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Témoignage d’un jeune Haïtien au plus grand sommet jeune du monde : One Young World 2015

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A quoi se résume donc le leadership haïtien à l’échelle internationale?

J’écris cet article en plein vol durant les 22 heures qui séparent Bangkok de Port-au-Prince sur le chemin du retour après ma participation au sommet One Young World 2015. Je ne peux m’empêcher de laisser libre court à ces millions d’idées qui se sont accaparés de mon esprit. Le but de ce texte est de partager l’expérience d’un jeune haïtien qui revient au pays avec un immense dynamisme, soucieux de tout mettre sur papier avant que le train-train quotidien et les problèmes du pays n’aient raison de son inspiration.

Quand je dis One Young World…

One Young World est le plus grand sommet jeune du monde. Ce forum a été fondé en 2009 par deux visionnaires anglais, David Jones et Kate Robertson. C’est un sommet qui rassemble les jeunes les plus brillants du monde entier, les « délégués » venant des plus grandes entreprises internationales et nationales, des ONG, des universités et d’autres organisations mondiales avant-gardistes leur permettant d’établir des liens durables pour créer des changements positifs. Ils sont rejoints par certains des leaders les plus influents de ces institutions et du monde portant le titre de « conseillers ». Lors du sommet, les délégués se lancent dans des débats, formulent et partagent des solutions innovantes pour les problèmes urgents auxquels le monde est confronté. Après chaque sommet, les délégués deviennent des « ambassadeurs », qui travaillent sur leurs propres initiatives ou utilisent le pouvoir du réseau One Young World dans le cadre d’initiatives déjà existantes. Ils retournent dans leur pays plein d’énergie pour redynamiser leur milieu d’origine.

Une idée du  contexte…

Cela fait maintenant 3 ans depuis que le cri d’un groupe de jeunes haïtiens dans le Nouvelliste pour une demande de financement afin de participer à un sommet de jeunes à Pittsburgh, aux Etats-Unis avait attiré mon attention. Mes recherches m’ont amené à découvrir Alcime James le premier Haïtien à avoir participé à ce sommet et qui plus tard deviendrait un ami et collaborateur à ELAN Haïti, la première conférence internationale de jeunes en Haïti que je coordonne pour le compte du Groupe ECHO Haïti. Il s’agit d’une association de jeunes créée en 2010  œuvrant pour le renforcement des capacités de la jeunesse haïtienne en menant des actions concrètes à impacts significatifs sur le développement d’Haïti. En 2014, après la sélection des 100 jeunes participants  à ELAN Haïti, l’un d’entre eux, Nicolas Florestal, avait  aussi été sélectionné pour prendre part au sommet du One Young World 2014 à Dublin en Irlande. J’ai suivi avec intérêt sa participation via les réseaux sociaux. De là, s’est forgée ma conviction de participer à la prochaine édition du One Young World pour 3 raisons spécifiques : d’abord pour continuer à élargir mes perspectives en discutant et en interagissant avec des jeunes venus de partout dans le monde ;  contribuer à apporter des solutions aux problèmes les plus urgents auxquels la planète fait face actuellement ; enfin, avec mon chapeau de coordonnateur du projet ELAN Haïti, je voulais surtout apprendre de la méthodologie One Young World, faire connaître Haïti et la plateforme que je dirige en explorant les partenariats possibles dans ce bassin d’interactions. Pour financer mon voyage j’ai dû m’y prendre tôt en appliquant dès le mois de juin pour le financement « All Bar None » attaché au sommet et qui finance les candidats des pays les moins représentés comme Haïti afin de s’assurer d’une représentation mondiale au sommet. Finalement, j’ai été le seul Haïtien présent à cette rencontre internationale qui a réuni 1,300 jeunes de 196 pays.

