Cela ne signifie pas que tous les Haïtiens sont des adeptes du vodou
La cérémonie de Bois-Caïman étant considérée comme le mythe fondateur de la République d’Haïti, il serait impossible de parler d’Haïti sans évoquer le Vodou. J’ose dire que le vodou se dévoile à travers toutes les composantes de la société haïtienne. C’est comme l’arbre qu’on ne peut déraciner de l’imaginaire collectif haïtien. Toutefois, cela ne signifie pas que tous les Haïtiens sont des adeptes du vodou. Je ne rédige cet article ni en tant qu’ancien pratiquant, ni en tant que pratiquant actuel. Pour ma part, je suis catholique et profondément enraciné dans mes convictions catholiques.
Il suffit de se lancer dans le monde international pour avoir une vision du vodou haïtien, notamment du monde de la cinématographie (Hollywood avec ses films de zombies), et même à l’intérieur d’Haïti (telle que la campagne anti-superstition de 1939), pour comprendre que le vodou est souvent mal compris. Dans le monde savant et artistique (à quelques exceptions près pour le mouvement des savants initié par Jean Price Mars), le vodou est représenté dans la sphère chrétienne ou anti-vodou, dans la grande majorité des cas par des peintures malsaines sur lesquelles sont représentés des scènes sanglantes, des incendies et toute une débauche d’images. L’image la plus ridicule est la similitude établie entre le vodou et le diable. En d’autres termes, le vodou est étroitement lié à la magie, à l’orgie, à la sorcellerie, au charlatanisme ou au fétichisme.
Le vodou est souvent mal compris.
Dans l’espace public chrétien (hormis quelques exceptions), parler du vodou est un tabou. Toute tentative de révéler une autre façon de percevoir le vodou est une forte indication de l’approbation du mal. Le vodou représente un dilemme ! Rien n’est plus important que d’entendre certains « chrétiens » affirmer que le vodou est à l’origine de tous les maux qui s’abattent sur Haïti, comme si par essence même, le vodou constituait une pierre d’achoppement, un inconvénient pour le développement et le progrès d’Haïti.
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Sur le plan religieux, Haïti est divisé en deux groupes principaux. Cela inclut les chrétiens civilisés d’une part et les pratiquants barbares du vodou d’autre part. Autrement dit, le camp de ceux qui prétendent être des serviteurs de Dieu et le camp de ceux qui sont damnés à cause de leur pratique du vodou. La question qui se pose alors est la suivante : est-il possible de parvenir à la cohésion sociale dans une nation aussi divisée ? En entendant parler du vodou dans le contexte haïtien, on peut facilement avoir l’impression d’une histoire soulignée de graves malentendus entre les pro et les anti-vodou. Au vu de cette situation, ce conflit religieux est en grande partie au cœur des problèmes qui traversent l’être collectif haïtien. Comment concilier le « barbare et le civilisé » ?
De plus, derrière cette dichotomie se cache un rejet de l’héritage culturel africain, la honte d’une conscience submergée par des représentations d’images malsaines du vodou ou tout simplement un mécanisme d’exploitation qui tend à déjouer la réalité. En effet, il y a beaucoup d’Haïtiens qui sont encore retranchés dans leurs chaînes mentales. Comment comprendre le vodou, au-delà de toute catégorie idéologique, comme un mouvement libérateur contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation dans la construction d’une nation forte, mais surtout libre ?
Dans l’espace public chrétien (hormis quelques exceptions), parler du vodou est un tabou.
Nous devons aborder le vodou haïtien non pas comme une doctrine religieuse ou une pratique, mais comme un rassemblement d’hommes et de femmes conscients de leur condition, où le vodou haïtien est un catalyseur pour la libération d’une race opprimée. Ma démarche se veut objective afin d’en tirer tous les éléments nécessaires à une meilleure compréhension de l’esprit du Vodou ancré dans le contexte du Bois Caïman. L’équilibre social et l’apaisement ne peuvent être trouvés dans le contexte haïtien en élucidant, à la lumière de la raison, cette lutte religieuse qui sape l’ethos social.
