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Sauver la culture du mazonbèl en Haïti

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La plante est attaquée par un agent pathogène qui entraîne une défoliation, une réduction des rendements et une dégradation importante de la qualité des productions

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Le Taro, dont le nom scientifique est «Colocasia esculenta» et communément appelé «mazonbèl» en Haïti, fait face depuis les années 2000 à une épidémie qui touche plusieurs provinces du pays. La plante est attaquée par le Phytophthora colocasiae, un agent pathogène causant une défoliation, une réduction des rendements et une dégradation importante de la qualité des productions. Cet agent peut causer des dommages importants aux cultures de «mazonbèl» en provoquant des lésions brunes et nécrotiques sur les feuilles.

La plante «mazonbèl»

Sans l’intervention des autorités, la culture du «mazonbèl» est en chute libre. Cet aliment énergétique, riche en amidon, en protéines, en lipides et en de nombreuses vitamines, était très apprécié dans la consommation dans diverses régions du pays. Ses feuilles, sa tige et ses racines sont toutes utilisées dans l’alimentation haïtienne.

Le «mazonbèl»

Rodlin André, agriculteur de la 2e section des Perches dans le Nord-Est, cultive le mazonbèl depuis près de dix ans. Il se dit «préoccupé» par cette situation de décroissance qui réduit ses revenus.

Selon l’agronome Emmanuel Jean-Louis, la propagation de l’épidémie se fait à partir de plusieurs vecteurs. Il mentionne les trajets d’import-export effectués dans le pays, la migration des insectes d’une région à une autre ou les eaux cycloniques.

Cependant, jusqu’à date, aucune recherche sur la provenance exacte de l’épidémie n’a encore été effectuée en Haïti.

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«On aimerait faire la culture du mazonbèl à grande échelle, car, c’est une production qui rapporte beaucoup financièrement », témoigne Jean Ritho Désiré, technicien agricole de la 8e section de Petit-Goâve. Depuis la perte d’une importante portion de ses récoltes entre 2007 à 2008, Désiré cultive une toute petite quantité de plantules.

Aucune recherche sur la provenance exacte de l’épidémie n’a encore été effectuée en Haïti.

Selon la politique de développement agricole 2010-2025, publiée par le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR), la production locale de tubercules en Haïti est très importante. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) l’estime autour de 750 000 tonnes métriques – principalement des variétés amères pour la fabrication de galettes – dont 45% de manioc.

Le mazonbèl, grande variété de tubercules, se cultive généralement sur les digues ou sur les buttes au milieu des terres humides, boueuses et marécageuses. Il se différencie du «Tayo» aussi appelé «Malanga» qui se fait dans les terres sèches.

Le «mazonbèl»

La croissance du secteur agricole demeure faible et variable en Haïti. Dans un rapport spécial publié par la FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM) en septembre 2010, les tubercules cultivés en Haïti comprennent principalement l’igname et le taro (soit le tayo malanga et le taro mazonbèl) plantés spécifiquement dans les systèmes agroforestiers de la Grand’Anse, des Nippes du Nord et d’une partie du Nord-Ouest.

La croissance du secteur agricole demeure faible et variable en Haïti.

La gestion de la maladie attaquant les mazonbèls doit impliquer une combinaison de pratiques culturales, recommandent les spécialistes. Les cultivateurs doivent privilégier non seulement la rotation des cultures et l’assainissement, mais aussi envisager l’utilisation de pesticides, informe l’agronome Clerveus Jean-Fritzner, responsable au sein de la direction de protection des végétaux du MARNDR.

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Il faut préciser qu’Haïti, jusqu’à maintenant, ne dispose pas vraiment d’infrastructures de production de pesticides.

Le Projet Territoires Productifs Résilients (PTPR) du MARNDR a élaboré en novembre 2017 un plan de gestion des pesticides dans lequel il a recommandé plusieurs méthodes culturales pour contrôler le champignon. D’abord, il incombe de faire le vide sanitaire consistant à enlever toutes les plantes de la parcelle au premier stade de développement de la maladie. Ces plantes doivent être brulées ou enterrées profondément. Il faut ensuite laisser la parcelle en jachère avant la plantation d’autres cultures sur une période de deux ans.

Le taro «mazonbèl»

Ensuite, il y a la lutte chimique et l’utilisation de variétés de tayo résistantes à la maladie.

Pour les cultures existantes, l’agronome Emmanuel Jean Louis recommande un traitement simple, fait d’eau et de chlore sur les boutures, soit 0,7 litre d’eau chloré pour dix litres d’eau. Ensuite, les boutures doivent être séchées à l’air libre avant leur plantation.

La production locale de tubercules en Haïti est très importante.

Pour les rares cultures de mazonbèl qui n’ont pas été infectées, l’agronome Clerveus Jean-Fritzner propose des mesures préventives, comme : utiliser des semences certifiées exemptes de germes infectieux, désinfecter des outils et des équipements de culture et éviter la culture intensive du mazonbèl.

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Différentes pistes de solutions sont aussi proposées par le MARDR visant à redonner force à la culture du mazonbèl en Haïti. Il s’agit, selon l’agronome Jean-Fritzner, des tests et des recherches à effectuer dans le but d’évaluer la situation, et aussi, d’importer d’autres variétés de mazonbèl provenant principalement des îles pacifiques.

Par Lucnise Duquereste

L’agronome Rock Lindor a contribué à ce reportage.


Visionnez notre reportage spécial réalisé en mars 2021 avec le photographe animalier René Durocher en plein exercice de son métier en Haïti :


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Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

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