AYIBOFANMCULTURE

Le vodou se démarque du sexisme des religions chrétiennes

0

Dans le vodou, le genre n’existe pas. Homme et femme partagent les mêmes rôles et responsabilités

Read this report in English

Du haut de ses 24 ans Marie Modeline Saint-Cloud n’a jamais vu une femme accéder à l’anciennat de l’Église adventiste de Galaad qu’elle fréquente depuis toujours. L’anciennat regroupe les membres qui ont les rôles les plus importants dans l’assemblée.

La vingtenaire admet avoir trouvé cela étrange parce qu’il s’agit pratiquement de l’unique corps de l’église exclusivement masculin. « Lors des élections organisées pour élire les anciens, je n’ai jamais vu une femme se porter candidate », dit-elle.

Or l’assemblée ne manque pas de femmes capables. Faute d’une réelle réponse venant des responsables de son église, Saint-Cloud s’est forgé sa propre explication. Elle croit que ce sont les femmes qui refusent de proposer leur candidature parce qu’elles ont peur de la lourde responsabilité que suppose le rôle d’ancien.

Mais la vérité est tout autre : dans les églises, les postes les plus décisifs reviennent aux hommes. C’est ce qu’affirme Amendy Louis, théologien de foi adventiste.

Dans les églises, les postes les plus décisifs reviennent aux hommes.

C’est une conception largement partagée entre différentes religions, surtout celles qui sont d’inspiration chrétienne. Selon Paul Harrigan, pasteur de l’Église baptiste de Delmas Béthel, c’est ce que dit la bible. « Les Écritures exigent que certaines responsabilités dans une assemblée soient strictement masculines. Ceci n’est pas une question de sexisme, mais de rôle », dit Harrigan.

Mais contrairement à ces religions, le vodou semble se démarquer sur la place des femmes. Pour ses adeptes, le genre n’existe pas. Homme et femme partagent les mêmes rôles et responsabilités. Selon Raymond Lerebours, hougan, responsable du Lakou Kanga 3 ile, c’est parce que le vodou « n’est pas une religion, mais une spiritualité ».

«Égalité de genre»

Contrairement aux religions chrétiennes établies dans le pays, qui prônent un Dieu unique, le vodou est formé de plusieurs divinités. L’égalité entre les genres se manifeste d’abord dans le sexe de ces divinités.

Les esprits sont féminins ou masculins, et sont vénérés avec le même respect par les adeptes, tout dépend du rite qu’ils pratiquent. Le vodou, en effet, n’est pas uniforme, explique Velina Charlier, impératrice de Lakou Souvnans, l’un des trois plus grands sites du vodou dans le département de l’Artibonite.

Ce culte est riche en diversité. En témoigne le nombre de loas vénérés. Chaque loa a ses caractéristiques propres, mais parce que certains attributs se retrouvent chez plusieurs, ils se regroupent en famille ou panthéon. Parmi ces esprits, on retrouve des déesses comme Erzulie.

Lire aussi: L’invasion de « bòkò » sur les médias sociaux inquiète dans le vodou

Déesse du Panthéon rada, Erzulie est une énergie féminine associée au travail. « Personne ne la connaît entièrement », affirme Souzen Joseph, journaliste, pratiquante du vodou haïtien. D’ailleurs, le loa originaire du Dahomey a plusieurs personnalités qui seraient le résultat de son traumatisme de l’esclavage, selon les croyances populaires. C’est pour cela qu’aujourd’hui on a plusieurs Erzulie. Les deux plus connues sont Erzulie Freda et Erzulie Dantor.

Alomanja est le nom d’un autre esprit féminin puissant. C’est l’esprit nago qui dansait dans la tête de Dessalines lui-même, selon Souzen Joseph. Mais, qu’ils soient masculins ou féminins, les loas se manifestent dans le corps des hommes comme dans celui des femmes. Cela semble mettre les deux sexes sur un pied d’égalité devant les dieux.

«Une question de hiérarchie»

Par ailleurs, la hiérarchisation de la plupart des religions chrétiennes peut être un frein à l’accession des femmes aux rôles les plus en vue. Dans les églises, le corps pastoral est le groupement le plus élevé. Les adventistes et témoins de Jéhovah parlent d’anciennat, tandis que les baptistes et pentecôtistes parlent de pastorat.

