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Témoignages de chrétiens haïtiens homosexuels

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Le consensus scientifique et les travaux cliniques suggèrent que l’attirance sexuelle, les sentiments et les comportements homosexuels sont normaux et font partie des différentes variations de la sexualité humaine

Un dimanche matin, après un culte d’adoration dans une église évangélique à Tabarre, le pasteur qui a conduit la prière d’intercession s’est approché de Mario Jean, un jeune homosexuel. Ce jour-là, l’homme de 23 ans a porté comme d’habitude beaucoup de bijoux et un pantalon de femme très ajusté à sa taille.

« Il m’a demandé si j’ai été édifié, se souvient Jean – nom d’emprunt. Je lui ai répondu que j’ai été béni. Ensuite, il m’a filé son numéro de téléphone pour qu’on puisse continuer à se parler. Un après-midi, il m’a appelé, mais il craignait de m’avouer ses intentions à cause des hautes fonctions qu’il occupe dans l’église. Je lui ai mis en confiance. Depuis ce jour, chaque vendredi après la veillée de prière, il me conduit chez lui pour qu’on puisse passer la nuit ensemble. »

Selon Mario Jean, personne n’a jamais soupçonné sa liaison avec le pasteur jusqu’à sa mort. « Il vivait seul parce que toute sa famille était à l’étranger », se rappelle le jeune homme.

Mario Jean n’a pas eu de relations intimes qu’avec ce pasteur. Il est sorti avec beaucoup d’hommes d’Église : pasteurs, maestros et choristes. Actuellement, le jeune gay fait partie du chœur d’adoration et de deux chorales à son assemblée chrétienne. « Je n’ai rien à cacher, dit-il d’un ton fier. Si les gens de mon église viennent me questionner sur mon orientation sexuelle, je leur dirai que je suis homosexuel. »

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Selon Mario Jean, il y a beaucoup d’homosexuels dans les églises protestantes haïtiennes qui se cachent de peur d’être expulsés ou mis au ban de ces communautés. Le juriste Guy Luly Guillaume est du même avis. Licencié en Droit, Guillaume est formateur dans des organisations luttant pour les droits de la communauté LGBTQ+ en Haïti.

Guy Luly Guillaume estime que dans le Vaudou, les homosexuels sont plus à l’aise à affirmer leur vie sexuelle que dans les religions judéo-chrétiennes. « Les homosexuels chrétiens mènent souvent une double vie. Ils sont toujours en couple avec une personne de l’autre sexe. Soit, ils pratiquent la bisexualité comme couverture, soit ils sont bisexuels pour de vrai. En tout cas, ils mènent toujours une double vie. »

Guillaume rajoute que les homosexuels comme beaucoup d’autres Haïtiens sont très attachés à la religion. « Lors de mes séances de formation, j’ai appris que les homosexuels sont soit chrétiens, soit vodouisants. Je n’en connais pas un qui revendique son athéisme », dit-il.

En vrai, les églises protestantes haïtiennes ne tolèrent pas les diversités des orientations sexuelles dans leur rang. Pourtant, selon certains membres de l’organisation Kouraj, il y a des homosexuels au sommet même de certaines églises évangéliques qui paraissent homophobes.

Des gays au sommet de l’église

Hetera Saskya Caïla Estimphil, la présidente de Kouraj qui est une personne de sexe mâle qui se sent femme.

Estimphil s’appelle désormais Hetera Saskya Caïla Estimphil pour marquer son appartenance au genre féminin. Elle a connu son premier rapport intime avec un homme d’Église. À l’époque, Hetera s’appelait Anderson Estimphil. Son père a été diacre et sa mère dirigeante d’un groupe de dames à l’église évangélique où ils persévéraient. « Depuis mon enfance, je me suis toujours comporté comme une petite fille. Je ne connaissais pas encore le terme transgenre pour parler de mon identité, mais je me sentais différent des autres petits garçons. À l’adolescence, mes désirs se sont portés vers d’autres petits garçons », se rappelle la femme transgenre.

