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Vers la terre maudite

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Depuis plus d’une semaine déjà, je suis terré là. Je n’ai pas bien compris ce qui se passe autour de moi. Ma mère m’a interdit de sortir. Je dois faire attention car un grand malheur nous guette. Mais elle n’a pas le choix, elle continue de partir travailler chaque matin sans grande assurance de rentrer le soir. Ma mère avait la chance de son côté. Elle n’avait pas le teint noir foncé, caractéristique principale pour attribuer arbitrairement la nationalité haïtienne selon les dominicains. Moi, je n’avais pas eu de bol, car je ressemblais comme deux gouttes à mon père. J’étais comme lui aussi noir que l’ébène.

Tout comme moi, ma mère est née sur la terre dominicaine. Elle n’a jamais mis les pieds en Haïti et n’y compte aucune famille ou attache. Elle ne connaissait ce bout de terre qu’à travers les chants et les contes des travailleurs. Mes grands-parents avaient traversé la frontière en quête d’un meilleur avenir dans les champs de canne de la république voisine. Ils s’étaient tous deux éteints sans avoir jamais obtenu les papiers pour légaliser leur statut et celui de ma mère. Ma mère avait à son tour entrepris les démarches nécessaires pour nous régulariser mais rien n’avait jamais abouti, même avec le petit magot payé à Monsieur Santiago.

Depuis quelques temps, les rumeurs vont bon train près de chez nous et personne ne semble à l’abri. La menace n’a jamais été aussi imminente. Et pourtant, nous étions tous habitués aux rafles, aux questionnements intrusifs et aux marchandages vicieux des gendarmes. Nous avions toujours été épargnés et étions souvent mortifiés d’apprendre les terribles nouvelles de déportation de voisins ou de proches amis. Mais cette fois-ci, il nous faudra irréfutablement partir vers la terre maudite…

La nuit, je m’endormais blotti contre ma mère qui arrivait à peine à fermer les yeux. Je l’entendais pleurer de longues heures, mais je n’osais rien dire. Je voulais la consoler, lui dire que nous nous en sortirions, néanmoins j’étais à court d’idées.

Je me sentais mal de rester dans ma case comme un lâche, de la laisser partir sans rien pouvoir faire pour la protéger. Je pensais à mon père, grand et fort. Il n’avait peur de rien. Il avait tenu tête au patron et avait obtenu gain de cause pour les travailleurs de son équipe. Une semaine plus tard, il avait été retrouvé mort tabassé, complètement défiguré de coups et sévices corporels. Alors, j’ai décidé de suivre discrètement ma mère chaque matin jusqu’à son lieu de travail. Si elle était attaquée par ces vils gendarmes, je me battrais pour elle. Le soir, je partais la guetter à mi-chemin et je me précipitai pour arriver avant elle dans notre case dès que j’apercevais sa silhouette. Elle m’avait fait promettre que je ne mettrais le nez dehors sous aucun prétexte.

Hier, en filant chez nous, je les ai trouvés là avec leurs armes et leurs camions. J’ai voulu prendre la fuite mais la stupeur m’a cloué sur place. J’ai bougé trop tard et ils m’ont vite rattrapé. Je leur ai crié en espagnol que j’étais dominicain mais ils n’ont rien voulu entendre. Je me suis démené comme un beau diable, refusant de rejoindre les autres qu’ils avaient entassés dans le camion comme de vulgaires bétails. J’ai reçu un coup de crosse sur la tête et je ne sais plus…

Quand j’ai rouvert les yeux, je me suis retrouvé à un poste de contrôle. J’ai cru comprendre que nous étions à la frontière qu’avaient jadis traversée mes grands-parents. Les gens parlaient, hurlaient, pleuraient en silence. Des gendarmes armés nous obligèrent à descendre. Je n’ai pas résisté,  stoïquement, j’ai marché dans la direction qu’ils m’indiquaient…

Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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