CULTURE

Les blessures encore ouvertes de Dadou Pasquet depuis son passage à Tabou Combo

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Une affaire d’argent se trouve au cœur de la querelle. Les reproches fusent, de part et d’autre

L’épopée commence en 1970. En cette année, le co-fondateur de Tabou Combo, Albert Junior Chancy, se pose à Montréal pour boucler ses études universitaires. Les musiciens du groupe se mettent instantanément à la recherche d’un bon guitariste pour remplacer le musicien.

Jacques Souffrant et Eddy Louis, respectivement cousin et ami d’Herman Nau — un autre cofondateur de Tabou Combo — proposent André (Dadou) Pasquet pour le poste à responsabilité.

Âgé de seulement dix-sept ans, « Dadou » s’imposera comme star de la guitare dans le groupe après avoir subi avec brio un test sur deux chansons : « Junior » et « Giselène chérie ».

Six ans plus tard, Dadou abandonne Tabou pour aller former le groupe Magnum Band avec son frère Claude « Ticot » Pasquet. Avant son départ définitif, il était déjà remplacé par Elysée Pyronneau.

Quatre des meilleurs disques de toute l’histoire de Tabou Combo portent les griffes de Dadou Pasquet. Ce sont « Tabou Combo à la Canne à sucre », sorti en 1972, « Respect » un an plus tard, « 8e Sacrement » en 1974 et en dernier lieu « The Masters » sorti en 1975. Grâce au dernier opus, Tabou Combo a confirmé sa suprématie dans les années 1970.

Ces quatre albums ont connu de grands succès avec des tubes comme « New York City », « Mabouya », « Bebe Paramount », Inflation, « 8e sacrement », « Loneliness », entre autres.

Qu’est-ce qui explique donc ce divorce abrupt ?

Dans plusieurs entrevues accordées à AyiboPost, Dadou Pasquet met à l’index les musiciens de Tabou Combo qui, dit-il, ne lui ont jamais accordé ses crédits pour des chansons qu’il a lui-même composées ou arrangées au sein du groupe pendant son passage. Cette « exploitation » serait l’une des causes majeures de son départ.

En août 2018, le génie de la guitare participe à une des émissions de l’animateur Evens Jean. Il avait mentionné l’album « The Masters » pour lequel il s’est sacrifié sans trouver aucun crédit. « J’aime encore Tabou Combo, avait-il déclaré. Je n’ai rien contre ses musiciens, mais ils m’ont fait du tort que je n’oublierai jamais. »

Des droits confisqués ?

Les musiciens indexés par Dadou — Herman Nau, Yvon « Kapi » André, Roger M. Eugène dit Shoubou, Yves Joseph dit Fanfan Ti Bòt et Jean-Claude Jean — sont les figures de proue du groupe.

Dadou reproche à Fanfan Ti Bòt d’avoir mixé l’album « The Masters » en son absence. Contacté par AyiboPost, le musicien déclare n’être pas le mieux placé pour nous fournir ces informations. « À l’époque où Dadou faisait partie de Tabou, je ne faisais pas partie des compositeurs du groupe, précise Fanfan. »

Les deux personnes concernées, selon Fanfan, demeurent Herman Nau et Jean-Claude Jean. Joint au téléphone, Nau a donné sa version des évènements : « La seule chanson que Dadou ait composée et arrangé pour Tabou sur les quatre albums sur lesquels il a participé c’était “Come Back My Love” gravée sur l’album 8e Sacrement. Il a reçu les crédits pour cette chanson, continue Herman Nau. Dadou laisse croire aux journalistes que nous ne lui avons pas accordé ses crédits, c’est faux et archi faux. »

En tant que guitariste du groupe, Dadou a participé sur les chansons avec son instrument comme tous les autres musiciens l’ont fait avec le leur, Selon Nau.

