C’est quand même peu, quand on compare ce chiffre au nombre de prêtres catholiques, et de protestants capables d’officier dans les mariages, décès et baptêmes
Seulement trois vodouisants haïtiens sont habilités par l’État pour agir comme officier d’état civil. Il s’agit des hougans Noelis Ceddral, dans le Sud, Nerat Ilderice, au Plateau Central et Pierre Joseph Léonard qui vit au Canada.
Ceci constitue un grand pas vers la normalisation du vaudou, aux côtés du catholicisme et du protestantisme et les autres religions moins populaires qui pullulent en Haïti.
Depuis un arrêté sorti le 4 avril 2003, le vaudou trouve reconnaissance légale comme religion à part entière. L’article cinq de cet acte présidentiel donne aux leaders vodouisants la possibilité de prêter serment pour pouvoir signer des actes de mariage, de décès et de baptême.
Le hougan Noelis Ceddral affirme qu’avant 2003, les vodouisants avaient l’habitude de chanter des cérémonies de mariage, de baptême et de funérailles. « Cependant, nous devions avoir le soutien d’un officier d’état civil pour signer les actes. » Ce qui n’est pas le cas pour les prêtres catholiques par exemple.
Cet arrêté sorti sous la présidence de Jean Bertrand Aristide ne met pas fin aux discriminations, mais constitue un pas dans la bonne direction.
Selon le hougan Nerat Ilderice, beaucoup d’enfants de vodouisants qui fréquentaient des écoles catholiques ont été mal vus et on en refusait même l’accès à certains d’entre eux. « Pour se faire accepter, beaucoup de vodouisants se convertissaient au catholicisme pour se marier, baptiser leurs enfants et chanter leurs funérailles », continue le leader religieux.
Une procédure simple
C’est le ministère des Cultes, par son bureau de liaison et de structuration du vaudou, qui régule les questions relatives au vaudou. Pour qu’un leader puisse prêter serment, il doit être membre d’une institution vodouisante qui adressera une lettre de demande d’assermentation au ministère des Cultes. « Pour monter le dossier, le candidat doit au moins faire la classe de seconde. Il doit être résident dans la zone où il officie. Et le concerné doit avoir un comportement non reprochable.
« Pour tous ces critères, il faut fournir des pièces justificatives », souligne Ilderice Nerat qui a emprunté la procédure en 2017.
Ensuite, le ministère des Cultes accorde à l’organisation un mémorandum pour faire le suivi au ministère de la Justice. « Le ministère de la Justice écrit au commissaire du Gouvernement de résidence du concerné pour qu’il demande au Doyen du tribunal de sa résidence de siéger pour que le vodouisant puisse prêter serment », continue Nerat pour qui le processus avait duré un an.
La procédure de prestation de serment paraît simple, mais beaucoup de vodouisants témoignent que la réalité diffère totalement de ce qui est prévu par la loi. En 2017, douze prêtres vodous devaient prêter serment au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, mais la séance n’a pas eu lieu parce que les greffiers étaient en grève.
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À côté des problèmes liés au fonctionnement du système de la Justice, le houngan Noelis Ceddral pense qu’il y a une volonté pour que les vodouisants demeurent dans l’ombre. Ceddral se rappelle que bien qu’ayant répondu à tous les critères, des religieux d’autres dénominations ont failli interrompre sa prestation de serment en 2018. « Pour le moindre dommage, le Doyen du tribunal peut renvoyer une séance de prestation de serment. »
L’Ati national Carl Henri Desmornes est le représentant des vodouisants. Il remarque qu’il n’y a pas beaucoup de pasteurs protestants à avoir le droit d’exercer comme officier d’état civil. « Pour des raisons politiques, dit Desmornes, l’Église catholique veut garder ce monopole à elle seule. Il y a toujours un blocage au niveau de l’administration publique, car l’État haïtien n’est pas vraiment laïc. »
Quant au hougan Nerat, il ne pense pas qu’il y ait un complot entre les autres religions pour que les vodouisants ne prêtent pas serment. Plusieurs vodouisants ne répondent pas aux critères qu’exige le ministère des Cultes, d’après ce dernier. « Beaucoup n’ont pas le niveau académique requis ni de pièce justificative de résidence », explique celui qui a fait usage de son diplôme de Bac II quand il a prêté serment.
Une religion marginalisée
Le vaudou a longtemps été marginalisé en Haïti, alors que l’État haïtien protégeait les catholiques en vertu du concordat de 1860 qui avait reconnu le catholicisme comme la « religion de la grande majorité des Haïtiens ».
Quand il s’agit de parler des persécutions subies par les vodouisants, l’on rappelle souvent qu’ils ont été pourchassés par des campagnes dites anti-superstitieuses orchestrées par l’Église catholique et L’État haïtien vers les années 1896-1900, 1911-1912 et 1939-1942.
Ce qui revient moins, cependant, est que Toussaint Louverture, lui-même prêtre vaudou selon des historiens, avait consacré le catholicisme comme religion d’État. Et que Jean-Jacques Dessalines, acclamé comme père de la nation, avait lui aussi pris des mesures antivaudou, interprétés comme des choix stratégiques pour ne pas s’attirer les foudres de l’influence des religieux catholiques de l’époque.
Le concordat offre aux prêtres catholiques des privilèges – comme un salaire de l’Etat – que les autres dénominations n’ont pas.
Selon le sociologue Laënnec Hurbon, l’État haïtien qui avait des faiblesses pour garantir à tous ces citoyens des actes de l’état civil, avait octroyé aux prêtres catholiques la possibilité de signer des actes de mariage, de décès et de baptême.
En 2003, après la publication de l’arrêté du 4 avril reconnaissant le vaudou comme religion, le sociologue Laënnec Hurbon est monté au créneau. Il considérait que ce décret n’égalait en rien le vaudou aux autres religions. Aujourd’hui encore, le professeur maintient sa position. Selon lui, l’arrêté partait du fait qu’en accordant aux vodouisants la possibilité de signer des actes d’état civil, ils seraient égaux aux catholiques et aux autres religieux.
Or, il n’y a d’égalité que lorsque chaque religion peut être librement pratiquée dans le pays. Selon Laënnec Hurbon, il y a des disparités entre les systèmes religieux. Les cérémonies de mariage, de baptême et de funérailles des vodouisants diffèrent de celles qui se font chez les catholiques et les autres adeptes religieux. « En plus, dans le système du vaudou, on est relativement encore dans une structure orale. Alors que dans les autres systèmes, on est dans l’écrit. C’est déjà assez compliqué pour qu’ils aient les mêmes privilèges. »
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Le sociologue soutient qu’il appartient à l’État le droit de s’occuper des questions relatives aux documents d’état civil de ses citoyens. Au 19e siècle, l’État haïtien était en situation de faiblesse et avait demandé le concours des catholiques concordataires pour signer des actes d’état civil. Cependant, Laënnec Hurbon pense que l’État ne peut pas demeurer dans cette situation éternellement.
Si l’État est laïc, selon le professeur, il ne devrait donner de privilèges à aucune religion parce que s’il en donne à une, il devrait le faire pour les autres aussi.
En marge de ce débat, les hougans assermentés continuent de recevoir des demandes de différentes communes du pays. À cause de l’insécurité, Ceddral ne se déplace pas pour les cérémonies. Mais il ne lâche rien. En juillet, il va chanter un baptême. Quant à Ilderice, malgré tout, il se déplace pour aller marier les vodouisants, baptiser leurs enfants, chanter leurs funérailles et signer leurs actes.
Photo de couverture: Troi Anderson / Smithsonian Mag
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