L’origine du vodou
L’île d’Hispaniola est située sur la mer des Caraïbes. Jusqu’à la fin du XVe siècle, elle n’était habitée que par des autochtones. Sa population était estimée à plusieurs centaines de milliers d’indigènes Arawak/Taïnos. Cependant, l’arrivée de Christophe Colomb en 1492 sera un tournant majeur dans l’histoire de cette île. La restriction de deux libertés deviendrait à l’ordre du jour (à commencer par les peuples indigènes et plus tard par les Africains réduits en esclavage). Cette arrivée inattendue est à l’origine de la partition de l’île en deux républiques : la République dominicaine et la République d’Haïti.
À l’arrivée de Christophe Colomb, si l’on peut le croire, on dit qu’il avait reçu l’ordre de la reine d’Espagne, dans sa mission de conquête, non pas d’exterminer les peuples indigènes, mais plutôt de leur enseigner la vraie religion : le christianisme. R. Murray Thomas, professeur émérite à l’Université de Californie à Santa Barbara, affirme que : « La reine Isabelle d’Espagne… donna l’ordre d’ériger une église dans chaque communauté pour convertir les habitants au catholicisme, et de construire une école où le prêtre apprendrait aux enfants indiens à lire, à écrire et à réciter de simples prières chrétiennes. Malheureusement, habités par une cupidité effrénée, Christophe Colomb et ses associés ont favorisé l’extermination des Indiens en moins d’un quart de siècle.
À l’arrivée de Christophe Colomb, si l’on peut le croire, on dit qu’il avait reçu l’ordre de la reine d’Espagne, dans sa mission de conquête, non pas d’exterminer les peuples indigènes, mais plutôt de leur enseigner la vraie religion : le christianisme.
C’est au cœur de cet événement apocalyptique, raconte Jean Kerboull, membre de la congrégation des Pères de Saint-Jacques et professeur de philosophie, que :
«Une voix s’éleva : celle d’un religieux dominicain, Bartolomé de Las Casas. Ce prêtre, un ancien « descobridor » qui s’était joint à l’ordre, réfutait avec véhémence l’esclavage des Indiens. Il a particulièrement fustigé l’ « encomienda », c’est-à-dire la redistribution illégale des terres prises aux peuples autochtones. Emporté par son élan, il prit la malheureuse initiative de proposer de faire appel aux Africains noirs afin de soulager les Indiens.»
Malheureusement pour les Africains, la Couronne espagnole, pour cette substitution de main d’œuvre, le prend au sérieux. C’est dans le cadre de cette substitution que le «commerce triangulaire» a été inauguré. Celui-ci repose essentiellement sur une catégorie de personnes : les Noirs. Combien d’Africains ont ainsi été sauvagement arrachés à leur pays ? On peut dire que des dizaines de milliers de Noirs ont remplacé, dans l’esclavage, quelques milliers d’indigènes.
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Kerboull rapporte que : «Les marchands d’esclaves chargeaient principalement les Noirs le long du golfe de Guinée : la pêche était pratiquée le long de la côte ouest-africaine, du Sénégal au Congo et à l’Angola. Il est bon de souligner que la Côte des Esclaves, dans le golfe du Bénin, était de loin les comptoirs les plus actifs, ainsi à Lagos et surtout à Ouidah, dans le royaume de Juda. Thomas soutient que : «Les sources africaines des esclaves d’Haïti étaient principalement des territoires d’Afrique du centre-ouest, où se trouvent maintenant les nations du Togo, du Bénin et du Nigeria – une région connue sous le nom de Côte des Esclaves, peuplée de plus de 40 groupes ethniques parlant environ 250 dialectes.» Le croisement des ethnies se fait dans le creuset de la colonie.
Les esclaves de différentes tribus étaient regroupés en fonction de leurs différences linguistiques pour éviter tout complot contre le maître d’esclaves, et pour les empêcher de se comprendre ou de se faire comprendre. Ils ont été soumis à des mécanismes d’acculturation et de déculturation : leurs noms de naissance ont été dépouillés et remplacés par ceux de leurs maîtres d’esclaves ou de saints, et leurs croyances par le christianisme.
Ils ont été soumis à des mécanismes d’acculturation et de déculturation.