« Le meilleur compositeur de Tabou reste Jean-Claude Jean, c’est lui qui disait toujours à Dadou ce qu’il devait faire dans les chansons, précise le cofondateur du groupe. Mais en tant qu’artiste, [Dadou] ajoute souvent sa propre couleur dans les chansons avec sa guitare. »

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De son côté, Jean-Claude Jean rejette l’idée que les musiciens de Tabou ont fait du tort à Dadou. « Pendant le passage de Dadou à Tabou, il n’était ni auteur, ni compositeur, encore moins un arrangeur. Il ne jouait que sa guitare, souvent en collaboration avec moi, dit Jean-Claude Jean. Cela me dérange quand Dadou veut se faire passer pour une victime et diaboliser les musiciens de Tabou. »

« Mabouya » et « New York City » qui comptent parmi les tubes les plus rentables pour Tabou sont entre autres, les chansons pour lesquelles Dadou Pasquet réclame son crédit. Le premier gravé sur l’album 8e Sacrement a été très vendu en Europe et s’est retrouvé dans le hit-parade en France. C’est une chanson pour laquelle les musiciens de Tabou ont gagné une belle somme.

Le second a été revisité par Carlos Santana sur son album « Shaman » paru en octobre 2002. Le guitariste mexicain a donné le titre « Foo Foo » à cette chanson. Cet album a été certifié Double Platine par la « Recording Industry Association of America » (RIAA) et était classé disque d’or en Grèce. Grâce à cet exploit, les musiciens de Tabou Combo ont empoché une somme mirobolante.

« Santana a utilisé mon solo sur la chanson “Mabouya” pour lequel il a payé les musiciens de Tabou. Je n’ai rien reçu dans la somme versée à Tabou car ils ne m’ont donné aucun crédit sur la chanson », se plaint Dadou Pasquet.

Herman Nau ne voit pas la chose de la même façon. « Dadou a joué sur ces chansons comme tous les autres musiciens sur la dictée de Jean-Claude, dit-il. Il n’était ni auteur, ni compositeur. »

Un talent précoce

Dadou a grandi dans une famille de grands musiciens. Ses frères Carlo et Claude Pasquet, son cousin Pierre Prato et son oncle Roodolphe « Dòdòf » Legros ont tous marqué la musique haïtienne. Dadou était âgé entre 9 à 12 ans quand il commence à manier les instruments.

À seulement 13 ans, Dadou jouait en compagnie de musiciens chevronnés comme Richard Duroseau, Gérard Thézan, ancien chanteur de l’Ensemble Wébert Sicot, Fritz Grand Pierre, ex-bassiste de l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste ou Guy Durosier.

Ce grand guitariste que le temps ne peut détruire a aussi joué pendant son enfance avec l’un des plus grands trompettistes haïtiens, Raymond Sicot, frère de Wébert Sicot. Dadou a aussi joué en compagnie du maestro Raoul Guillaume, l’un des monuments de la musique haïtienne.

Après son départ définitif pour New York en 1967, trois ans avant celui des musiciens de Tabou, Dadou intègre son premier groupe « Tropical » qui n’a sorti aucun album.

Promptement après son divorce d’avec les musiciens de Tabou Combo, Dadou allait former le Magnum Band le 24 juin 1976. Le groupe ne pouvait pas rester à New York à cause des menaces dont les fans et amis de Tabou auraient été à l’origine. Dadou et les siens ont quitté Miami afin de fuir leurs adversaires.

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Les menaces n’ont pas cessé pour autant. Quelques années après, le groupe était dans l’obligation de se rendre à Port-au-Prince afin de jouer des kermesses.

Malgré le froid entre les deux groupes, Tabou Combo tente parfois d’inviter Dadou Pasquet à certains de leurs événements.

Il faut compter plusieurs grandes activités dans les Antilles ; les trente ans de Tabou au Zénith en 1998 ; la célébration des cinquante ans en 2018. Dadou refuse toujours les invitations.

À deux reprises, Herman Nau a personnellement appelé Dadou au téléphone pour signifier les invitations. Yvon « Kapi » André l’a souvent invité au nom du groupe : il ne s’est jamais présenté.

« Soit Dadou exige une somme faramineuse, soit il dit qu’il ne sera pas disponible, précise Herman Nau. La seule fois où il a accepté de nous accompagner sur scène c’était sous l’invitation d’Albert Chancy pour le 20e anniversaire de la Radio Superstar. »

Le premier bal de Dadou Pasquet avec Tabou Combo a eu lieu au club Bleu Galant le 31 décembre 1970. Son propre groupe Magnum Band compte aujourd’hui 45 ans. Les inimitiés restent pourtant intactes. Des deux côtés.

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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