Depuis février 2024, les membres de la coalition de gangs « Viv Ansanm » ont attaqué au moins quatre stations de radio dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, assassiné deux journalistes, blessé sept autres et enlevé un autre contre rançon, selon un communiqué du Réseau National de Défense des Droits Humains en date du 17 mars 2025
Dans la nuit du 12 au 13 mars, vers deux heures du matin, des hommes lourdement armés ont pris d’assaut les locaux de Radio Mélodie FM, situés à l’angle des rues Roy et Capois – à sept minutes du Palais National.
Ils ont forcé la barrière principale, brisé les vitres, creusé un trou dans le mur du rez-de-chaussée avant de piller méthodiquement les équipements de l’institution.
Selon le directeur de la station, Klaus Macajoux, les assaillants ont emporté une console de mixage essentielle à la diffusion, des micros, des ordinateurs portables ainsi que plusieurs climatiseurs muraux.
Les criminels ont incendié plusieurs bâtiments avoisinants, mais la station a été épargnée, car elle leur « sert de point de sortie et de position stratégique », estime Macajoux.
Radio Mélodie FM, qui a pu sauver ses archives accumulées depuis son lancement en septembre 1998, rejoint la liste des victimes de la violente offensive des gangs contre les médias.
Depuis février 2024, les membres de la coalition de gangs « Viv Ansanm » ont attaqué au moins quatre stations de radio dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, assassiné deux journalistes, blessé sept autres et enlevé un autre contre rançon, selon un communiqué du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) en date du 17 mars 2025.
Les criminels avaient déjà assassiné les deux travailleurs de la presse en décembre 2024, lors d’une tentative avortée de rouvrir l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH).
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Dans la nuit du 12 au 13 mars 2025, ils ont incendié les locaux de Radio Télévision Caraïbe (RTVC).
Les responsables de la RTVC rapportent la perte probable de plusieurs studios d’enregistrement, d’appareils de montage automatique et d’équipements informatiques et solaires, selon un récent article publié par AyiboPost.
Pour l’instant, la RTVC, relocalisée avant l’attaque, continue d’émettre. Mais Mélodie FM a cessé toute diffusion.
Dans la nuit du 15 au 16 mars 2025, les bandits ont incendié une partie des locaux de Télé Pluriel à Delmas 19. Sa directrice, Marie Lucie Bonhomme, en convalescence après un accident vasculaire cérébral (AVC) en février 2025, a reçu la nouvelle comme un « choc ».
Des images montrent des traces d’incendie et un trou dans l’entrée du bâtiment. Quelques carreaux de céramique ont été arrachés. « La télévision est l’œuvre d’une vie. Il nous a fallu onze ans pour construire le studio », confie Bonhomme, journaliste depuis 1987 et récipiendaire du Prix Greeley pour la paix 2025 de l’Université du Massachusetts Lowell.
Actuellement, « la chaîne, qui émet depuis 2012, fonctionne de manière limitée grâce à une installation de secours sur le site de Boutillier », révèle à AyiboPost Emmanuel Paul, ancien coordonnateur de la salle des nouvelles et collaborateur du média.
Le 25 avril 2024, les bandits ont pillé pendant plusieurs jours le quotidien centenaire Le Nouvelliste, situé à la rue du Centre.
D’autres institutions de presse installées dans des zones ciblées par les gangs expriment leur inquiétude à AyiboPost. C’est le cas de deux médias basés à Turgeau.
À cause de la pression exercée par les gangs sur la rue Capois et l’avenue Christophe, la radio Tropic FM a précipitamment quitté son local rue Malval. Tropic FM a interrompu ses programmes depuis trois jours. « Nous avons dû nous installer sur le site de Boutillier sans préparation, dans un local inadapté », explique son directeur de l’information, Daniel Saint-Hilaire.
D’autres institutions de presse installées dans des zones ciblées par les gangs expriment leur inquiétude à AyiboPost. C’est le cas de deux médias basés à Turgeau.
La Radio Télé Émancipation, quant à elle, a fui la rue O en décembre 2024 pour un lieu tenu secret, après avoir reçu des menaces, notamment via une lettre anonyme.
« Nous sommes visés principalement pour la retransmission de l’émission Ti Koze ak TT du journaliste Thériel Thélus », révèle son directeur général, Jean Renel Sénatus. Cette émission dénonce régulièrement les actions des chefs de gangs.
« Tous les journalistes de la radio travaillent sous couverture, sans badge d’identification, évitant ainsi tout lien apparent avec l’institution sur le terrain », explique le responsable de Radio Télé Émancipation.
Nous sommes visés principalement pour la retransmission de l’émission Ti Koze ak TT du journaliste Thériel Thélus
-révèle Jean Renel Sénatus.
Des bandits ont agressé l’un des journalistes de l’institution à la rue Cameau, en 2023. Il n’est pas clair s’il s’agissait d’une représaille.