En 2012, le jour de ses dix-huit ans, le jeune Estimphil s’est rendu chez un frère pour préparer la leçon dominicale pendant que sa mère organisait une fête surprise pour son anniversaire. « Quand je suis arrivé chez le frère, on a préparé la leçon de l’école du dimanche comme prévu. Mais au cours de l’activité, il a commencé à baisser sa voix et m’a ensuite séduit. C’est ainsi que j’ai connu mon premier rapport intime. Jusque-là, je n’étais sorti avec personne, ni homme ni femme. »

Bien de choses se sont passées dans la vie d’Anderson Estimphil. Il a fait une tentative de suicide après avoir dévoilé son orientation sexuelle. « Je me suis confié à un membre de mon église. Ce dernier m’a dit qu’il vaudrait mieux ne pas exister que d’avoir un tel sentiment. Ce jour-là, j’ai bu tous les cachets de médicaments d’hypertension de mon père. Heureusement, j’ai été vite conduit à l’hôpital. »

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Après la tentative de suicide, Estimphil a été blâmé par ses proches. « Ma mère m’a dit que je devrais prier beaucoup pour changer parce que l’homosexualité est une abomination. Les gens de mon église ont été très homophobes. Pour eux, je vivais une folie de jeunesse qui allait passer. Je voulais changer pour leur faire plaisir, mais c’était impossible. Le temps leur a convaincu du contraire », conclut la jeune femme.

Le juriste Guy Luly Guillaume pense que les homosexuels devraient avoir le droit de pratiquer la religion de leur choix sans être stigmatisés. Il cite l’article 30 de la Constitution disposant que toute personne a le droit de pratiquer la religion qu’elle veut, pourvu que ce droit ne trouble pas à l’ordre et à la paix publique. « L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme abonde dans le même sens. Un homosexuel est un citoyen qui ne fait de mal à personne. Pourquoi ne devrait-il pas pouvoir être membre au sein d’une église ? », s’interroge Guillaume.

Comme Estimphil, beaucoup de membres de Kouraj sont issus de famille chrétienne. Helena, une autre femme transgenre bisexuelle, a dû abandonner son assemblée à cause de son identité de genre et son orientation sexuelle. En plus, d’être baptisée, Helena a été membre du chœur d’adoration de son église.

Quand le « berger » a su pour l’orientation sexuelle d’Helena, il a sanctionné sa mère. « Le pasteur a demandé à ma maman comment elle a pu lui laisser baptiser un homosexuel. J’ai répondu à ma mère que le pasteur n’a pas de discernement spirituel sinon Dieu lui aurait révélé mon identité de genre et mon orientation sexuelle », dit Helena d’un ton moqueur.

Un dimanche lors d’un culte, Helena raconte que le pasteur a dirigé expressément son sermon contre elle. Depuis, elle a arrêté de se rendre à cette église « Ce jour-là, j’ai porté des tenues d’homme avec beaucoup de bijoux de femmes. J’ai été maquillée aussi, se souvient-elle. Eh bien, j’ai l’impression que le pasteur ne voyait que moi dans l’assemblée tant ses propos ont été homophobes et transphobes ».

Helena et Hetera comptent faire bientôt une opération chirurgicale pour abandonner le sexe masculin. En attendant, elles s’habillent définitivement comme des femmes.  Elles continuent à aller dans d’autres églises que celles qu’elles ont connues étant enfants.

Une sexualité normale

Andrickson Descollines est le Doyen académique au Séminaire de Théologie évangélique de Port-au-Prince (STEP). Il a une maîtrise à Dallas en Théologie où il a appris entre autres à faire le counseling avec des personnes homosexuelles. Le pasteur soutient qu’il y a des gens qui, sans le vouloir, sont attirés par des personnes du même sexe qu’eux. Cependant, le leader chrétien croit aussi que Dieu a un plan pour ces genres de personnes comme pour tous les pécheurs.

Dans les églises à travers le monde, il y a deux visions concernant les personnes d’orientation homosexuelle élabore Descollines. « Il y a la vision libérale qui veut que la personne serve Dieu telle qu’elle est. Aux États-Unis par exemple, il y a des pasteurs qui sont ouvertement homosexuels. » Mais il y a aussi une version conservatrice qui veut que le pécheur se dépouille de ses péchés pour suivre Christ. C’est dans cette vision que le pasteur Descollines dit se situer.

