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Une photographe suisse assiste à 60 mariages en Haïti. Elle expose ses découvertes.

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« Bonne vie à deux. Haïti pour le meilleur et pour le pire », une exposition de photos sur la culture du mariage en Haïti

Ce sont des photos de paillettes et de sobriété. Captées par Valérie Baeriswyl, elles donnent à voir les coutumes et traditions de mariage répandues dans diverses régions du pays.

La portraitiste aguerrie, connue pour son travail sur la forêt des Pins, expose une quarantaine de clichés le 13 janvier 2021, à partir de 5 h, à l’Institut Français. Elle intitule le rendu final : « Bonne vie à deux. Haïti pour le meilleur et pour le pire. »

Plus d’une décennie après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les mariages offrent une vitrine exceptionnelle sur les fossés sociaux et les résistances quotidiennes des Haïtiens.

L’exposition propose un déroulé chronologique, des préparatifs à la cérémonie. Baeriswyl a traîné sa caméra dans plus de 60 cérémonies éparpillées dans sept départements du pays.

Ce travail a emmené la photojournaliste à travers les villes et campagnes, dans des bateaux, motos, camionnettes ou à dos d’ânes. Elle a été invitée dans des mariages chez « les paysans, les palais meringués des beaux quartiers de Port-au-Prince, les torchis des bidonvilles ou les salles louées par ce qui reste de classe moyenne en Haïti ».

Un écho de la Suisse

Baeriswyl avait 30 ans quand elle débarque en Haïti en 2015. Alors que d’autres photographes s’intéressent au spectacle de violence, de misère et d’injustice sociale qui sévit dans le pays, elle jette son dévolu sur les unions. Sa boite à image cherchait à être témoin de ces moments de joie, d’anxiété mêlée d’euphorie et de promesse d’amour éternel.

Les mariages offrent une vitrine exceptionnelle sur les fossés sociaux et les résistances quotidiennes des Haïtiens

La professionnelle prend son premier choc en février 2015, à sa première cérémonie. Le contraste avec les mariages en Suisse fut frappant. « On avait deux heures de retard, rapporte Valérie Baeriswyl qui vient d’un pays connu pour sa culture de ponctualité. Je me demandais ce qu’on allait trouver. Mais, lorsqu’on est arrivé, ils venaient à peine de commencer. »

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L’autre surprise l’attendait à l’entrée. Il y avait trois ou quatre jeunes filles habillées en robe de mariée. Intriguée, Baeriswyl a pensé à des mariages simultanés. En réalité, il s’agissait des « reines » ou des « annonceuses ». Et à la fin de la cérémonie, chacun est parti de son côté. Il n’y avait pas de réception, rien du tout.

« C’est hyper différent de la Suisse, s’exclame la photojournaliste. Dans mon pays, les mariages sont très organisés. La salle, le traiteur, la robe… rien ne se fait à la dernière minute. Par exemple, j’ai des réservations pour 2021, presque 2022. Les gens ont leur carton d’invitation longtemps en avance. » En Haïti cependant, la photojournaliste explique qu’elle peut être appelée la veille pour photographier un mariage.

Les parfums Hombre

La tendance individualiste frappe fort chez les Helvètes. Au contraire d’Haïti où la chaleur humaine et l’esprit d’entraide règnent en maitre entre les familles lors des mariages à la campagne. « J’ai aimé que les gens soient contents de me voir à leur mariage », partage Baeriswyl.

L’autre fait marquant pour la photographe reste la place de la religion dans les unions. Dans certains mariages, les gens vaporisent du Hombre sur les mariés (parfum utilisé dans le Vodou pour bénir et faire l’interpellation des esprits de Guinée). De plus, les mariages civils sont en quantités négligeables en comparaison aux mariages religieux.

Ces cérémonies disent ouvertement les contrastes de la société haïtienne. Valérie Baeriswyl a assisté à une veillée de mariage où l’offre gastronomique était du café, pain, alcool et thé alors que les participants jouaient au traditionnel jeu de domino.

Ailleurs, c’est la diaspora qui américanise les choix des mariés, avec leurs « folies de grandeurs » : limousine, énorme cortège, habits de mêmes couleurs, etc.

Des gens chaleureux

C’est un travail sur le racisme entre Dominicains et Haïtiens qui emmène Valérie Baeriswyl en Haïti.

En cherchant des contacts pour son reportage, elle fait la rencontre d’Arnaud Robert, un autre journaliste suisse qui fait le va-et-vient entre Haïti et son pays natal. « Qu’est-ce que tu fais en République dominicaine ? lui demande Robert. Va de l’autre côté, tu verras, c’est mille fois mieux, et tu comprendras mieux ton sujet. »

Aventurière, Baeriswyl acquiesce. Elle prend un bus pour Haïti avec pour objectif d’y séjourner pendant une semaine : la photojournaliste restera durant deux mois, puis pour beaucoup plus longtemps, car elle est tombée amoureuse du pays.

« Ici, les gens sont hyper chaleureux, c’est assez facile de se faire des amis, de trouver quelqu’un qui ne te connaisse pas, mais qui accepte de t’aider, partage Valérie Baeriswyl. C’est tout le contraire de chez moi. On a un premier rapport qui est un petit peu froid quand même. C’était assez difficile de sympathiser pour moi. »

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Elle intègrera le collectif de photographes K2D. Ces nouveaux collègues l’aideront à trouver des mariages à photographier. En échange, elle offre des photos aux couples. Aussi, les mariés ont la chance d’avoir un regard extérieur sur leur mariage, même s’ils avaient déjà engagé un photographe professionnel.

Pour démarrer ce projet, la professionnelle a utilisé ses propres fonds. Ce n’est qu’en septembre 2019 qu’elle reçoit la bourse de « Yannis Behrakis Photojournalism Grants » de Re. Grâce à ce financement, elle a pu se rembourser une partie des dépenses engagées et se rendre dans des endroits qui lui étaient inaccessibles par manque de moyens.

La documentariste

La passion pour la photo chez Valérie Baeriswyl commence lorsqu’elle avait 10 ans. Elle avait acheté elle-même sa petite caméra après avoir travaillé chez ses grands-parents durant l’été. Ses parents ne voyaient pas la photographie comme un « métier », alors elle a œuvré comme documentaliste durant quelques années.

Mais à côté, Valérie Baeriswyl n’a jamais cessé de travailler sa caméra. Elle faisait des photos de famille, encadrait des femmes enceintes et offrait des clichés à la presse locale. En 2011, elle se rend à Paris pour prendre une formation en photojournalisme. Rapidement, elle abandonne son travail de documentaliste à la bibliothèque d’un lycée lausannois.

Aujourd’hui, Valérie Baeriswyl documente la vie en Haïti, un pays où elle dit se fondre dans le décor. Son regard neuf le pousse à l’émerveillement sur des petits détails qui échappent aux autres. Elle veut tout photographier pour partager ce qu’elle voit.

« En tout, je pense que je suis allée dans 61 pays », déclare la photojournaliste en riant. Après l’Albanie, l’Asie centrale ou l’Afrique du Nord, elle pose ses valises durablement en Haïti. « Il ne se passe pas un jour où je n’ai pas envie de photographier quelque chose pour le montrer à quelqu’un. En tant qu’artiste, je pense que l’on peut développer un autre regard, une autre façon de voir les choses. »

Hervia Dorsinville

Cet article a été mis à jour pour préciser le nom de la bourse Reuters et celui du parfum utilisé dans les mariages. 11.01.2020 14.52

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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