L’offensive contre les médias semble intentionnelle.
En octobre 2024, le chef de gang Jimmy Chérizier, alias « Barbecue », a ordonné aux gangs d’attaquer les médias.
Plusieurs journalistes – Johnny Ferdinand et Guerrier Dieuseul de la RTVC, Widlore Mérancourt d’AyiboPost ou encore ceux de Radio Télé Émancipation – ont, depuis, fait l’objet de menaces ouvertes.
Pour Klaus Macajoux, responsable de Mélodie FM, il s’agit « d’attaques délibérées contre la presse haïtienne ».
Des organismes de défense de la liberté de la presse expriment leur inquiétude.
Plusieurs journalistes – Johnny Ferdinand et Guerrier Dieuseul de la RTVC, Widlore Mérancourt d’AyiboPost ou encore ceux de Radio Télé Émancipation – ont, depuis, fait l’objet de menaces ouvertes.
« Les médias victimes font un travail qui dérange les bandits », déclare Marie Auguste Ducéna, responsable de programme au sein du RNDDH.
Selon la responsable, les autorités haïtiennes ne font preuve d’aucune volonté pour mettre fin aux attaques des gangs. Et, « exercer le métier de journaliste en Haïti, poursuit la défenseure des droits humains, reste très dangereux ».
En 2024, un classement de l’indice mondial de l’impunité du Committee to Protect Journalists place Haïti en tête des pays où les meurtriers de journalistes sont susceptibles de rester impunis, devant Israël.
« Le fait qu’il n’y ait pas d’institutions pour protéger les reporters couvrant des sujets sensibles et pouvant faire face à des représailles de la part des individus ou groupes qu’ils couvrent de manière critique est vraiment préoccupant », déclare à AyiboPost Katherine Jacobsen, coordinatrice du programme États-Unis, Canada et Caraïbes du CPJ.
L’attaque contre les journalistes à l’HUEH en décembre dernier a coûté la vie aux reporters Marckenzy Nathoux et Jimmy Jean.
Ces deux meurtres, ainsi que cinq autres survenus au Mexique en 2024, font partie des décès pointés du doigt par le CPJ, qui classe l’année comme la plus meurtrière pour les journalistes dans l’histoire de l’organisation, selon un rapport spécial paru le 12 février 2025.
Le fait qu’il n’y ait pas d’institutions pour protéger les reporters couvrant des sujets sensibles et pouvant faire face à des représailles de la part des individus ou groupes qu’ils couvrent de manière critique est vraiment préoccupant,
-Katherine Jacobsen
Florise Desronvil, journaliste reporter du média en ligne Reyalite Lakay TV, a été témoin de la mort de ses deux confrères, atteints de projectiles à l’HUEH.
« J’ai eu le temps de m’éloigner de la barrière, mais j’ai reçu une balle au niveau de la taille et une autre dans le dos », rapporte la journaliste de 34 ans.
Elle évolue dans le journalisme depuis deux ans et demi.
Les bandits ont également blessé par balles cinq autres reporters durant cette journée sanglante.
Velondie Miracle faisait partie du groupe. Elle exerce le métier depuis cinq ans et capture des images pour la plateforme en ligne Nouvèl 509.
Au moment de l’attaque, Miracle se trouvait à proximité de la barrière de l’hôpital, attendant l’arrivée du ministre de la Santé publique de l’époque, Duckenson Lorthe Blema.
Vers onze heures, les bandits ont ouvert le feu en direction de la barrière de l’hôpital.
« J’ai reçu cinq balles à la jambe gauche, une autre sur le côté gauche de ma tête, puis une troisième sur ma joue droite », explique à AyiboPost la professionnelle de 28 ans, depuis un lit d’hôpital au Cap-Haïtien.
Miracle attend son évacuation à Port-au-Prince, après des suivis médicaux à Cuba, mais les séquelles de l’attaque persistent.
« J’ai parfois des pertes de mémoire à cause de l’opération que j’ai subie à la tête, dit-elle. J’ai des douleurs au pied et aux gencives, éraflées par une balle. »
Mais les attaques ne dissuadent pas la presse : les journalistes infiltrent les manifestations, descendent dans la rue pour informer et continuent de relayer au reste du monde la situation en Haïti.
« Dès mon rétablissement, je retournerai exercer mon métier. Je ne céderai à aucune lâcheté », conclut Miracle.
Par Jérôme Wendy Norestyl & Lucnise Duquereste
Couverture | Photo illustrant le portrait du chef de gang Barbecue (Source : nbcnews), avec une photo en arrière-plan d’un homme victime des attaques du gang « Viv Ansanm » à l’Hôpital Général de Port-au-Prince, en décembre 2024. (Source : newshou), accompagné d’une photo, à gauche, d’un homme tenant une caméra. (Source: Freepik). Collage : Florentz Charles pour AyiboPost – 20 mars 2025
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