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Perspective | Pourquoi un président de la Cour de cassation aurait aggravé la crise ?

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Même si la nomination d’un juge de la Cour de cassation comme président provisoire peut sembler une solution simple aux problèmes complexes d’Haïti, il s’agit d’une approche profondément erronée qui viole l’intégrité de la Constitution et risque d’entraîner la Cour dans une crise politique qu’elle ne peut pas résoudre

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Haïti est en proie à une crise politique qui s’aggrave, alors que la violence étouffante des gangs dans la capitale a plongé le pays dans la tourmente.

En réponse à ce chaos, certains suggèrent une solution apparemment familière : nommer un juge de la Cour de cassation comme président et revenir à la Constitution de 1987, non amendée, d’avant 2011. Bien que des précédents historiques comme celui du juge en chef Ertha Pascal-Trouillot en 1990 et du juge en chef Boniface Alexandre en 2004 peuvent sembler soutenir cette proposition, les circonstances actuelles sont nettement différentes.

Cette approche est non seulement peu pratique, mais elle est également en contradiction directe avec le cadre juridique même que ses partisans souhaitent faire respecter. Leurs arguments manquent de cohérence, ignorant les protocoles de succession établis, énoncés à la fois dans la Constitution originale et dans la Constitution amendée de 1987.

Cette approche est non seulement peu pratique, mais elle est également en contradiction directe avec le cadre juridique même que ses partisans souhaitent faire respecter.

La voie à suivre pour Haïti réside dans une solution politique ancrée dans un accord politique global, et non dans des raccourcis anticonstitutionnels qui risquent de déstabiliser davantage cette nation déjà fragile.

Quelle est la loi du pays ?

La Constitution de 1987 a fait l’objet d’un amendement juridique en mai 2011.

Comme prévu, le processus d’amendement de la Constitution a débuté en 2009 sous une Assemblée nationale et une administration – le Président Préval – et s’est achevé en 2011 par une autre Assemblée et administration – le Président Martelly. La Constitution modifiée de 1987 a été publiée dans «Le Moniteur», le journal officiel d’Haïti, et est devenue la loi suprême du pays.

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La constitution amendée a fait face à deux controverses principales après sa publication.

La première était l’affirmation selon laquelle le texte lui-même contenait des erreurs. La seconde était qu’il n’était pas publié en créole. Même si l’inquiétude concernant la version créole est importante, l’affirmation selon laquelle le contenu était inexact aurait pris le pas sur la question de la traduction.

Quoi qu’il en soit, la voie appropriée pour répondre à ces préoccupations aurait été de s’adresser aux tribunaux. Cependant, la Cour de cassation était favorable à la publication de la Constitution amendée. De plus, l’Assemblée nationale, qui est l’organe qui a voté sur le texte, a confirmé son authenticité.

En effet, le Président Martelly a publié la Constitution amendée de 2011 avec l’ «accord des pouvoirs législatif et judiciaire

Quoi qu’il en soit, la voie appropriée pour répondre à ces préoccupations aurait été de s’adresser aux tribunaux.

Même si certains des opposants souhaitent peut-être encore débattre des controverses initiales, il n’en reste pas moins que les décisions des tribunaux, du pouvoir législatif et de l’exécutif en 2011 ont réglé la question.

La constitution amendée décrit le processus de succession présidentielle en cas de vacance à l’article 149.

Les partisans d’un juge de la Cour de cassation qui assumerait le rôle de président provisoire dans le cadre de la version «non amendée» de la constitution de 1987 se heurtent à trois obstacles.

Premièrement, la constitution amendée reste la loi suprême du pays. Il a été ratifié selon les procédures légales appropriées et authentifié par l’Assemblée nationale.

En effet, il a été publié dans «Le Moniteur» avec l’«accord des pouvoirs législatif et judiciaireCeux qui ont contesté la publication n’ont jamais demandé au tribunal de reconsidérer ou de statuer sur la question. En tant que telle, la validité de la Constitution amendée de 1987 en 2011 n’est juridiquement pas contestée.

La constitution amendée reste la loi suprême du pays. Il a été ratifié selon les procédures légales appropriées et authentifié par l’Assemblée nationale.

Deuxièmement, les 11 juges actuellement en poste à la Cour de cassation ont été nommés en vertu de la Constitution amendée de 1987 en 2011. Ce document, qu’ils ont juré de respecter, précise les processus de gouvernance et de contrôle judiciaire.