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La photojournaliste Edine Celestin qui est aussi chrétienne ne partage pas le même avis que le pasteur Andrickson Descollines. Elle pense que les homosexuels ne sont pas malades et n’ont donc pas besoin d’accompagnement ni de counseling. Son opinion prend racine dans les innombrables recherches scientifiques effectuées sur l’homosexualité depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Le consensus scientifique et les travaux cliniques suggèrent que l’attirance sexuelle, les sentiments et les comportements homosexuels sont normaux et font partie des différentes variations de la sexualité humaine. Aussi, en 1973, l’Association américaine de psychiatrie a enlevé l’homosexualité de sa liste des troubles mentaux. L’Organisation mondiale de la santé suivra en 1990.

Edine Celestin a travaillé avec la communauté LGBT en Haïti depuis plus de cinq ans sur de nombreux projets, dont un reportage photo qui devait montrer plusieurs aspects de la vie des gens faisant partie de cette communauté. « J’allais chez eux. Je leur questionnais sur beaucoup d’aspects de leur vie. Les homosexuels sont des gens normaux comme les hétérosexuels. Ils ont juste une orientation sexuelle différente. Je pense qu’ils ont le droit d’être chrétiens parce que Jésus est mort pour eux aussi. »

L’homosexualité est-elle une pathologie?

Selon Jacqueline Baussan, psychologue clinicienne, l’homosexualité n’étant pas une maladie, elle ne peut être guérie par aucune cure. La psychologie scientifique selon elle, ne propose aucune thérapie contre l’homosexualité.

Quand l’homosexualité était considérée comme une maladie, élabore Baussan, certaines thérapies avaient été mises au point. Une des plus connues était la thérapie d’aversion qui consistait à soumettre le patient à des décharges électriques modérément douloureuses à chaque fois que des fantasmes homosexuels lui venaient à la pensée. « Cette méthode n’a jamais prouvé son efficacité, ajoute-t-elle. En revanche, elle a pu provoquer l’anxiété, la dépression et même des idées suicidaires chez certaines personnes. »

Cette thérapie a donc été interdite, rapporte la psychologue, mais elle est encore pratiquée de manière déguisée ou adoucie sous le nom de « thérapie de réparation » avec toujours autant d’inefficacité.

Les pratiques homosexuelles ont toujours existé, continue la spécialiste. Mais en général, les religions et la loi les ont toujours condamnées. Selon les explications de la spécialiste, à la fin du XIX siècle, un mouvement était créé en Europe dans le but de dépénaliser les pratiques homosexuelles. Le mot « homosexualité » fit son apparition, mettant l’accent sur la personne plutôt que sur le comportement.

« Dans la foulée, cela renforça l’idée qu’il y avait une identité homosexuelle. Le terme définissait l’individu plutôt que la pratique. La médecine s’en empara et la psychiatrie en fit une maladie psychologique et une pathologie sociale. L’effet de cette évolution a donc été de renforcer l’idée que l’homosexualité était une pathologie qu’il fallait soigner. D’un délit, l’attirance pour une personne de même sexe était devenue une maladie. »

Jaqueline Baussan explique qu’un siècle plus tard, la psychiatrie et la psychologie se sont rendus à l’évidence que l’homosexualité est une orientation sexuelle, qu’il n’y a pas à proprement parler une « personnalité homosexuelle » et que la personne homosexuelle peut comme toute autre, être ou non en bonne santé mentale.

Selon la psychologue, l’orientation sexuelle ne conditionne pas la foi. Mais l’abandon de la pratique religieuse pour éviter le rejet de la communauté peut être vécu comme une perte, un deuil suivant l’importance que cette foi représente dans la vie de la personne. Mario Jean, Hetera Estimphil et Helena disent qu’ils ont abandonné l’église de leur enfance, mais ils n’ont pas abandonné leur foi en Dieu.

Laura Louis

Mario Jean est un nom d’emprunt. 

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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