Chaque tribu avait sa propre divinité. Parmi les multiples divinités, il y avait « la liste des loas – divinité du Vodou – la trace d’une quinzaine d’entre elles : de l’Arada au Fon, des Bissagots, de Canga, de Caplaou aux Congos, des Haoussa aux Ibos, en passant par les Mandingues, les Mines, les Mondongues, les Nago, les Popo, les Soussou et les Sénégalais. » Dans cette configuration, comme le soulignent Joseph et Cléohat, « Haïti a développé une culture singulière qui n’est ni africaine ni européenne […] mais un mélange syncrétique frelaté de civilisations africaines et européennes. » C’est de ce métissage qu’est né un dénominateur commun, où les différentes composantes se sont rencontrées, non sans heurts, sur le plan religieux, point fort de leurs cultures : le vodou.
Le vodou devait permettre aux esclaves de renforcer leur spiritualité et leur sentiment d’appartenance à une cause commune. Comme le dit le sociologue Gabriel Dorino, jésuite haïtien, « le vodou haïtien exprime par essence la revendication d’une communauté de sens entre les exploités et les exclus du système esclavagiste. » Cependant, les missionnaires européens ne voyaient pas dans le vodou une réaction salutaire au déni, mais une manifestation palpable du diable. C’est le vodou en tant que force libératrice qui fera l’objet du point suivant. Qu’est-ce que le vodou haïtien ?
Vodou haïtien
L’opinion publique a des idées répugnantes sur le vodou. Il y a un long ensemble de termes pour parler du vodou haïtien. Par exemple, pour désigner le vodou, on utilise des termes tels que : animisme, fétichisme, paganisme, primitif, magie noire, superstition, sorcellerie, sorcier. J’ai choisi de ne pas aborder ces images caricaturales, non pas parce que cela n’a pas d’importance, mais pour répondre à la question : Qu’est-ce que le vodou haïtien ?
Le vodou haïtien a ses racines dans la culture africaine mais avec une prédominance du vodun béninois. Me référant à un jésuite béninois, Barnabé Houguevou, je peux dire que « le mot Vodun vient de » Vo » qui signifie » à part » et de » Dun » qui signifie bien au-delà, quelque chose qui ne peut être maîtrisé ou contrôlé car il est très loin. »
Le vodou haïtien serait l’adaptation de la langue fon parlée au Bénin et d’un mot yoruba (langue parlée dans certaines régions du Bénin, du Nigeria, du Togo ou du Ghana) signifiant « dieu ». Le vodou haïtien n’est pas resté identique à ce qu’il était en Afrique ; elle ne pouvait pas l’être, compte tenu du contexte de l’esclavage et le mélange des ethnies à partir des cales des navires négriers.
Le vodou haïtien a ses racines dans la culture africaine mais avec une prédominance du vodun béninois.
Selon Harold Courlander, « le vodou est un système intégré de concepts concernant la conduite humaine, régissant les relations de l’humanité avec ceux qui ont vécu autrefois et avec les forces naturelles et surnaturelles de l’univers. » Le vodou peut être compris comme une vision du monde complexe et mystique dans laquelle l’homme, la nature et l’invisible sont intimement liés et dans laquelle le sacré et le temporel, le matériel et le spirituel ne font qu’un. Wade Davis va plus loin que Courlander en disant : «Le vodou ne contient pas seulement des concepts spirituels, il prescrit un mode de vie, une philosophie et un code d’éthique qui réglementent le comportement social.»
Par extension, le vodou peut être défini comme l’ensemble des dieux ou des forces invisibles dont les hommes tentent de concilier le pouvoir ou la bienveillance. C’est l’affirmation d’un monde surnaturel, mais aussi l’ensemble des procédures pour s’y rapporter. Le vodou est un culte de l’esprit du monde de l’invisible qui est sous l’emprise de quelque chose. Ces définitions me permettent de situer l’élan du vodou haïtien lors d’un événement particulier : la cérémonie de Bois-Caïman.
