SOCIÉTÉ

Un professeur peut-il entretenir une relation intime avec son élève ?

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Début mai, une jeune fille de 17 ans a accouché d’un enfant pour son professeur de sciences sociales. Au-delà de l’abus sexuel, ce cas soulève des questions éthiques pas assez prises en compte dans l’enseignement en Haïti

Un enseignant d’une école nationale de la Grand-Anse a entretenu une relation intime avec son élève et la jeune fille est tombée enceinte.

La direction de l’école en a été informée par ouï-dire quand la demoiselle a manqué à ses cours en avril dernier. C’est lors d’une visite chez les parents de l’écolière que la directrice de l’établissement a confirmé la rumeur que son élève porte un enfant pour Bernice Saint-Louis, son professeur de Sciences sociales.

Le bébé est né le 5 mai dernier. L’enseignant est un trentenaire alors que l’élève qui est en 7e année fondamentale va bientôt avoir dix-sept ans. « J’ai appelé le professeur Saint-Louis à la direction, il m’a avoué avoir eu des relations intimes avec l’élève et que l’enfant est bel et bien le sien. C’est horrible ! J’ai été très en colère quand il m’a fait cette déclaration. Depuis plus de 35 ans que je suis dans l’enseignement, cela ne s’est jamais produit dans l’établissement que je dirige », déplore la directrice, Micheline Jean.

Selon Gérald Guillaume qui coordonne l’Initiative départementale contre la traite et le trafic des enfants (IDETTE), dans les sections communales de la Grand-Anse, des enseignants prennent le malin plaisir d’abuser des élèves qui sont souvent des mineures.

« C’est presque une coutume ici, dit Guillaume. La question du viol est quasiment devenue un fait divers dans ces communautés à cause de l’impunité. Les acteurs judiciaires n’acceptent pas encore que les droits des enfants et ceux des femmes font partie des droits humains », constate le responsable de l’organisation de droits humains qui avance que souvent les accusés de ces actes répréhensibles jouissent de l’impunité ou alors s’ils sont appréhendés par la justice, ils trouvent une main levée.

Pendant l’année 2020, plusieurs jeunes filles, dont des mineures, sont tombées enceintes dans une école à Beaumont. Jusqu’ici, personne n’a comparu devant la justice dans le cadre de ce dossier.

Un mal profond

Les rapports intimes entre enseignants et élèves ne sont pas une étrangeté liée à la Grande d’Anse. Georges Wilbert Franck qui est le coordonnateur général de l’Union nationale des normaliens/nes et éducateurs/trices d’Haïti (UNNOEH), un syndicat d’enseignant, estime que le ministère de l’Éducation nationale n’a aucun contrôle sur ce qui se passe dans les écoles du pays.

Ce professeur d’université qui a pendant une quinzaine d’années enseigné à l’école classique rapporte que de jeunes adolescentes sont souvent victimes de beaucoup d’injustices et de violences dans les écoles, notamment publiques. Il confie que le mode opératoire des enseignants abuseurs dans certains lycées consiste à montrer aux élèves qu’elles ont échoué aux examens même quand c’est faux. Puis, ces mêmes enseignants se font passer pour de bons serviteurs souhaitant aider ces filles à réussir la prochaine fois pour garder leur place à l’école.

Lire aussi: Le fléau du harcèlement sexuel dans le milieu éducatif haïtien

« Les enfants qui vont aux lycées sont souvent issus des classes défavorisées, donc, ils ont toujours peur d’y perdre leur place, continue Georges Wilbert Franck. Les enseignants se montrent comme des pères de bon cœur qui veulent du bien pour elles. Ils les frappent, deviennent leurs amis puis, ils leur font des propositions indécentes que j’appelle chantage ».

Le professeur Frank pense que l’école devrait être un havre de paix. Selon lui, un parent devrait pouvoir confier son enfant sans crainte à une institution scolaire. « C’est dommage que ce ne soit pas le cas », affirme-t-il.

L’avocate Marie Rosy Auguste, responsable de programme au Réseau national de défense des droits humains, abonde dans le même sens. Tenant compte de la déclaration universelle des droits de l’homme, du pacte international sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes et la convention internationale relatif aux droits de l’enfant, l’avocate estime que les droits des victimes de violences sexuelles en milieu académique sont bafoués.

