CULTURE

De Nemours Jean Baptiste à Carimi, petite histoire des divorces au sein du Compas

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En tête de la première page du registre des divorces dans le compas sont marqués en lettres rouges Nemours Jean-Baptiste, le fondateur du genre et Webert Sicot

Depuis sa naissance il y a 65 ans, le Compas fait l’objet de discorde et de scissions qui sèment souvent de l’amertume au sein des mélomanes.

Les groupes qui n’ont jamais connu de disputes entre les musiciens ou n’ont jamais été divisés pour donner naissance à d’autres structures se comptent sur les doigts de la main.

En tête de la première page du registre des divorces dans le compas sont marqués en lettres rouges Nemours Jean-Baptiste, le fondateur du genre et Webert Sicot.

Le saxophoniste a tourné le dos à Nemours à la fin des années 1950 pour aller former non seulement son propre groupe, mais aussi son rythme musical baptisé « Cadence Rampas ».

Les deux musiciens ont occupé la scène musicale avec leur groupe respectif pendant plus d’une décennie. Malgré les rivalités, ils sont quand même restés deux bons amis. Les deux géants se sont même affrontés dans un match de football le 8 avril 1964 au stade Sylvio Cator. Ce match s’est soldé sur le score de un but partout sous l’arbitrage du grand Maestro Raoul Guillaume.

Le maître des scissions

Le vent de la division s’est amplifié au cours des années 1970. La rupture la plus marquante a occasionné la formation du groupe Skah-Shah, issu des Shleu-Shleu.

Shleu-Shleu prend naissance le 22 décembre 1965 à Port-au-Prince. En 1974 l’institution musicale devient le premier des Mini-Jazz à avoir trainé ses instruments en dehors du pays. Une fois arrivés à New York, la plupart des musiciens y sont restés et ont mis sur pied le Skah-Shah. Le 24 juin de la même année Skah-Shah voit le jour et Shleu-Shleu a continué son chemin. Les musiciens de Skah-Shah étaient entre autres, Georges Loubert Chancy, Yves Arsène Apollon, Mario Mayala et Jean Élie Telfort dit Cubano.

Lire aussi: Que signifient Shleu Shleu, Tabou Combo ou « les Gypsies »

Au sein de Skah-Shah la discorde a toujours triomphé entre Cubano, Arsène et Appolon. Plusieurs versions de Skah-Shah prendront naissance. En 1980, le Skah-Shah Number One Plus de Arsène Apollon rentre en scène. Dix ans plus tard, deux versions supplémentaires du groupe rentrent en scène. D’une part le Skah-Shah de Cubano et d’autre part le Skah-Shah de Zouzoul et de Georges Loubert Chancy.

Shleu-Shleu a aussi croqué dans la pomme de discorde. En 1976, l’on enregistre les Shleu-Shleu de Serge Rosental, et l’année suivant les Shleu-Shleu de Gracia Jean-Philippe (Ti kit) prend naissance.

La frénésie des années 1970

La fin des années 1970 et le début des années 1980 représentent l’âge d’or du Compas. C’était aussi une période au cours de laquelle beaucoup de groupes se sont scindés.

L’un des divorces majeurs consommés demeure celui entre Robert Martino et les Difficiles de Pétion-ville. Après avoir fondé ce groupe en 1966 avec le chanteur Henry Célestin et y avoir passé six ans, Robert Martino jette l’éponge en 1972 avec quelques musiciens pour aller former les Gypsies de Pétion-ville.

Entre temps le groupe Difficiles de Pétion-ville ont continué leur chemin, en marge de « polémiques » avec les Gypsies.

Robert Martino quittera les Gypsies pour aller créer Scorpio Universel à New York en 1976. Ce groupe était en rivalité avec les Difficiles de Pétion-ville dont le nom était changé en DP express. Robert Martino (encore lui) quittera Scorpio au début des années 1980 pour aller former Top-Vice avec Robert Charlot et le chanteur Fredy en 1986.

Des plaies encore vives

L’autre division qui a fait couler de l’encre en 1976 reste celle entre Dadou Pasquet et Tabou Combo. Dadou s’est retiré du groupe après seulement six ans pour aller former Magnum Band avec son frère Claude Pasquet qui se trouvait lui-même dans le rang des Gypsies. Jusqu’à date les plaies de Dadou après cette discorde ne sont pas encore cicatrisées.

Les frères Dejean voleront aussi en éclat. En 1980, ses musiciens comme Isnard Douby, Réginald Benjamin et Lucien Céran vont fonder le System Band aux États-Unis.

Lire aussi: Les blessures encore ouvertes de Dadou Pasquet depuis son passage à Tabou Combo

Le groupe Accolade de New York, né en 1979, a marqué le début des années 1980. Il est issu du Bossa Combo avec Jean-Robert Damas, Jean Claude Dorsainvil, Jean-Claude Desgrottes, Jean-Michel Ulcena, pour ne citer que ceux-là.