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Dans la nuit du 14 août 1791, sous la direction spirituelle d’un grand prêtre vodou connu sous le nom de Boukman, un grand nombre d’esclaves se rassemblent dans une clairière à Bois-Caïman. L’objectif était de lever toutes les hésitations en obtenant un dévouement absolu afin de briser le joug des esclaves. Pour ce faire, Boukman avait adopté un discours globalisant qui portait non seulement la souffrance des esclaves, mais aussi leurs aspirations et leurs rêves de remplacer le discours dominant des esclavagistes, qui s’appuyait sur l’une des synthèses les plus remarquables de saint Paul de la foi chrétienne dans l’Église primitive : « Que chacun demeure dans la condition où il était quand il a été appelé. Étiez-vous un esclave… Fais bon usage de ta condition d’esclave… » (1 Co 7, 20). Ainsi, les maîtres voyaient dans l’éducation religieuse le seul exutoire capable de contenir le désir d’émancipation des esclaves. Pour contrecarrer cette éducation, Boukman a formulé le discours suivant :
«Le Bon Dieu qui a créé le soleil qui nous donne la lumière d’en haut, qui soulève la mer et fait gronder le tonnerre – écoutez bien, vous tous – ce dieu, caché dans les nuages, nous regarde. Il voit tout ce que font les Blancs. Le dieu des Blancs exige d’eux des crimes ; Notre Dieu demande de bonnes actions. Mais ce dieu si bon exige vengeance ! Il dirigera nos mains ; Il nous aidera. Rejetez l’image du dieu des blancs qui a soif de nos larmes, et écoutez la voix de la liberté qui parle dans le cœur de chacun de nous.»
Les maîtres voyaient dans l’éducation religieuse le seul exutoire capable de contenir le désir d’émancipation des esclaves.
Par cet acte, Boukman réussit à faire comprendre aux esclaves que le message prêché par les prélats, et les propriétaires d’esclaves, ne s’adressait qu’aux Blancs et aux hommes libres. Le paradis était pour les riches, à la fois sur la terre et dans le ciel. Et les pauvres esclaves pouvaient atteindre le ciel par leur âme après la mort, si et seulement si cette âme avait été bien dominée par un travail inhumain et un catéchisme de soumission absolue.
Boukman dénonce ce catéchisme idéologisant en proposant un discours combatif et guerrier qui oppose une communauté symboliquement égalitaire à une Église et à une société hiérarchisées et discriminatoires. En ce sens, la Cérémonie de Bois-Caïman symbolise l’élan d’une prise de conscience qu’il est temps de se prendre au sérieux et que le Vodou est le catalyseur et le souffle de vie, une énergie salvatrice contre le système esclavagiste. Bois-Caïman devient le point de départ du vodou haïtien.
En effet, la naissance du vodou haïtien et le développement de sa « théologie » tout au long de l’histoire d’Haïti ne sont autres que les récits qui démasquent le discours biaisé des colons esclavagistes dits civilisés et chrétiens et qui, en même temps, ont poussé les esclaves africains, les parias de la société, à chercher un autre discours et une spiritualité qui traduisent mieux leurs aspirations, leurs joies, leurs peines et leurs rêves. L’historien Thomas Madiou reconnaît que le vodou avait grandement contribué à la réussite des esclaves élevés en surexcitant leur fanatisme au plus haut degré. Dieu leur a dit que s’ils périssaient au combat, ils retourneraient en Afrique, libres et heureux. Ainsi, leur chair émoussait le fer des blancs.
Boukman réussit à faire comprendre aux esclaves que le message prêché par les prélats, et les propriétaires d’esclaves, ne s’adressait qu’aux Blancs et aux hommes libres.
Après l’indépendance en 1804, la lutte pour la reconnaissance d’Haïti s’est concentrée sur la christianisation du pays. C’est pourquoi le premier État qui a reconnu Haïti, 60 ans après son indépendance, comme un pays libre a été l’État du Vatican. Les missionnaires ont commencé à arriver en Haïti, et c’est dans ce contexte que les missionnaires ont commencé à qualifier le vodou de maléfique. Le clergé missionnaire a utilisé le prétexte que le vodou est un lambeau africain, un culte en l’honneur du diable. Ils ont lancé des campagnes de persécution contre ses adeptes pour son éradication immédiate et complète. À travers les voiles de leur parti pris, les missionnaires ont réussi à maintenir le vodou comme une menace mortelle visant à leur destruction et ont créé un environnement troublant pour les pratiquants du vodou.
