« Les gens du quartier nous reprochaient de venir corrompre la zone », se souvient une victime de la Communauté M qui vivait au Cap-Haïtien
Ces deux dernières années, HÉRITAGE a enregistré plus d’une dizaine de cas de membres de la communauté LGBTQ+ forcés de quitter une maison qu’ils avaient louée avant ou à l’échéance du bail dans les départements du Nord et du Nord-Est, selon un responsable.
Pour faire face à ces situations, l’organisation de protection des droits des minorités sexuelles collabore avec une organisation non-gouvernementale, pour offrir aux déguerpis, entre autres, un logement et une assistance matérielle pendant 45 jours à Ouanaminthe, selon Paulson Maxime, un travailleur social de l’institution.
Les membres de la communauté LGBTQ+, dénommée M en Haïti, rencontrent d’énormes difficultés pour trouver un logement, selon des interviews menées par AyiboPost auprès d’une dizaine de personnes directement concernées ou au courant de ces situations.
Plus d’une dizaine de cas de membres de la communauté LGBTQ+ forcés de quitter une maison qu’ils avaient louée avant ou à l’échéance du bail dans les départements du Nord et du Nord-Est.
– HÉRITAGE
Lors d’une interview avec AyiboPost, certains rapportent des déguerpissements violents et de multiples cas de violences physiques dans un pays où aucune loi ne les protège formellement contre les discriminations.
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En 2022, une dame accuse Jhojjy, une enquêtrice lesbienne d’HÉRITAGE, de courtiser sa fille en NS4 au Cap-Haïtien. La maison de la professionnelle, située rue 8M, sera envahie après l’accusation par une foule de gens du quartier armés de fusils et d’armes blanches. La compagne de Jhojjy était seule dans le logis lors de l’attaque. Rentrée rapidement à bord de sa voiture, le couple est pris pour cible. « Les gens du quartier nous reprochaient de venir corrompre la zone », se souvient-elle.
Pour échapper à la mort, Jhojjy s’engouffre chez une amie à quelques mètres de la maison, et sa compagne prend refuge dans sa voiture stationnée devant la maison. Quelques minutes plus tard, des policiers arrivent sur la scène. « Ils nous ont roués de coups violents et nous ont fait comprendre que c’étaient les gens de notre trempe qui n’avaient de cesse de retarder l’évolution du pays », témoigne Jhojjy.
Depuis, le couple a déménagé de la zone sous la pression des gens qui menaçaient d’attenter à leur vie.
Ils nous ont roués de coups violents et nous ont fait comprendre que c’étaient les gens de notre trempe qui n’avaient de cesse de retarder l’évolution du pays.
– Jhojjy
Jhojjy n’en est pas à sa première mésaventure. En 2019, elle a été dépêchée sur le terrain à Nan Bannann, au Cap-Haïtien, pour rencontrer un couple gay dans le cadre d’une enquête sur une fausse rumeur faisant des membres de la communauté M responsables du Covid-19.
Les gens du quartier ont pensé qu’ils organisaient une orgie sexuelle dans la petite pièce du couple. Rapidement, la maison était entourée d’une foule compacte en colère, armée de bâtons contondants, de couteaux et de pierres. Les mains tremblantes, Jhojjy rapporte avoir appelé à la rescousse un ami agent de police. Quatre agents arrivent sur la scène une trentaine de minutes plus tard. Le compagnon gay du maître des lieux s’était fait attraper par la foule en délire. Il a fini avec la tête fendillée, une main cassée, le visage maculé de sang et les membres en bouillie.
Complètement aphone pendant deux jours et en état de choc, il passera environ une quinzaine de jours à l’hôpital Universitaire Justinien au Cap-Haïtien avant de recevoir son exéat. « Je suis parfois épuisée, raconte Jhojjy. J’ai vécu trop de choses. Pourquoi devrais-je mourir si je n’ai pas choisi d’être ainsi ? »
Merlin Jean, un des responsables de l’organisation HÉRITAGE, révèle à AyiboPost que même l’organisation qu’il dirige a connu des difficultés pour trouver un espace de travail à louer.
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La Constitution classe le droit au logement comme fondamental, mais des limites existent dans la pratique pour la communauté M, analyse Jean, âgé de 37 ans. « Les personnes orientées sexuellement différemment peuvent être discriminées, sans avoir de recours légaux », avance le militant.
Il est nécessaire d’instituer sur le long terme des améliorations dans les lois, les protections légales et l’éducation publique pour la prise en compte de tous les citoyens dans leur humanité, indépendamment de leur sexualité, propose Jean.
Les discriminations touchent plusieurs départements du pays.
En 2021, Rubbie, un membre de la communauté M, a été obligé de prétexter des liens de parenté avec son compagnon pour louer une maison à Laboule 21. Il savait que ses chances s’amoindriraient si le propriétaire connaissait son orientation sexuelle. Mais des citoyens du quartier découvriront ce détail quelques temps après, malgré leurs précautions. À deux mois de l’échéance du bail de location, le propriétaire de la maison leur a fait comprendre qu’ils devaient trouver un autre espace.
Les personnes orientées sexuellement différemment peuvent être discriminées, sans avoir de recours légaux.
Michaël Mémé, 27 ans, venait tout juste de se réveiller avec son compagnon à la rue Malval quand ils découvrent des messages explicites griffonnés sur plus d’une trentaine de petites lamelles de papier blanc posées sur le seuil de leur porte un matin d’août 2019.
« Turgeau ne tolèrera jamais des homosexuels ! »
« Vous avez jusqu’à lundi prochain pour quitter la zone ! »
« Vous n’êtes que des pourritures ! »…
Prenant peur, le couple gay dit s’être rendu immédiatement au commissariat de Canapé-Vert, à quelques mètres de leur logis. Ils n’y trouveront aucune aide. « Les agents de police nous ont dit ne pas pouvoir intervenir. Les personnes de notre genre devraient, ont-ils dit, faire l’effort d’habiter des zones comme Pétion-Ville, beaucoup plus tolérante à ces pratiques », rapporte Michaël Mémé à AyiboPost. Quelques mois après l’incident, le maître des lieux a prétexté des réparations pour réorienter le couple ailleurs.
Par Junior Legrand
Image de couverture : Un homme regarde curieusement par la fenêtre | © Freepik
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