One Young World 2015 à Bangkok, Thaïlande

Comme pour les jeux olympiques, toute la ville de Bangkok s’était transformée sous le coup d’affiches bleues et blanches pour accueillir les délégués. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre pourquoi la Thaïlande est connue comme étant la terre du sourire. L’accueil était impeccable et le niveau de préparation et d’investissement dans la logistique de ces 3 jours a dépassé tous les évènements internationaux auxquels j’ai eu à assister auparavant. Cependant, à l’effet positif de la logistique allait rapidement s’ajouter celui découlant de la qualité des jeunes que je rencontrais au forum. Les dénominateurs communs étaient certainement l’énergie positive, la qualité des profils et la passion pour l’action. Je me suis retrouvé à échanger avec des jeunes travaillant dans les plus grandes compagnies du monde tel que Apple, Facebook, Google, KPMG, General Electric, Siemens, PepsiCo, Barclays, Citibank, Western Union, Telefonica, Unilever et j’en passe… Ces compagnies impactent le monde et j’étais en train de discuter en mangeant avec ceux qui allaient sans doute prendre les rênes de leur gestion dans les années à venir. Certains n’avaient même pas cherché du support. Ils étaient tout simplement identifiés par leurs managers qui avaient reconnu leurs capacités. Etaient aussi présents des entrepreneurs à succès et des activistes qui croyaient fortement qu’ils allaient apporter le changement qu’ils souhaitaient dans les parties du monde où ils avaient choisi d’agir notamment dans la région du Moyen- Orient et en Afrique…

Les causes se mélangèrent en harmonie : les droits de la femme, l’immigration, la paix, la sécurité, les objectifs de développement durable et les heures passaient discrètement… Chacun de son côté alimentait avec passion et énergie les débats. J’ai personnellement rencontré des jeunes entrepreneurs à succès comme Mazin Khalil du Soudan qui est en train de révolutionner l’industrie médicale avec son application Sudamed qui vaut un quart de milliard de dollars et des jeunes activistes internationalement reconnus comme Carlos Vargas du Vénézuela luttant pour des élections transparentes dans son pays. Ils sont tous devenus des amis. Face à tant de qualité chez des jeunes de moins de 30 ans, un sentiment d’humilité mélangé à un sentiment de confiance m’a conquis. On était tous les mêmes comme si, pendant 3 jours, le racisme et la stigmatisation avait fait place à la volonté de vraiment changer le monde. Avec les bons partenaires, on savait qu’on pouvait et les conseillers étaient venus renforcer notre foi. Je suis sorti plus que jamais convaincu de ma capacité à être un agent de changement pour mon pays et pour le monde. En même temps, plein de questions envahissaient mon esprit.

Des questions qui resteront peut-être sans réponses mais qui valent la peine d’être jetées dans l’univers.

Pourquoi étais-je le seul venu d’Haïti à Bangkok ?

Des jeunes haïtiens comme moi, eux aussi admis à venir participer à ce forum unique, n’ont malheureusement pas pu traverser le Pacifique par manque de financement. 3 jours avant le forum, je lisais encore dans le Nouvelliste et sur la Voix de l’Amérique un autre cri de désespoir d’un  groupe de jeunes qui cherchait du financement. Pourquoi les entreprises haïtiennes ne voient-elles pas l’intérêt à faire participer des jeunes dans ces espaces d’inspiration et de connexion ? Je me demande qui peuvent bien être les jeunes les plus brillants du marché du travail haïtien actuellement ? Comment peut-on les identifier si les institutions pour lesquelles ils travaillent ne les reconnaissent pas comme des leaders et ne les font pas interagir avec  d’autres cerveaux similaires. Qui investit dans le futur d’Haïti en ce moment et comment? A la fin de la conférence, je me suis donc engagé à aller voir les compagnies privées et autres institutions en Haïti pour leur vendre mon expérience et permettre qu’à la prochaine édition du One Young World, elles fassent d’abord l’exercice d’identifier les jeunes les plus brillants dans leurs organisations et qu’elles leur offrent la possibilité de s’ouvrir sur le monde. Elles doivent comprendre qu’en envoyant les meilleurs qu’elles auront identifiés, la voie vers la créativité et l’innovation est ouverte pour ce pays qui en a tellement besoin pour sortir des cycles traditionnels  entravant sa croissance.

Pourquoi des personnalités influentes venant d’Haïti n’étaient pas présentes ?

Parmi les conseillers venus parler aux jeunes pour insister sur leur capacité à changer le monde  l’ancien secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, Mohamed Yunus, le Gouverneur de Bangkok, Le PDG de Unilever, de Telefonica, de l’Oréal et de Virgin Group, des présidents d’ONG comme Save the Children, Fondation des Nations Unies, des cadres de prestigieuses firmes internationales comme Ernst and Young, General Electric, Barclays, des stars internationales dans le monde du sport, de la musique, de la presse et de la télévision, des prix Nobel, les anciens présidents de l’Irlande, du Mexique et de la Bolivie. J’ai même eu l’agréable opportunité de bavarder avec Mme Ameenah Gurib-Fakim, l’actuelle présidente de l’ile Maurice avant qu’elle ne m’introduise personnellement, dans le cadre d’une question au cours de la session plénière sur le leadership et la gouvernance. Pourquoi ces gens jugent- ils important de faire le déplacement pour venir parler aux jeunes ? Pourquoi personne d’Haïti n’est venu parler aux futures générations de ce monde? N’ont-ils donc rien à dire à ce niveau ? Est-ce que c’est l’accès qui est restreint? La seule personnalité haïtienne ayant été aperçue une fois à One Young World fut la star de la musique Wyclef Jean en 2010. A quoi se résume donc le leadership haïtien à l’échelle internationale?

