CULTURE

Le Konpa n’appartient plus aux Haïtiens | Perspective

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Le Konpa a peut-être pris naissance en Haïti, mais désormais, cette musique appartient au monde. Et l’UNESCO doit reconnaitre ce fait

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J’étais intrigué d’entendre «J’ai besoin de toi » d’Alan Cavé le 24 mars 2023 alors que j’entrais au gymnasium de l’Université Sainte-Anne, au Canada.

Jusque-là, je n’avais rencontré aucun Haïtien dans toute la Nouvelle-Écosse, cette province où se trouve l’université.

Je me suis donc demandé qui dans ce pays d’accueil froid se réchauffait sur ce rythme presque langoureux d’Alan Cavé, tant aimé par les mélomanes haïtiens.

  • «Êtes-vous Haïtien, cher Monsieur ?», lui ai-je demandé.
  • « Mais non, je viens du Cameroun. Pourquoi cette question ? »

J’aurais dû m’en douter. L’homme, taillé comme un athlète du temps des gladiateurs me ressemblait. Moins par ses muscles, trop visibles, que par son épiderme. Mais j’étais fier. Très fier.

  • «Sans te cacher, je ne me rappelle ni le nom de cet artiste ni sa nationalité, mais j’aime bien cette chanson et je l’écoute assez souvent», a rajouté l’inconnu.

Je me suis donc demandé qui dans ce pays d’accueil froid se réchauffait sur ce rythme presque langoureux d’Alan Cavé, tant aimé par les mélomanes haïtiens.

Dès lors, j’avais évidemment pour devoir de faire l’éducation de mon cher ami. Il devait apprendre le parcours d’Alan Cavé. Écouter, et danser, «Please baby». Maitriser les détours et circonvolutions de la musique nationale d’Haïti.

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Je suis également sorti édifié de cet échange. Ma conviction est désormais faite : le compas a peut-être pris naissance en Haïti, mais cette musique appartient au monde. Et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) doit reconnaitre ce fait.

Outre Alan Cavé qui séduit à travers le monde grâce ses œuvres musicales, d’autres musiciens ont déjà brisé les frontières nationales.

Les musiciens Konpa ambiancent au quotidien les voitures, les salons et les chambres des mélomanes partout dans le monde. Souvent, sans qu’ils ne le sachent.

La star guadeloupéenne, Tanya St-Val, a avoué avoir été élevée par les tubes de Magnum Band quand elle était enfant.

Fan inconditionnel de Carimi, le rappeur d’origine congolaise Youssoupha a déclaré sur son compte twitter une vérité de polichinelle :

«Franchement, la plus belle chanson de l’histoire de la civilisation humaine dans l’univers c’est « Sé Pa Pou Dat » de Alan Cavé. Voilà, c’est tout.»

Les musiciens Konpa ambiancent au quotidien les voitures, les salons et les chambres des mélomanes partout dans le monde. Souvent, sans qu’ils ne le sachent.

En outre, Miguel Octave et Fabrice Paimba ont réalisé en 2017 «Martinique, la seconde patrie du Konpa ?», un documentaire musicosociétal, qui décrit les affinités entre le Konpa et les Antillais.

Le Konpa s’est internationalisé, littéralement.

D’autres nations s’en emparent.

L’adaptent.

En font une musique locale.

Haïti n’est plus l’unique patrie du Konpa.

Quand Tabou Combo s’offre en spectacle au Luxembourg, au Danemark, en Hollande au Maroc, au Japon, pour ne citer que ces endroits, les mélomanes dansent le Konpa comme ils danseraient leur musique. Comme si les musiciens de Tabou chantaient en leurs langues.

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La culture ne connait pas de frontières !

Quand Coupé Cloué reçoit une ovation royale en Côte d’Ivoire où on lui a rendu des hommages officiels ; puis au Sénégal où le président de la République s’est senti flatté, de monter la scène pour saluer le Roi, le natif de Léogane se sentait comme en Haïti. Dans ces pays et bien d’autres, la foule qui chantait et dansait à corps perdu «Miyan Miyan, Andèrdan et Fanm Koloken n’était pas différente de celle de Le Lambie» à Carrefour, qui adorait Coupé.

Dans la même veine, lorsque Magnum Band a offert un spectacle inouï aux Jeux olympiques d’été à Atlanta, aux États-Unis en 1996, grâce aux démarches des fans américains du groupe, l’ambiance dans cette salle n’était pas différente de celle que Dadou et sa bande ont l’habitude de créer dans les salles de Pétion-Ville.

En ce sens, j’affirme que ce sont les mélomanes qui déterminent la patrie du Konpa. Et si la plupart des musiciens de cette musique sont nés et ont grandi en Haïti et qu’ils évoluent dans des communautés haïtiennes, ils appartiennent au monde !

L’homme, fondateur, Nemours Jean-Baptiste avait anticipé la chose. Dans sa chanson titrée «Rit Komèsyal» sortie en 1960, on écoute : «Konpa dirèk komèsyal, se sa k rann li orijinal». Puis, dans le titre «N ap Voye Ba Yo» sorti un an plus tard, soit en 1961, on entend : «Yo fè yo voye ban nou, Ann nou fè voye ba yo tou».

Lire aussi : De Nemours Jean Baptiste à Carimi, petite histoire des divorces au sein du Compas

Pour Nemours Jean-Baptiste, un aller-retour doit s’instaurer entre Haïti et la musique du reste du monde. L’on écoute. Ils nous écoutent aussi.

D’ailleurs, le Konpa se produit désormais en dehors des frontières d’Haïti — par des musiciens n’ayant parfois jamais mis le pied dans les Caraïbes.

Je le redis, le Konpa n’appartient plus aux Haïtiens ! Avec ou sans reconnaissance de l’UNESCO.

Par Nazaire Joinville

Image de couverture éditée par AyiboPost mettant en avant le groupe Tabou Combo. | © Photo: Bohdan Kiszuczuk


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Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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