« Le droit à l’éducation est consacré dans les instruments juridiques que nous venons de citer et que Haïti a ratifiés, mais aussi dans notre Constitution qui dit clairement que les enfants et les jeunes doivent avoir accès à l’éducation et à la formation. Quand on parle d’accès, on voit aussi l’environnement parce qu’il doit être propice pour un bon apprentissage. »

Une affaire illégale?

Illégalité et abus mis de côté, il est des questions éthiques et déontologiques sérieuses se rapportant aux relations entre enseignants et élèves.

La loi en Haïti n’encadre pas spécifiquement les relations intimes entre élèves et enseignants ni entre étudiants et professeurs. Les écoles ou universités ayant un règlement interne clair et renforcé sur ces questions sont rares.

Quand il s’agit d’un mineur, le ou la coupable peut être poursuivi au regard de la législation nationale sur la corruption et l’abus des mineurs. Le harcèlement sexuel n’est pas prévu par la loi en Haïti, ce qui rend la chose plus compliquée pour les étudiants déjà majeurs, quand il n’y a pas inconduite sexuelle.

Même quand il y aurait consentement, cependant, il y a une asymétrie dans la relation et un rapport de pouvoir évident, qui avantage les enseignants et professeurs. Ces rapports peuvent rendre l’apprentissage difficile, voire impossible.

Certains pays interdisent formellement les relations intimes entre élèves et professeurs, à cause des dérives potentielles qu’elles peuvent occasionner et aussi du flou sur la question du consentement quand une des parties prenantes détient une autorité certaine sur l’autre.

Au Texas, aux États-Unis, ces relations — une fois découvertes — sont passibles de vingt ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant monter jusqu’à 10 000 dollars. Il n’est pas nécessaire que l’élève soit inscrit dans le cours du professeur en question ou qu’il ou elle soit mineur pour que la loi s’applique.

Depuis 2015, l’université Harvard interdit les relations sexuelles entre étudiants de baccalauréat et professeurs à la Faculté des arts et des sciences, ainsi qu’entre étudiants des cycles supérieurs et professeurs, lorsque ces derniers leur enseignent, dirigent leurs travaux ou les évaluent d’une façon ou d’une autre.

Marie Rosy Auguste croit que la société haïtienne doit changer sa façon de banaliser les relations entre professeur et élève, ou entre professeur et étudiant. Selon la militante, ces types de rapports peuvent être dangereux surtout à l’école classique parce qu’à ce niveau on a affaire généralement à des mineurs(es). « Or, il n’y a pas de consentement quand la personne n’a pas encore atteint sa majorité. Souvent en niveau universitaire, on se dit que la personne est majeure, et que c’est normal. Mais il faut considérer que ce professeur à la capacité d’influencer la note de son étudiant. »

AyiboLab | « Pwofesè a mande poum ale nan pisin ak li pou l ka korije nòt mwen »

Georges Wilbert Franck détient un avis plus nuancé. « Mon épouse a été mon étudiante, dit le syndicaliste. Après notre mariage elle a fait une autre étude où j’étais son professeur. Ses camarades voulaient passer par elle pour obtenir des informations sur les examens ».

Simultanément, le professeur admet que dans une telle relation, le professeur peut perdre son objectivité dans l’appréciation du travail de l’élève ou l’étudiant.

Une relation amoureuse entre un professeur et son élève ou étudiante n’est pas quelque chose à promouvoir, parce qu’un professeur peut se servir de son autorité académique pour exploiter de jeunes filles, rajoute encore Georges W. Franck.

Les inégalités sociales sont aussi un critère à considérer. L’administration de l’école de la jeune fille de la Grand’Anse, de concert avec des organisations de droits humains sur place tente d’entamer une procédure judiciaire, mais les parents de la fille ont peur de porter plainte. « Nous vivons dans un pays d’injustice. Si l’on va au tribunal, le professeur peut s’enfuir et abandonner la demoiselle. Alors que maintenant, il la prend en charge avec le bébé », témoigne le grand-frère de la fille.

Photo d’illustration : AP Photo/Dieu Nalio Chery

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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