En 1981 après avoir connu beaucoup de succès, Ti Manno et DP Express se séparent. Le chanteur populaire allait former sa propre formation musicale baptisée Gemini All Stars avec des musiciens comme Hantz Mercier, Claude Valbrun.

Une division persistante

« Yo di djaz sa a fèt tou kraze, gade kijan l rele… » peut-on entendre dans la chanson OFF de Zenglen sortie en 2008 après le départ de Réginald Cangé et de Frérot. Jean Brutus Desrissaint, responsable de cette formation musicale se dit conscient de l’instabilité que connait son groupe. Rares sont les groupes musicaux de toute l’histoire du Compas a avoir connu autant de chanteurs et de schismes que Zenglen.

Le premier groupe issu de Zenglen est Ozone. Il a été fondé par Gary Didier Perez après son départ en 1992. Au cours des années 1995 et 1996, Zenglen a connu l’apparition de plusieurs musiciens, dont Arly Larivière et Gazzman Pierre. Le format du nouveau groupe prendra le nom de « Zenglen plus ». Le projet n’a pas fait long feu. Plusieurs musiciens ont alors laissé le groupe pour aller former D’zine. Pour pouvoir continuer l’aventure, Brutus a fait appel à d’autres musiciens dont Gracia Delva, Richie, Nicky, Nicolina…

Gracia connu comme le chanteur le plus populaire qu’a connu Zenglen a laissé le groupe à la fin de l’année 2002 à cause de problèmes avec l’immigration américaine. Le chanteur met sur pied Mass Konpa en Haïti en 2003.

Réginald Cangé et Frérot Jean-Baptiste qui ont succédé à Gracia à la même année ont tous deux laissé le groupe en 2007 pour aller former ensemble le groupe Fasil. Un an après, soit en 2008, c’était au tour de Nicky de partir pour introduire Harmonik.

Jean Hérard Richard (Richie) considéré comme le plus grand compositeur de Zenglen a aussi laissé le groupe avec El Pozo en 2012 pour aller former Klass.

Zenglen est coutumier de discordes entre les musiciens. D’autres ont quitté soit pour mener une carrière solo, soit pour former leur propre groupe quelque temps après. Les cas les plus récents concernent le guitariste Ralph Ménélas, Dabenz et le chanteur Wid.

La tumultueuse génération 2000

La formation musicale Nu-look d’Arly Larivière et de Gazzman Couleur est issue de D’zine en 2000, après une discorde entre les musiciens où des menaces de mort ont été proférés. Pipo qui a remplacé Gazzman au micro a dû laisser en 2007 pour former Bèl Djaz.

Gazzman a passé neuf ans au sein de Nu-look. En 2009, il quitte Larivière pour aller former Disip avec Gabriel Laporte, ex-membre de D’zine et de Nu-look.

Konpa Kreyòl s’est divisé en deux groupes en 2005. T-Joe Zenny et d’autres musiciens ont initié Kreyòl La. David Dupoux et sa sœur Fabiola ont donné vie au groupe Plezi qui deviendra Krezi, puis Nu-Krezi.

Théophile Jardotte a quitté Kreyòl La pour former plus tard Enkwayab sa propre formation musicale.

Lire enfin: Les musiciens du compas maltraitent énormément le créole

K-dans s’est scindé en deux en 2005. Jude Jean a fondé Chill, les autres musiciens ont continué sous le même nom. En 2011, les deux camps se sont réconciliés, mais le groupe demeure en perte de vitesse dans le secteur.

Pendant de longues années, T-Vice incarnait la stabilité. Jusqu’en 2014. Cette année, plusieurs musiciens sont partis en bloc pour aller former Dat 7.

CaRiMi aussi s’est divisé après quinze ans d’harmonie. La discorde entre Carlo Vieux, Richard Cavé et Michael Guirand est arrivée comme un coup de tonnerre dans le secteur musical haïtien. Richard et Michael, deux des trois fondateurs ont gratifié les mélomanes respectivement de Kaï et Vayb. Dans une entrevue accordée à Guy Wewe après cette division, Carlo Vieux a confirmé que CaRiMi était en proie à d’importants conflits internes où lui et Michael Guirand ne se sont jamais adressé la parole dans le groupe depuis environ dix ans.

En 2010, au moment où Djakout Mizik avait le vent en poupe, le groupe s’est scindé. Les musiciens les plus populaires ont fondé Djakout #1. Le reste des professionnels a continué avec Djakout Mizik, avec l’ancien staff managérial. Dix ans après Shabba, l’une des figures de proue du groupe a laissé ses confrères pour aller forme Ekip avec entre autres, Steeve Khé un ancien chanteur de Djakout# 1.

Cette rupture, comme celles qui l’ont précédé, a éclos un foisonnement de nouvelles musiques, de moments chéris par les mélomanes et d’initiatives mémorables. Qui avait dit que les separations devaient uniquement occasionner des pleurs ?

Nazaire «Nazario» Joinville

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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