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«Tu es folle!», «Un homme doit gérer ses problèmes seul»…visiter un psy reste mal vu en Haïti

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 Le métier de psychologue en Haïti n’a pas encore toute la reconnaissance qu’il lui faut

C’est seulement en 2015 que la santé mentale sera considérée comme un enjeu de santé en Haïti. Cinq ans après le séisme du 12 janvier, le traumatisme vécu par certaines familles, certains individus, était encore à vif.

Malgré cette reconnaissance, dans le budget déjà faible du Ministère de la Santé publique et de la Population, un minuscule pourcentage de 1 % sera affecté à la santé mentale. Les métiers liés au domaine, ceux de psychologue et psychiatre, pâtissent depuis longtemps de ce manque de considération.

Mais petit à petit, l’importance des professionnels de la santé mentale grandit, selon Ronald Jean-Jacques. Il est psychologue et professeur de psychologie. Il a été président de l’Association haitienne de psychologie.

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« Au fur et à mesure que notre culture augmente, dit-il, de plus en plus de métiers bénéficient d’une plus grande reconnaissance. La psychologie bénéficie de ce nouveau regard depuis le séisme du 12 janvier. Les gens se rendent compte de son importance ».

Selon Cassandra Lafalaise, psychologue qui exerce depuis quinze ans, dont sept ans en Haïti, il reste encore un grand défi à surmonter, pour que son métier soit reconnu à sa juste valeur. « Les gens croient que quelqu’un qui va chez un psychologue a de graves problèmes, qu’il est fou. Les hommes surtout sont réticents, car on leur dit qu’ils doivent gérer leur problème tous seul, comme des hommes. »

C’est ne pas connaître le rôle du psychologue. « La solution vient toujours du patient lui-même, continue Cassandra Lafalaise. C’est en lui qu’il puise les ressources pour renverser la situation. Le psychologue est seulement là pour l’aider. »

«Tu es folle»

Certains Haïtiens consultent un psychologue, malgré les tabous. Rebecca Augustin se rappelle très bien pourquoi elle a dû voir un professionnel de la santé mentale. « À sept ans, j’ai perdu un œil, explique-t-elle. Vers 16 ans, je ne me sentais pas capable de vivre ainsi. Mes parents m’ont emmené voir un psychologue, qui m’a fait comprendre que ce n’était pas la fin du monde et que je pouvais le surmonter. »

Aujourd’hui encore, même si elle a accepté sa déficience, elle continue ses visites. « Pendant les premiers moments, ceux qui savaient que je voyais un psychologue disaient que j’étais folle. Mais maintenant, je n’ai plus aucun complexe par rapport à cet œil, et je peux expliquer aux gens ce qui m’est arrivé. »

Chrismy Augustin, étudiant en médecine qui souhaite se spécialiser en psychiatrie, consulte de temps à autre également. « Récemment, on m’a diagnostiqué une dépression saisonnière. J’ai donc dû suivre des séances. Je dois y retourner en juillet. Les gens ne comprennent pas que le psychologue ne t’aide pas directement, mais il te donne les moyens d’avancer toi-même. »

De la méfiance

Mais certains ne veulent pas aller chez un psychologue parce qu’ils n’en voient pas l’utilité.

Samantha Fanfan est une jeune étudiante en médecine. En 2016, elle s’est assise sur le divan d’un psychologue. Elle ne souhaite pas refaire l’expérience. « Je ne comprends pas comment je peux raconter ma vie à un inconnu, qui me pose des questions intimes auxquelles je n’avais même pas pensé avant. Je crois que mon entourage, ceux qui me connaissent réellement peuvent mieux m’aider », affirme-t-elle.

D’après Ronald Jean Jacques, ce comportement n’est pas nouveau, et il est bien répandu. « Il est toujours difficile de s’ouvrir à un psychologue, dit-il. Que la personne soit extravertie ou introvertie. Mais au fil des séances, la gêne disparaît et le patient se rend compte des bienfaits. »

Honoraires trop élevés

L’un des griefs adressés aux psychologues a rapport aux prix qu’ils pratiquent. Rebecca et Chrismy estiment qu’il est parfois trop cher de s’accorder les services de ces professionnels. Ils admettent toutefois que certains sont abordables. Mais plus d’efforts devraient être consentis en ce sens.

