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Le fléau du harcèlement sexuel dans le milieu éducatif haïtien

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« Il me disait que j’étais son sac de farine et qu’il voulait me pétrir comme une pâte. À l’époque, mon uniforme comprenait un pantalon. Il prenait plaisir à m’envoyer au tableau et restait de loin pour me regarder »

À seulement 15 ans, Dorah Payen a subi le harcèlement sexuel à son école. Elle était en classe de seconde. Au lieu de dispenser son cours, le professeur s’intéressait plutôt au corps de la fille.

« Il me disait que j’étais son sac de farine et qu’il voulait me pétrir comme une pâte. À l’époque, mon uniforme comprenait un pantalon. Il prenait plaisir à m’envoyer au tableau et restait de loin pour me regarder». Jusqu’en classe de première, le professeur a continué à harceler la mineure.

Les épisodes devenaient répétitifs et insupportables pour la jeune fille, qui s’est confiée à sa mère.

Un jour, Payen l’a croisé dans les escaliers de l’école, et l’homme lui barrait le passage. « Il tournait lascivement une bague qu’il avait au doigt en me disant que lui seul sait ce qu’il pourrait me faire, s’il ne portait pas cette bague depuis onze ans», raconte Dorah Payen.

Les épisodes devenaient répétitifs et insupportables pour la jeune fille, qui s’est confiée à sa mère.

« Ma mère a engagé un avocat qui l’a accompagnée à l’école, dit-elle. Quand le professeur s’est rendu compte que le dossier pourrait prendre une autre tournure, il a démissionné. Il y a d’autres filles qui subissaient le harcèlement comme moi, mais elles avaient peur de le dénoncer. »

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Selon Marie Kesner Rosy Auguste, responsable de programmes au Réseau national de défense des droits humains en Haïti, le harcèlement sexuel en milieu scolaire est d’autant plus préoccupant qu’il s’agit de mineures.

« Parfois, les filles ne peuvent même pas dire à leurs proches ce qu’elles subissent. Les professeurs ont une certaine autorité et cela fait peur aux victimes. De plus, les parents peuvent parfois penser que leurs filles sont responsables du harcèlement qu’elles subissent de leur professeur. »

Le harcèlement sexuel est un problème qui n’est encore résolu ni au niveau juridique ni au niveau social dans le pays. La société est très permissive. «C’est vrai que les organisations féministes mènent un combat pour essayer de changer la situation, mais on est encore loin», dit Marie Rosy Auguste.

A l’université

Irvika François était inscrite en licence en Sciences de l’éducation quand elle a commencé à etre harcelée sexuellement. C’était en 1997, à l’Université Quisqueya. Plusieurs enseignants, dont le professeur de créole, lui faisaient des avances.

« J’aimais ce que j’apprenais. J’avais une fougue pour mes études. Après les cours, j’allais voir le professeur pour lui demander des explications. J’ai remarqué que des étudiantes lui apportaient de petits cadeaux, des plats, des mangues, etc. Moi je ne le faisais pas», dit-elle.

François obtenait tout juste la note de passage, pour toutes les matières que ce professeur dispensait. Pour obtenir une note supérieure, l’enseignant lui exigeait de sortir avec lui. Elle s’en est plainte à la direction des affaires étudiantes.

« Le professeur Auguste Dmeza, le responsable des affaires étudiantes, a dû démissionner parce qu’il ne supportait pas la situation. Les professeurs voulaient qu’il dise que c’est moi qui leur faisais des avances.»

Auguste Dmeza confirme les faits. « Irvika François a été victime de harcèlement sexuel et il n’y avait pas qu’un seul prédateur sexuel dans cette université. J’ai pris sa défense et j’ai porté le dossier vers d’autres autorités », dit-il.

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François, accompagnée de sa mère, affirme avoir rencontré le recteur de l’époque, Paul Saint-Hilaire. Mais celui-ci nie les allégations de l’étudiante.  « A l’Université Quisqueya c’était toujours tolérance zéro. Par exemple, un vice-doyen qui a eu un excès de langage contre un étudiant a été forcé de démissionner. Je n’étais pas au courant de cette affaire de harcèlement», répond-il.

Pour sa part, l’actuel recteur, Jacky Lumarque, affirme que beaucoup a été fait depuis son arrivée à l’Université Quisqueya. « Nous ne pouvons pas nous vanter d’avoir éradiqué le harcèlement, mais nous pratiquons la politique zéro tolérance. Il existe même une structure pour recevoir les plaintes des étudiantes.»

Mais selon le recteur, elles ont peur de dénoncer les harceleurs, par pudeur, par crainte de revanche, etc.

Peu d’avancées

À l’Université d’État d’Haïti également, les cas de harcèlement existent. Il n’y a pour le moment aucun règlement qui l’interdise. En 2020, Sabie Paris, une ancienne étudiante de la Faculté des sciences humaines, a dénoncé sur son compte Facebook les harcèlements sexuels dont elle était victime, lorsqu’elle était étudiante.

Après ses allégations, le rectorat de l’UEH a créé une commission d’enquête. La commission, selon le recteur Fritz Deshommes, devait non seulement enquêter sur les dénonciations de l’ancienne étudiante, mais devait aussi faire des recommandations.

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La commission etait composée de Nadève Ménard, professeure à l’École normale supérieure, Marc Felix Civil, professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie et Mona Jean, professeure à la Faculté des sciences humaines.

Marc Felix Civil assure que la commission a soumis un rapport au rectorat. « Nous ne pouvons pas dire ce que l’enquête a révélé parce que le rapport n’est pas encore public», assure-t-il.

Le recteur Fritz Deshommes a confirmé avoir reçu le rapport de la commission d’enquête. « Avec tout ce qui s’est passé dans le pays, le travail a pris beaucoup de temps. Mais nous n’avons jamais eu le temps de nous pencher dessus », déclare le recteur.

En attendant, à l’UEH, il n’existe pas un organe qui recueille les plaintes des personnes victimes de harcèlement.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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