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Une prison illégale construite et gérée par les gangs à Jérusalem

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Le centre carcéral est en réalité une maison de deux étages située à Jérusalem 9, à la frontière d’Onaville, un autre bidonville contrôlé par le chef de gang dénommé Jeff

À Jérusalem, un bidonville de Croix-des-Bouquets, les gangs armés ont aménagé leur propre prison pour « faire régner l’ordre », révèlent des résidents à AyiboPost.

Des jugements sont organisés sous la supervision du chef principal, un bandit dénommé Marc « Sansans » Ben.

Les sentences tombent en fonction du délit commis, et des membres de gangs font office de gardiens de prison.

Le centre carcéral illégal est en réalité une maison de deux étages située à Jérusalem 9, à la frontière d’Onaville, un autre bidonville contrôlé par le chef de gang dénommé Jeff.

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« Les bandits se sont emparés de la propriété, puis l’ont aménagée en ajoutant des barreaux aux fenêtres et des portes métalliques jugées plus appropriées », révèle à AyiboPost une source qui a elle-même pris part aux travaux d’aménagement.

Cette prison illégale illustre l’inexistence de l’État dans plusieurs localités du pays. Une inexistence qui profite aux bandits, lesquels organisent presque tous les aspects de la vie sociale et vont jusqu’à distribuer la justice ou le courant électrique.

Pour le docteur en sociologie Laënnec Hurbon, on assiste à un « véritable renversement des rapports sociaux » de la part des gangs.

Les sentences tombent en fonction du délit commis, et des membres de gangs font office de gardiens de prison.

« Le bandit est devenu, selon Hurbon, le maître qui fait de la majorité de la population ses esclaves. Tous ceux qui vivent dans le pays deviennent chacun un « prisonnier potentiel ».

Le bandit agit de la sorte « parce qu’il est lui-même devenu l’État », poursuit le spécialiste des rapports entre religion, cultures et politique en Haïti et dans la Caraïbe.

En mars 2024, la coalition de gangs Viv Ansanm à laquelle fait partie le groupe de Jérusalem a attaqué le Pénitencier national de Port-au-Prince, le plus grand centre carcéral du pays. Ils ont ainsi causé l’évasion de milliers de détenus.

on assiste à un véritable renversement des rapports sociaux de la part des gangs.

Dans la nuit du 17 au 18 mai 2024, les hommes de Wilson Joseph, alias « Lanmò san jou », ont pour leur part démoli la prison civile de la Croix-des-Bouquets.

Les malfrats sont désormais conscients d’être une force, observe Laënnec Hurbon.

Dans les territoires conquis, « ils fonctionnent en ayant construit toute une hiérarchie sociale avec des généraux, des soldats surveillants, des commissionnaires… » Une structure leur permettant de faire plier la population, analyse Hurbon.

À Jérusalem, par exemple, les bandits armés enferment des membres de la population dans leur prison, pendant plusieurs jours ou des semaines.

Mais bien avant, un jugement a lieu pour déterminer si la personne est réellement coupable de ce dont on l’accuse, selon des sources contactées par AyiboPost.

De fait, quand quelqu’un se rend chez Sansans pour porter plainte, un « soldat » est délégué pour aller chercher la personne accusée, souvent brutalement.

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Lors des arrestations, les sous-fifres du chef utilisent du fil de fer barbelé pour ligoter les coupables, selon la source. « Ils ont horreur des hougans qu’ils identifient comme des « malfektè » dangereux et des voleurs », dit la source.

Une résidente de Jérusalem confirme que le chef traite plus sévèrement ses propres hommes. « Leurs peines sont toujours plus lourdes, dit-elle. Non seulement ils passent plus de temps en prison, mais on ne leur donne ni à manger ni à boire quand c’est le cas. Et si un autre soldat se permet de venir en aide à celui qui est enfermé, il le rejoindra dans la cellule et sa peine sera pire. »

Les bandits de cette localité évitent d’utiliser leurs fusils dans la zone.

« Les fois où on les entend beaucoup tirer, dit la résidente, c’est quand ils font la fête ou qu’ils reçoivent de nouvelles armes qu’ils veulent tester. »

Aussi, ils ordonnent aux civils de ne pas sortir quand ils vont affronter d’autres gangs ou des forces de l’ordre.

Une résidente de Jérusalem confirme que le chef traite plus sévèrement ses propres hommes.

Ce genre de tactiques, implémentées pour attirer la sympathie des communautés prises en otage, est utilisé dans divers autres foyers de gangs.

En octobre dernier, dans la commune de Croix-des-Bouquets, le chef de gang Lanmò san jou a distribué des enveloppes d’argent à des enfants.

D’autres membres de la coalition Viv Ansanm distribuent, eux aussi, de l’argent ainsi que de la nourriture aux résidents de leurs territoires.

Des services autrefois assurés par l’État tombent aux mains des malfrats.

Le directeur administratif de l’Électricité d’Haïti (EDH), Jose Joachin Davilmar, a affirmé que les bandits vont jusqu’à détourner le courant dans plusieurs zones.

Ceux qui habitent ces localités sont forcés de nouer des rapports avec les malfrats.

Dans le cas de Jérusalem, des habitants confient que s’ils sont surpris en train de dire du mal des bandits ou s’ils partagent une quelconque information au sujet de la zone, ils se feront tuer.

Des services autrefois assurés par l’État tombent aux mains des malfrats.

« Ils ne fouillent pas nos téléphones de manière systématique, selon une des sources d’AyiboPost. Mais si l’un d’eux demande à voir notre téléphone, on ne peut pas refuser. Par conséquent, on est obligé de toujours rester sur nos gardes. »

Par peur d’être entendus et d’être identifiés comme des taupes, des membres de la population limitent leurs sujets de conversation. Plusieurs d’entre eux vont jusqu’à refuser les appels de personnes qui demandent des nouvelles de la zone.

« Tout le monde se méfie de tout le monde », déclare une des sources à AyiboPost.

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Image de couverture | Portrait d’une femme prisonnière, désespérée derrière les barreaux.

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Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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