire la fière. Elle voulait cet homme et se battrait pour l’avoir quitte à accueillir son enfant illégitime. C’était aussi simple que cela. Elle ramènerait toute sa famille à la raison car après tout, c’était son bonheur qui importait et non pas la fierté de ses parents ou les commérages qui iraient bon train.
Mais Joel avait paru surpris, décontenancé même. Néanmoins, il avait fini par secouer la tête d’un air décidé sans aucune hésitation lui prouvant que sa mère avait pu voir la face cachée de cet homme bien avant elle: « C’est fini Carole, n’insiste pas.«
Courtoisie Image: Belneges
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