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Depuis lors, les rites associés au vodou ont été qualifiés de chanterie indigne. À cette époque, sous les ordres des chrétiens, de gigantesques brasiers effacent les symboles du vodou qui représentaient la résistance noire. L’éradication du culte vodou avait pris une tournure officielle. Cependant, les croyances africaines enfouies au plus profond de l’âme populaire ont résisté tandis que la teinture catholique superficielle, imposée à coups de pied à la base du sacrum depuis l’esclavage, s’écaillait.
Une grande campagne successive contre le vodou a été menée dans le but non seulement de ternir son image en le présentant comme une sangsue maléfique, mais aussi de s’efforcer de l’éradiquer complètement. Par exemple, l’occupation américaine d’Haïti en 1915 a favorisé la diabolisation du vodou, car les occupants étaient conscients du caractère révolutionnaire et du pouvoir émancipateur du vodou. Deux figures de proue des prêtres vodou ont été tuées, ainsi que Boukman.
Lors de la première occupation américaine d’Haïti, certains émissaires ont veillé à répandre l’image d’Haïti comme un pays sous l’emprise du vodou, grouillant de sorciers, de cannibales et de zombies. Obligeant Sténio Vincent (le président d’Haïti à l’époque :1930-41) à promulguer un décret d’exclusion du vodou comme pratique superstitieuse à détruire et il légalise à nouveau une campagne officielle.
Une grande campagne successive contre le vodou a été menée dans le but non seulement de ternir son image en le présentant comme une sangsue maléfique, mais aussi de s’efforcer de l’éradiquer complètement.
À cette époque, tout objet soupçonné d’être utilisé pour des pratiques magiques était saisi. Le service vodou a été détruit. Parmi ces objets, on peut citer : des tambours coniques, des « assons », des drapeaux rituels, des pierres de foudre, « potomitan », des images, des cruches, des bouteilles, des croix, des costumes, des colliers, des chapeaux, des miroirs. Les arbres sacrés tels que les légendaires Mapou (symboles universels de la vie en perpétuelle évolution et régénération, lieux de repos des Loa), ont été abattus. Alfred Métraux offre le même témoignage :
… Les arbres restants, nombreux autour du « humfò », ont été exorcisés et abattus au milieu des chants et des prières. Tous les témoins de ces scènes ont été frappés par le comportement de ceux qui avaient été les agents de la persécution. Ils ont attaqué les emblèmes vodou comme s’il s’agissait d’ennemis dangereux qu’ils voulaient piétiner et exterminer. Pendant que le prêtre était occupé à exorciser les arbres, des fanatiques leur jetaient des pierres, les insultaient et les blâmaient pour l’argent qu’ils avaient dépensé en vain en offrandes et en sacrifices, et cette rage trahissait leur conviction que ces arbres étaient réellement habités par des esprits. Quant aux pratiquants du vodou qui ont été contraints d’assister à ces scènes sacrilèges et de livrer avec leurs mains des talismans qui garantiraient leur sécurité, ils ont été si profondément bouleversés qu’ils ont éclaté en sanglots et donné des signes de l’agitation la plus extrême.
La campagne anti-superstition s’est servie de la peur et de la terreur comme une arme pour encourager la répression contre « les pratiquants du vodou jetés dans les catégories de « pécheurs publics, idolâtres, magiciens notoires », sanctionnés par le droit canonique, punis d’excommunication, de pénitence sévère, de refus de funérailles catholiques, de refus d’accès au sacrement. »
À cette époque, tout objet soupçonné d’être utilisé pour des pratiques magiques était saisi.
Tout cela a contribué à déchirer le tissu social. D’autres fissures dans une unité à construire ! Laënnec Hurbon, sociologue haïtien, souligne que « … bien que le vodou soit pratiqué dans toutes les couches sociales, il est détaché et épinglé comme une » tare » qui doit être utilisée pour rendre compte des » malheurs » des classes populaires. »
À la lumière des campagnes anti-superstitieuses, le vodou est devenu un mal, une sorcellerie et un culte idolâtre. Le chrétien est présenté comme le prototype de l’humain qui vit dans un monde mental avec un plafond haut dans le ciel, soutenu par des colonnes d’affirmations claires et sans équivoque, sous le regard d’un Dieu qui le laisse totalement libre tout en l’invitant à grandir, à l’opposé des pratiquants du vodou qui vivent dans un univers bas de plafond, sans idéaux élevés, peuplés de loas vengeurs, rancuniers, haineux et morbides possessifs.