Les leaders de mon pays se préoccupent-ils des problèmes globaux comme le changement climatique?

L’un des sujets les plus brulants du One Young World fut la réunion sur le Climat (COP21) prévue à Paris deux semaines après la conférence. A travers un système de vote établi durant la conférence, la majorité des jeunes participants ont déclaré qu’ils ne croyaient que les leaders de nos pays allaient arriver à une solution conjointe pour résoudre le problème du climat. Pour cela, à l’initiative des organisateurs, les représentants de chaque pays avaient été invités à lancer un appel sur les réseaux sociaux pour s’adresser à leurs dirigeants sur l’importance de cette rencontre et proposer des aspects qu’ils ne devraient pas négliger. Je me suis adressé à mon Président (Regardez la vidéo plus bas) sur trois points importants : le renforcement des partenariats public-privés pour faciliter l’investissement dans les énergies alternatives en Haïti, la restructuration du système de transport en commun dans les zones urbaines et la prévention à travers la promotion du comportement « plus vert » chez les haïtiens. Malheureusement mon appel est resté sans réponse. J’ai beaucoup apprécié que certains organes de presse en Haïti aient pris le relais de mon message dont l’écho n’est pourtant pas retourné. Cela me confirme que dans le domaine du changement on ne peut compter que sur ces propres actions pour faire une différence. En ce sens, j’ai été positivement frappé par cette phrase de M. Kofi Annan, lors de son discours : « Si les leaders de vos pays ne dirigent pas alors dirigez pour eux et ils suivront »

Quels engagements prendre après une telle expérience ?

Le premier engagement, tel que sus- mentionné, est de trouver les moyens d’avoir plus d’Haïtiens à la prochaine édition du One Young World qui aura lieu à Ottawa  au Canada. Il faut créer la possibilité d’inspirer plus de jeunes haïtiens qui le méritent en utilisant cette plateforme. En gardant l’esprit de compétition, je fais donc le premier pas en lançant un défi au secteur privé haïtien, au gouvernement, aux institutions non gouvernementales et aux universités : identifiez les jeunes cadres et/ou étudiants les plus brillants et les plus actifs de vos institutions en qui vous pouvez investir pour apporter plus d’innovation et du dynamisme dans vos affaires, et dès aujourd’hui, prenez contact avec One Young World (www.oneyoungworld.com).

Mon second engagement est caribéen. Mes collègues de la Caraïbe ont pris l’engagement de faire de faire la promotion du criquet dans la Caraïbe. Haïti n’ayant presque pas d’expérience dans ce domaine, je me suis joint à l’initiative car je pense que ce sera l’occasion d’élargir nos perspectives et de découvrir ce sport, tout en nous rapprochant de nos frères et sœurs de la région. Ainsi, c’est avec joie et détermination que je pousserai cette initiative de mon côté en  Haïti.

L’engagement le plus important que j’ai pris à One Young World concerne le projet ELAN Haïti 2016  qui est déjà inscrit dans l’agenda du Groupe ECHO Haïti pour l’année prochaine. Cependant, la qualité de la plateforme One Young World a doublé la puissance de mes convictions sur l’importance des plateformes de rencontre pour les jeunes de qualité pour promouvoir le changement. Il faut identifier des conseillers sérieux en Haïti qui supporteront à fond notre plateforme. If faut mettre encore plus l’accent sur la compétitivité dans le recrutement de nos 100 jeunes leaders de partout en Haïti, dans la diaspora et à l’international. Plus que tout, il faut surtout garder le cap sur des actions concrètes après la conférence. Durant mes échanges j’ai pu retenir l’attention de plusieurs jeunes qui souhaiteraient participer à ELAN Haïti venant surtout de l’Afrique. Le symbole de liberté qu’Haïti représente pour ce continent ne s’est pas éteint malgré tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.

« Je rêve de toucher un jour la terre d’Haïti » me disait Mohammed Barry de la République de Gambie.