Si le tribunal devait ignorer ces stipulations et son serment, cela porterait atteinte à sa légitimité. De plus, leurs décisions judiciaires antérieures seraient remises en question. Comment un membre de la Cour peut-il accepter d’intervenir en tant que président provisoire sous l’ancienne Constitution alors qu’il utilise la version amendée pour ses décisions ?

Les partisans de la nomination d’un juge de la Cour suprême comme président provisoire affirment vouloir respecter la loi. Pourtant, ils cherchent à violer l’article 149 de la Constitution de 1987 (non amendé), qui attribue explicitement le rôle de leader intérimaire au juge président, poste actuellement occupé par un juge nommé par le Premier ministre Henry.

Au lieu de cela, ils proposent de nommer le juge le plus ancien, nommé par le défunt président Moise.

L’article 149 dispose que «Si le poste de Président de la République devient vacant pour quelque cause que ce soit, le Président de la Cour suprême de la République, ou en son absence, le Vice-Président de cette Cour, ou en son absence, le Juge ayant le plus d’ancienneté et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, sont investis temporairement des fonctions de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre.»

Les 11 juges actuellement en poste à la Cour de cassation ont été nommés en vertu de la Constitution amendée de 1987 en 2011. Ce document, qu’ils ont juré de respecter, précise les processus de gouvernance et de contrôle judiciaire.

Les partisans se heurtent à un obstacle encore plus insurmontable. Comme indiqué ci-dessus, l’article 149 stipule en outre que tout juge assumant des fonctions présidentielles doit être «investi» par l’Assemblée nationale, actuellement inopérante.

Depuis 2020, le Parlement haïtien ne fonctionne plus en raison de l’échec des élections.

La chambre basse a été dissoute et la chambre haute a été réduite de 30 à 10 membres. À partir du 10 janvier 2023, les mandats des sénateurs restants ont expiré, laissant le pays sans membres élus dans aucune des chambres de son Parlement. Par conséquent, il n’existe pas d’Assemblée nationale disponible pour ratifier la nomination d’un juge à la présidence.

En fin de compte, ni la Constitution originale ni la Constitution amendée ne fournissent de cadre juridique permettant à un juge de la Cour de cassation de devenir président provisoire.

La seule solution viable est un consensus politique

La crise aux multiples facettes d’Haïti, enracinée dans une profonde instabilité politique et des échecs de gouvernance, ne peut être résolue par des moyens judiciaires. La situation appelle plutôt un accord politique global entre toutes les parties concernées. Ce consensus est crucial pour guider la nation à travers les crises actuelles vers un avenir durable.

La voie à suivre pour Haïti réside dans une solution politique ancrée dans un accord politique global, et non dans des raccourcis anticonstitutionnels qui risquent de déstabiliser davantage cette nation déjà fragile.

Même si la nomination d’un juge de la Cour de cassation comme président provisoire peut sembler une solution simple aux problèmes complexes d’Haïti, il s’agit d’une approche profondément erronée qui viole l’intégrité de la Constitution et risque d’entraîner la Cour dans une crise politique qu’elle ne peut pas résoudre. La véritable et unique solution réside dans le dialogue politique et le consensus, et non dans un excès judiciaire qui aggraverait et prolongerait encore la crise.

Par Johnny Celestin

Traduction française par Sarah Jean.

Image de couverture éditée par AyiboPost mettant en avant le Premier ministre de facto Ariel Henry et le magistrat Jean Joseph Lebrun lors de la cérémonie de nomination de ce dernier en tant que nouveau président de facto de la Cour de cassation, le 22 novembre 2022.


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Johnny Celestin is a political analyst and community advocate. He is a passionate advocate for social justice and change. With over 30 years of experience, he dedicates himself to improving lives across Haiti and the United States through various Civil Society Organizations (CSOs). Currently, Johnny serves on the board of directors for several prominent organizations, including Konbit for Haiti (KfH), the Haitian Center for Leadership and Excellence (CLE), Sustainable Organic Integrated Livelihoods (SOIL), Defend Haiti's Democracy (DHD), Haiti Policy House (HPH), and the International Black Economic Forum. He is currently Deputy Director in NY City’s Mayor’s Office of Minority and Women-Owned Business Enterprises (M/WBEs). Leveraging his expertise in international development, public service, and non-profit leadership, Johnny champions human rights and equity in all his endeavors.

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