D’après l’ancien président de l’Association des psychologues haïtiens, le prix d’une séance dépend de beaucoup de facteurs. « Lorsque quelqu’un consulte un médecin, il lui prescrit des médicaments. Mais le psychologue lui n’aide qu’avec la parole. Certains croient alors que le psychologue a une valeur moindre que le médecin, et qu’il devrait donc être moins cher. »

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Pourtant, les tarifs exigés en Haiti ne sont pas la norme. « Par rapport à des villes comme New York, Miami, ou même par rapport à la République dominicaine et la Jamaïque, les prix pratiqués en Haïti sont de loin les plus bas. Il y a même certains psychologues qui offrent leurs services à partir de 1000 gourdes. »

Cassandra Lafalaise croit elle aussi que les honoraires des psys sont une question sensible. « Il n’y a pas, à ma connaissance, un barème qui fixerait les prix des séances, dit-elle. Moi, j’offre un service abordable entre 2000 et 2500 gourdes. J’ai parlé à des médecins pour déterminer mes prix en fonction des leurs. »

Assistance gratuite

Pour rendre plus accessibles les services des psychologues, l’Association haitienne de psychologie a mis sur pied une ligne téléphonique.

Depuis près de trois semaines, alors que la pandémie du Coronavirus fait des vagues dans le pays, des préposées reçoivent des appels de dizaines de gens qui souhaitent se faire écouter par un professionnel. « C’est un projet qui date d’une année ou deux, dit Ronald Jean Jacques, l’un des responsables. On voulait aider les gens. Mais il ne remplace pas une consultation complète dans un cabinet. ».

Le numéro de ce service, 2919 9000, est gratuit pour les abonnés de la compagnie Digicel, mais des difficultés techniques entravent le fonctionnement idéal de la ligne.

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« Quand une personne appelle, elle ne paie pas. Le préposé doit l’entendre, et en fonction de son problème, le transférer à un professionnel, pendant le même appel. Mais la Digicel n’est pas encore en mesure d’offrir ce service. Quand quelqu’un appelle, pour le moment, on lui donne le numéro d’un psychologue, mais cet appel est payant », regrette-t-il.

Bien que le service n’ait pas été créé spécifiquement pour le Covid-19, il est mis en place en pleine pandémie de Coronavirus. « Nous avons reçu une centaine d’appels jusque-là. Des gens qui veulent se suicider, qui n’ont plus d’espoir, ou qui ont des problèmes sentimentaux. Bizarrement, nous recevons très peu de cas d’angoisses liées directement au Coronavirus », assure Ronald Jean Jacques.

Penser au futur

Le confinement en tant que l’une des conséquences du Coronavirus peut provoquer des traumatismes. En Haïti, comme dans la majorité des pays du monde, les écoles sont fermées. Des entreprises qui ne peuvent plus surmonter le choc après des périodes de lock, ferment boutique. Des centaines de gens se retrouvent sans emploi du jour au lendemain. En plus de ces problèmes, ils doivent éviter de se faire infecter.

Dans ces cas, le rôle des psychologues est primordial. « Nous faisons alors de la psychoéducation, dit Ronald Jean Jacques. Nous leur expliquons que la plupart des gens qui ont été infectés s’en sortiront sans problème. Nous essayons de les aider à trouver un équilibre. »

Cassandra Lafalaise, de son côté, assure que parmi ses patients, à qui elle parle surtout en vidéoconférence, il y en a qui ne voient plus aucun espoir. « Je leur fais comprendre qu’il est important de faire des plans d’avenir, en ce moment. S’ils laissent les pensées négatives s’accumuler, l’addition sera pénible. C’est le bon moment pour écrire, lire, prendre des cours en ligne, et penser au futur. »

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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