Malheureusement, c’est ce faux récit du vodou qui est véhiculé. Dans le contexte de souffrance d’Haïti, je crois qu’il serait bon de reconstruire l’histoire du vodou, non pas pour faire de nouveaux adeptes ou rejeter le christianisme mais pour lui redonner sa dimension libératrice en ayant un regard différent sur les personnes qui pratiquent le vodou et en créant un climat de tolérance où la diversité peut avoir toute sa place.
L’importance de porter un autre regard sur le vodou et ses adeptes dans le contexte haïtien
Aucun chiffre n’est donné sur le nombre approximatif de pratiquants du vodou en Haïti. Cependant, il est bien connu que chaque Haïtien est directement ou indirectement influencé par la culture vodou. Il suffit d’entendre la musique haïtienne et de voir la manifestation des croyances populaires pour sentir la présence de la pratique du Vodou dans sa philosophie première ayant ses racines dans la cérémonie du Bois-Caïman.
Comme je l’ai expliqué dans la deuxième partie de cet article, le vodou, la religion des opprimés, était une forme d’autoprotection pour les esclaves, en référence à leurs origines africaines, mais aussi en tant qu’expression culturelle la plus profonde de la résistance au fil du temps. Compte tenu de l’ancrage du vodou dans la sphère haïtienne, on peut comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’un fait religieux mais qu’il est associé à l’identité historique et culturelle d’Haïti.
Aucun chiffre n’est donné sur le nombre approximatif de pratiquants du vodou en Haïti. Cependant, il est bien connu que chaque Haïtien est directement ou indirectement influencé par la culture vodou.
Il est pratiqué mais souvent désavoué par les élites locales et diabolisé par les gens ordinaires. Elle est stigmatisée comme une cause de sous-développement et un vestige obscurantiste, voire satanique. Cette stigmatisation est responsable, en partie, de certaines fractures sociales qui plongent Haïti dans des crises récurrentes.
Le comportement de l’élite intellectuelle haïtienne à l’égard du vodou (fruit de l’éducation recueillie) forme une division de classe. Le modèle de la relation entre l’intellectuel, toujours perçu comme civilisé, et le vodou, majoritairement paysan et analphabète, reprend le modèle du système esclavagiste qui reposait sur une double distinction de classe dans laquelle les plus faibles ont toujours été éliminés.
Cette distinction agit comme le vent avec des forces multiples qui menacent constamment la cohésion de la société haïtienne. C’est pourquoi qu’il est important de présenter une véritable histoire du vodou haïtien afin qu’il puisse à nouveau être non seulement un ciment pour la cohésion sociale mais aussi une voix qui a son mot à dire dans la construction d’une société meilleure.
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Le vodou doit être replacé dans le contexte de l’histoire du peuple haïtien afin que ceux qui le pratiquent puissent s’accepter et se sentir acceptés. Cela nécessite la collaboration de tous. Il est nécessaire, par exemple, de donner des cours dans les écoles pour faire connaître le vrai sens du vodou. Le chrétien ne doit pas mépriser le vodou et le pratiquant du vodou ne doit pas avoir honte de se présenter comme tel.
Profondément enracinée dans l’âme haïtienne, la pratique du vodou en Haïti trouve ses origines en Afrique, étant un synopsis des composantes religieuses traditionnelles africaines qui s’est progressivement fondu avec le culte des saints dans la religion catholique. C’était et c’est toujours une question cruciale pour la survie des anciens descendants d’esclaves et de leurs croyances. Des croyances interdites et sévèrement réprimées par les colonisateurs, dont la violation a entraîné la peine de mort.
L’évaluation juste du vodou haïtien devrait être une quête pour tout Haïtien soucieux de récupérer la dignité humaine fracturée pour sagement faire face à la réalité à portée de main et pour créer en même temps un environnement de tolérance et de respect.
Par Levelt Michaud, Théologien, Philosophe, Ethiciste et Poète
Traduction française par Sarah Jean.
Image de couverture : Un pratiquant de vodou lors d’une cérémonie. | © Photo : Pierre Michel Jean/Visit Haiti.
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