SOCIÉTÉ

Par peur des discriminations, la communauté LGBTI en Haïti se fait très discrète

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La principale lueur d’espoir de cette communauté demeure cependant la génération future

L’orientation sexuelle d’une personne peut être une entrave pour elle dans l’exercice de ses fonctions. Photographe professionnel, Carl est homosexuel. Et parce qu’il préfère les hommes aux femmes, cela a failli lui coûter un contrat.

« Je devais photographier des enfants à un spectacle, raconte-t-il. Tout allait bien jusqu’à ce que les parents apprennent que je suis homosexuel. Ils ont catégoriquement demandé à l’organisateur de l’événement de ne pas m’engager. La requête n’a pas été agréée parce que celui-ci sait que je suis un professionnel.»

Responsable de plaidoirie à KOURAJ, Moise Corlinsège évoque le cas de Jean, un fonctionnaire de l’État désaffecté après que des soupçons d’homosexualité ont pesé sur lui. Le malheur de cet homme effectivement gay est survenu suite à une publication effectuée sur sa page Facebook.

« Il avait exprimé sa sympathie envers un homosexuel qui venait de décéder. Dès le lendemain, plusieurs collègues lui ont reproché son geste. On lui a ouvertement demandé s’il aimait les hommes, et quelque temps après il a été relégué à un poste subalterne. Il a perdu tous les privilèges offerts par son précédent poste de comptable ».

Autant d’actes discriminatoires qui poussent les membres de la communauté LGBTI à opter pour le silence, tout en espérant l’avènement d’une société haïtienne davantage inclusive.

Des professions qui discriminent

Corlinsège estime que le domaine culinaire accepte davantage les membres de la communauté LGBTI. « Peut-être que cela est dû au grand nombre de chefs qui sont homosexuels même à l’échelle internationale ». Il précise toutefois que, tout comme elle existe ailleurs, cette forme d’acceptation n’est pas effectuée de tout cœur.

Quoique considéré comme tolérant, le milieu artistique n’est pas très ouvert, selon Carl. «Il y a une homophobie persistante, explique-t-il. La personne peut ne pas avoir un comportement homophobe directement envers quelqu’un parce qu’il est connu par exemple. Mais ce sera différent envers un autre membre de la communauté LGBTI qui évolue ailleurs ».

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Selon Darline, jeune danseuse bisexuelle, cette attitude est de l’hypocrisie. «Plusieurs de ces homophobes essayent seulement de cacher leur véritable orientation sexuelle », affirme-t-elle. À plusieurs reprises, des femmes qui l’invectivaient en public l’écrivaient en privé pour l’inviter à sortir.

Cela dit, même quand les personnes avec lesquelles ils collaborent ne portent généralement aucune remarque sur leur sexualité, les remarques discriminantes existent bel et bien. À l’exemple de Carl, Darline préfère ne pas leur accorder de l’importance, même si certaines d’entre elles peuvent vexer. « Par exemple, un peu comme s’il me voyait comme une perverse dont la vie ne tourne qu’autour du sexe, un homme qui a appris que j’étais bi est venu me proposer un plan à trois. Il a longtemps insisté malgré mon refus ».

De son coté, Carl à qui il arrive de travailler dans différentes régions du pays, confie que maintes fois, des gens avec qui ils collaborent le prennent pour un hétéro et se permettent de faire des commentaires déplacés sur les homosexuels en sa présence. « Craignant non seulement un sentiment de gêne supplémentaire, mais aussi des réactions que je juge pouvoir être violentes, je préfère me taire », avoue-t-il.

Pas assez protégés

A cause de cette discrimination, certains préfèrent ne pas parler de cet aspect de leur vie. Tel est le cas de Magalie, une femme transsexuelle qui s’est rétractée après avoir pourtant dénoncé les nombreux actes de discriminations à son endroit, sur son lieu de travail.

Quant à ceux qui sont d’accord pour s’exprimer, ils reconnaissent, à l’exemple de Carl, que leurs propos sont le plus souvent très vagues. Il s’agit d’une « autocensure pour se protéger qui débouche presque sur de la paranoïa. On contrôle la façon dont on s’expose sur les réseaux sociaux et même dans la vie de tous les jours. Ainsi, si tout le monde doit être précautionneux, nous-mêmes, on se doit de l’être doublement ».

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Darline pense pareil. « Il m’arrive de cacher mon orientation sexuelle, non pas parce que je veux avoir un travail, mais pour ma sécurité, confie Darline. En plus de certaines amitiés que je ne veux pas perdre parce que la personne en face n’est pas encore prête pour cela, il y a le risque de se faire violer, parce que certains hommes croient qu’une femme qui aime une autre femme ignore le plaisir de coucher avec un homme. Ils sont donc prêts à la violer juste pour son choix ».

Partant du principe que ce sont les actions qui conduisent aux réactions, ces jeunes gens font tout pour ne pas trop attirer l’attention sur leur préférence sexuelle.

D’autant plus qu’il n’existe pas de lois spécifiques pour les protéger, note Moise Colinsège qui accompagne juridiquement les membres de la communauté victimes à cause de leur orientation sexuelle.

« Eu égard à l’article 3 du code du travail, tous les employés sont égaux. Il n’existe pas de loi particulière pour un groupe particulier », confirme Me Philippe Junior Volmar. Il y a des conventions que l’État haïtien a signées et qui font office de loi. C’est le cas de « la Convention numéro 111 concernant la discrimination que Haïti a ratifiée vers la fin des années 1970 », dit l’avocat. Par conséquent, en matière d’emploi, le traitement d’aucune personne ne devrait être fonction de son sexe.

Le regard de l’entourage

S’il dit n’avoir jamais subi de discriminations liées à son orientation sexuelle, Marco souligne toutefois qu’il en est parfois témoin. « Une fois, des amis sont venus me voir au bureau. Ils m’ont vu plaisanter avec d’autres collègues qui sont homosexuels. Sans tenir compte des sentiments des concernés, ils ont ouvertement crié Apa misye ap jwe ak masisi ! Ki tenten sa

Marco, lui, est attiré par les femmes cisgenre aussi bien que les femmes trans. « Du moment que je constate le côté féminin de la personne et que celle-ci se dit être une femme, le sexe avec lequel elle est née m’importe peu. Je suis attiré par elle sexuellement et émotionnellement ». Mais cela, ses amis et sa famille refusent de l’accepter.

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La principale lueur d’espoir de cette communauté demeure cependant la génération future. Carl s’en réjouit déjà. « Avant, dit-il, un hétéro était plus violent. Aujourd’hui il est question de chacun est libre de faire son choix ».

Ceci est selon lui le signe d’une plus grande tolérance que l’on doit notamment « à l’explosion de l’internet, aux films et séries populaires qui mettent en avant des personnages gay. Mais aussi, c’est grâce aux vagues de migration d’Haïtiens vers les autres pays leur permettent d’avoir une autre vision des choses ».  En attendant, il importe de vivre sa vie pleinement, mais avec intelligence.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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