« J’ai visité Haïti une seule fois comme volontaire en 2014. J’ai gardé des souvenirs merveilleux et je rêve d’y retourner pour donner plus » m’a avoué Irène Alomà de l’Espagne.

«Tu n’as pas idée de combien ELAN Haïti tombe bien ! Je rêve d’un outil qui permettra de connecter l’université où je travaille avec des jeunes Haïtiens » réplique Rym Berrah du Canada après une introduction physique facilitée à distance par mon confrère haïtien Yvens Rumbold.

Tous ont promis de faire l’effort nécessaire pour venir en Haïti à ELAN Haïti 2016.  J’ai aussi retenu l’attention des fondateurs du One Young World et espère pouvoir ramener au moins l’un d’entre eux sur un de nos panels au forum.

Comment les jeunes haïtiens devraient ils se préparer pour profiter de ce genre d’espace?

Le sommet One Young World est de haut niveau. Les jeunes qui y participent ont pour la plupart un profil impressionnant avec, soit une éducation de très bonne qualité, soit des responsabilités importantes dans les entreprises qu’ils représentent, ou encore  des éléments concrets à leurs actifs de leaders/entrepreneurs. Ils cherchent à créer des liens et/ou des partenariats avec d’autres jeunes ayant des projets concrets ou la capacité de vraiment faire avancer leurs initiatives dans des domaines similaires. Ceux qui ont un projet concret pourront être plus pertinents dans leur stratégie de networking tant du côté des autres délégués que des conseillers. Ceci dit, chers jeunes, si une problématique vous préoccupe cherchez à l’explorer de façon systématique, entière, concrète, profonde et durable. Ce n’est qu’ainsi que vous pourrez créer l’impact qui sera facilement capté par un autre jeune œuvrant dans le même domaine, dans un autre coin du monde. Il y aura certainement des variantes mais sachez qu’il n’existe pas de problème strictement haïtien. Soyez ouverts à être inspirés et à inspirer les autres. De plus, le sommet est global, il faut non seulement garder l’intérêt de son pays mais aussi ouvrir sa sensibilité à la culture et aux problèmes des autres pays. L’empathie est la meilleure façon de se créer des amis. En outre, pour vraiment  profiter de ce sommet, un jeune délégué doit pouvoir bien s’exprimer en anglais, alors faites aussi l’effort de maîtriser les langues étrangères. Pensez à vous munir de petits souvenirs locaux que vous pourrez offrir aux confrères que vous allez rencontrer. Vous ne voulez pas passer pour des ambassadeurs à court de ressources !

Au final…

One Young World est l’une des meilleures expériences de conférences internationales à laquelle j’ai pu prendre part. Je n’ai jamais été aussi fier de représenter mon pays à l’étranger. Je remercie tous ceux qui ont suivi mon parcours, spécialement mes collègues du Groupe ECHO Haïti et tous ceux qui ont partagé mes messages sur les réseaux sociaux. Je remercie l’équipe du One Young World pour ce travail exemplaire. Je remercie le couturier haïtien, Miko Guillaume, qui a confectionné mon costume traditionnel. Enfin, je remercie la Présidente de la FOKAL, une institution avec laquelle le Groupe ECHO Haïti travaille depuis plus de 8 ans, qui a bien voulu me faire une recommandation solide qui a su convaincre le comité du One Young World que je méritais bien de représenter Haïti à ce sommet. Je suis aujourd’hui un ambassadeur du One Young World comme des milliers avant moi. Aux six autres ambassadeurs haïtiens, nommément, James Alcime, Jean Marc-Arthur Dorante, Jacquelin Alcius, Carm Sandre Saint Fort, deux participants à ELAN Haïti : Jodney Paul Alcime et  Nicolas Pierre Florestal, le travail ne fait que commencer. Je vous invite déjà à me rejoindre dans la mobilisation des partenaires en Haïti pour le financement de plus d’haïtiens au prochain sommet.

Il faut que la presse haïtienne ne sorte plus jamais d’articles écrits par des jeunes à ce sujet!  Nous ne serons pas seuls car les autres ambassadeurs de la Caraïbe ont pris le même engagement pour corriger le taux de participation de la région avoisinant 1.4%.  Pour le reste, et à la communauté du One Young World, comme criaient tous les  participants lors de la clôture du sommet: « SEE YOU IN OTTAWA ! (A bientôt à Ottawa!) ».

Marc Alain Boucicault (maboucicault@gmail.com)

La rédaction de Ayibopost

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