Ces gens ont la même responsabilité. « Ils se chargent des cultes ecclésiastiques, explique Paul Harrigan. Ils travaillent avec le comité de l’église, sont au-dessus de l’ensemble des autres corps et sont souvent amenés à prendre d’importantes décisions ». Les femmes en sont absentes.

Le vodou paraît différent. Homme et femme peuvent devenir les plus hauts responsables d’un lakou. En outre, dans un lakou, les rôles ne sont pas répartis en fonction du genre.

Comme le péristyle est organisé autour d’une tête, le hougan ou la manbo, il existe aussi une hiérarchie. Mais selon Souzen Joseph, tout le monde se vaut. « Les rapports ne supposent pas la présence de subalternité, mais de complémentarité », assure-t-elle.

Par exemple, le serviteur qui dirige un lakou est aussi hougan qu’il est hounsi. Car il est un initié. « Dès lors qu’on est initié d’un lakou et qu’on y sert, lorsque toute la société se réunit, tous ceux présents sont des hounsis du lakou ».

Des choix «divins»

Ce sont les loas qui décident parfois de qui doit porter la charge du lakou. Et dans ces cas-là, selon Nerlande Auguste, ils ne choisissent pas en fonction du genre.

C’est en se basant sur la Bible que les responsables choisissent qui peut devenir ancien dans une assemblée chrétienne. D’autant plus que « dans 1 Timothée 3 verset 10, Paul dit que l’ancien de l’église doit être irréprochable, mari d’une seule femme », explique Amendy Louis. Autrement dit, qu’elle soit compétente ou pas, le rôle d’ancien ne peut être attribué à une femme.

À l’heure actuelle il n’existe aucune femme « ancienne » en Haïti, selon le théologien. « Le culte adventiste autorise cela, et c’est fait dans d’autres pays. Mais on n’est pas encore prêts à l’accepter chez nous ».

Si Louis pense qu’un jour viendra où les églises adventistes haïtiennes accepteront les femmes à leur tête, la donne diffère du côté des adventistes conservateurs. Ou même des témoins de Jéhovah. Pour eux, la bible ne veut pas d’une femme dans le rôle d’un homme. Seules quelques rares églises, par exemple les pentecôtistes, acceptent des pastoresses.

Rien n’est parfait

Même si les femmes ne sont pas toujours acceptées dans les plus grands postes, cela ne signifie pas qu’au sein des églises elles sont totalement mises à l’écart. Des ministères sont créés pour qu’elles puissent servir les besoins de l’assemblée. Ce sont entre autres les ministères des dames, de la famille, de la jeunesse et des enfants. Elles peuvent, dans ces groupes, être en position d’autorité.

Pour les témoins de Jéhovah, les femmes peuvent aussi être prédicatrices, au même titre que les hommes. « Nous pouvons aller prêcher les personnes chez eux comme le font tous les témoins de Jéhovah. Cela me suffit parce que c’est la place qui nous est attribuée par Jéhovah et que nous devons la respecter », affirme Abigaïlle Belony, vivant depuis peu en République dominicaine.

Pour sa part, Marie Modeline Saint-Cloud estime que sa religion a toujours reconnu ses droits de femme à travers des programmes régulièrement organisés en l’honneur de la gent féminine. Mais, féministe dans l’âme, elle est prise en étau entre son envie d’une égalité homme-femme et sa foi : « Pour moi, il n’y aucun problème à être à la fois chrétienne et féministe. Mais la bible reste ma boussole. Je sais donc que je ne pourrai jamais défendre certaines idéologies féministes ».

Rien n’est pour autant parfait dans le vodou, en termes d’égalité, malgré les différences notables qu’il présente face aux religions chrétiennes. Selon Velina Élysée Charlier, certains établissent malgré tout une différence entre les deux genres.

C’est le cas de Raymond Lerebours. Pour lui, certains rôles sont quand même dédiés à un homme ou une femme. « L’homme fort est entre autres chargé de la sécurité et du transport des matériaux lourds, explique-t-il. Quant à l’accueil, il est réservé aux femmes, symbole de beauté dans le vodou, d’après le hougan.

Mais Charlier met en garde contre une volonté « d’occidentaliser la spiritualité vodou ». « On essaie, dit-elle, de copier le modèle chrétien en voulant d’abord instaurer un Ati (chef suprême dans le vodou), puis des rôles genrés ».

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

    Comments