Une serviette hygiénique pour la journée et autres sacrifices de jeunes Haïtiennes

La hausse généralisée et continue des prix frappe sévèrement les jeunes femmes dans le pays

Dans un contexte d’augmentation incontrôlée des prix des produits alimentaires et d’hygiène, les femmes supportent une charge considérable, aggravée par la féminisation de la pauvreté dans le pays, comme le rapportent des témoignages recueillis par AyiboPost.

«Parfois, je suis même dans l’incapacité de me procurer des produits de première nécessité», déclare Mama, une vendeuse de sandales à Carrefour. Cette femme affirme qu’elle se rend au moins une fois par semaine au marché communal de Tabarre, en bravant les difficultés de Martissant, afin d’acheter quelques paires de sandales pour les revendre ensuite avec énormément de difficulté.

«Je peux passer près d’un mois sans utiliser de dentifrice faute de moyens pour en acheter. Je suis contrainte d’utiliser ce qui reste dans le tube pendant quelques jours, puis je dois me tourner vers du bicarbonate de soude, car le prix du dentifrice que j’utilise habituellement est passé de 300 à 750 gourdes en un clin d’œil.»

Les femmes supportent une charge considérable, aggravée par la féminisation de la pauvreté dans le pays.

Haïti affiche une inflation annuelle de 48,2 % en février 2023. «Je n’en peux plus», poursuit la quinquagénaire, seule responsable d’une famille de huit personnes à nourrir. «Je n’exige pas une vie aisée, mais avoir une vie normale me suffirait grandement.»

Les femmes sont souvent plus touchées par l’inflation en Haïti, car elles sont susceptibles d’avoir des revenus plus faibles et des responsabilités familiales plus importantes. Elles sont également surreprésentées dans les secteurs informels de l’économie, où les revenus sont souvent instables et les protections sociales limitées.

Nana, une jeune étudiante en sciences de l’éducation habitant Carrefour, confie avoir désormais recours à l’utilisation des linges artisanaux à la place des serviettes hygiéniques pour son entretien corporel intime.

«Afin de faire un usage optimal du paquet de serviettes de seulement huit unités, j’étais parfois obligée d’utiliser une seule serviette hygiénique toute la journée. Parfois, ça me donnait une sensation de grattelle assez gênante », déclare à AyiboPost la jeune étudiante.

Cette image montre des prix de serviettes hygiéniques dans un supermarché à Port-au-Prince, le 15 mai 2023. Pour la marque «Lia» Ultra Doux Over Night, il faut 170 gourdes pour un paquet de 8 unités. 382,50 gourdes pour BF Kotex Ultra Normal contenant 14 unités. Et pour la marque BF Ultra Nuit contenant 10 unités, il faut 382,50 gourdes.

Nana qui préfère l’usage de son sobriquet afin de parler ouvertement ne compte plus les sacrifices effectués ces dernières années pour tenter de survivre. En 2022, elle abandonne ses études à la Faculté de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves en raison des difficultés éprouvées pour prendre en charge les coûts.

«Aujourd’hui, je peux avoir 500 gourdes en poche et ne pas pouvoir m’acheter à manger pendant la journée, car, cet argent est mis de côté pour les frais de copie et de transport. Je me sacrifie !», dit la jeune dame.

Une variété de marques de serviettes hygiéniques disponibles dans un supermarché à Port-au-Prince, le 15 mai 2023.

«Quatre ans de cela, avec les revenus provenant de mon commerce, je pouvais acheter tous mes produits — parfum, déodorant, serviette hygiénique — par trois », explique Nana. Mais le petit commerce a fait faillite en début d’année. Et «c’est avec l’aide de la vente d’animaux en provinces» que Nana arrive à boucler ses fins de mois difficiles.

La mauvaise utilisation des serviettes hygiéniques peut être néfaste pour la santé des femmes.

Pour cet article, AyiboPost a demandé à 40 jeunes femmes, professionnelles et étudiantes de la région métropolitaine, à quel rythme elles changent de serviettes hygiéniques. 40 % d’entre elles affirment se changer une fois par jour en raison de leur incapacité économique à s’acheter plusieurs paquets. 50 % disent être obligées de se changer deux fois par jour à cause d’un débit abondant. Et seulement 10 % d’entre elles ont réussi à s’approcher du rythme recommandé par les spécialistes, soit trois fois par jour.

La mauvaise utilisation des serviettes hygiéniques peut être néfaste pour la santé des femmes. Le Dr Stéphane Michel, obstétricien gynécologue, et médecin de service à la maternité de l’Hôpital de la Paix évoque, entre autres, les réactions allergiques et des infections vulvaires provoquées par la pullulation des microbes dans le sang accumulé dans la serviette.

Rove Jeantuse Jean Michel, une employée de la radio Vision 2000, vit difficilement l’inflation actuelle. «Mon salaire ne parvient pas à couvrir tous mes frais de subsistance», déclare Jean Michel.

Les femmes sont souvent plus touchées par l’inflation en Haïti, car elles sont susceptibles d’avoir des revenus plus faibles et des responsabilités familiales plus importantes.

Pour joindre les deux bouts, la jeune dame vend des parfums et habits dans son entourage et sur les médias sociaux. «Les clients qui achètent parfois peuvent aller jusqu’à trois mois sans payer», regrette Jean Michel qui a quitté la maison familiale de Carrefour pour s’installer à Delmas, à cause de l’insécurité.

En février 2021, la Banque Interaméricaine de Développement (BID) a rapporté que les femmes représentaient 80 % de la main-d’œuvre du secteur informel. Trois femmes sur quatre étaient employées dans le secteur informel générant un faible revenu. De plus, elles étaient plus susceptibles que les hommes de se retrouver au chômage, avec un écart de 5 points de pourcentage (16 % contre 11 % en 2017).

Une revendeuse dans les rues de Port-au-Prince offre des produits hygiéniques, y compris des serviettes, le 15 mai 2023.

Marklyn est une étudiante finissante à la faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti. En août 2022, elle a perdu un emploi sous-payé au sein d’un cabinet d’avocats. « Avec franchise, je vais faire tout mon possible pour quitter le pays », dit-elle. « Je sais que je devrai tout recommencer, mais je me résigne».

La jeune dame a laissé Hinche, sa ville natale depuis tantôt six ans pour s’installer à Port-au-Prince afin de faire des études universitaires avec l’aide financière de ses parents. «J’aime vraiment Haïti et j’ai aussi des rêves et des objectifs, mais aujourd’hui, je ne vois plus d’avenir », continue Marklyn. Elle dit être obligée de prioriser sa scolarité et les coûts y associés comme le transport, les copies, et la nourriture, sur l’achat de produits cosmétiques pour son entretien corporel.

Par Lucnise Duquereste