Opinions

Opinion | Repenser les structures éducatives pour une école multiple en Haïti

0

Il faut que l’école, en tenant compte de la singularité de ses sociétaires, devienne multiple

Pédagogiquement, l’école haïtienne est dans une position plutôt classique. Elle se déploie dans un «schéma triangulaire» : savoir, professeur et élèves. Le professeur étant le détenteur du savoir et l’élève celui qui aspire à l’acquérir.

Bien entendu, il existe plusieurs manières d’aborder ce triangle. On pourrait le regarder suivant l’axe traditionnel savoir-professeur ou suivant l’axe savoir-élève. Dans le cas du système scolaire haïtien, c’est l’approche traditionnelle qui est privilégiée.

On observe toutefois, ces derniers temps, des velléités d’aller vers le second axe avec l’apparition d’un nouveau système que le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle nomme le «Nouveau Secondaire».

Dans le cas du système scolaire haïtien, c’est l’approche traditionnelle qui est privilégiée.

Lorsque l’axe du «triangle pédagogique» privilégie le pôle «savoir-professeur», la préoccupation de mettre l’élève dans de bonnes conditions reste facultative. Ce n’est pas tant une volonté explicite de la part de l’enseignant, mais plutôt une méprise systémique qui perpétue un «habitus».

Dans ce schéma, où l’enseignant occupe un piédestal pour un cours magistral – sachant que, «[…] la grande affaire du maître est de transmettre ses connaissances à ses élèves pour les élever par degrés vers sa propre science», l’autre côté du bureau est appelé à une certaine passivité, un certain mutisme, qui renforce le déséquilibre.

De plus, l’enseignant haïtien, étant lui-même souvent une victime de la société, peut parfois être imprégné de ressentiment. Il trouve alors un certain réconfort et une poche de dignité dans la salle de classe, où il domine par le biais de son savoir.

Lire aussi : Nesmy Manigat: «Enterè ekonomik manipile anpil opinyon sou zafè refòm»

Alors, l’objectif premier ne sera pas la valorisation, mais plutôt un étalage que seuls ceux qui le peuvent suivront. Il est tellement plus confortable de reproduire le système. Aussi, cet axe qui renforce l’autorité du professeur, va dans le sens du «statu quo», de «l’éternel retour de même».

Lorsque l’axe du «triangle pédagogique» privilégie le pôle «savoir-professeur», la préoccupation de mettre l’élève dans de bonnes conditions reste facultative.

Avec l’axe «savoir-élève», il semble qu’une partie du problème est résolue.

Ici, toute la situation pédagogique tourne autour de l’apprenant, l’objectif étant de le rendre le plus confortable possible dans la situation d’apprentissage.

Le cours magistral est donc quelque peu banni. On va, par conséquent, se pencher sur le travail collectif, les travaux dirigés (TD).

Dans un tel cadre, le professeur n’est plus un Maître, mais un coordonnateur. Il est un «organisateur de situations, de formation, où il met directement en contact les élèves et le savoir». Il n’est plus dans la distance et sera plus concerné par les difficultés des uns et des autres.

Celui ou celle qui aurait un malaise dans la langue utilisée — le français, pour ce qui nous concerne — sera beaucoup plus facilement repéré et pris en charge. Ce pôle s’ouvre, dès lors, sur une possibilité d’égalité. Car, l’enseignant doit non seulement se rapprocher des apprenants, mais aussi devenir psychologue. De toute façon, plus il se rapproche d’eux, plus il est en face de leur différence.

Lire aussi : Opinion | La place du créole dans le système scolaire haïtien

Selon l’auteur de «Qu’est-ce que l’école ?», Henri Peña-Ruiz, «la véritable ouverture commence par la suspension, la mise entre parenthèses, des réalités immédiates.» Il poursuit en disant qu’«il n’y a pas à enfermer l’élève dans ses provenances et ses soucis». Puis, il ajoute qu’il faut «savoir le considérer comme esprit, puissance de penser, et pas seulement comme subjectivité enlisée dans ses affects…»

Ici, toute la situation pédagogique tourne autour de l’apprenant, l’objectif étant de le rendre le plus confortable possible dans la situation d’apprentissage.

Nous pensons que c’est une posture idéaliste, irréaliste, qui prend d’abord l’école pour une hétérotopie, puis les élèves pour de pures idées. Nous ne pensons pas qu’il faille aller dans le sens de la désincarnation si l’on souhaite en finir avec les inégalités.

Au contraire, l’établissement scolaire doit évoluer. Il faut que l’école, en tenant compte de la singularité de ses sociétaires, devienne multiple. En devenant polymorphe — tout en gardant un certain cadre — l’école assure son avenir, enjambe quelques barrières et permet aussi à chacun de vivre sa «vie comme une œuvre d’art».

Par Fabrice Torchon

Écrivain et professeur de philosophie

© Image de couverture : freepik


Les très rares écoles spécialisées en Haïti envisagent de fermer leurs portes en raison de l’insécurité. Visionnez ce reportage publié par AyiboPost en mars 2023 pour comprendre les défis auxquels elles font face :


Gardez contact avec AyiboPost via :

▶ Notre canal Telegram : cliquez ici

▶ Notre communauté WhatsApp : cliquez ici

Comments