Les corps de deux danseurs ont été retrouvés calcinés dans un cimetière à Tabarre. Ce drame survient dans le contexte de la montée de l’insécurité dans le pays
Nancy Dorléans et Sebastien Petit ont été de très bons amis, selon les témoignages de leurs proches. Ils rapportent aussi que ces jeunes ont aimé la danse au point de la pratiquer sans rien attendre en retour.
Dans des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, Dorléans et Petit dansent ensemble ou séparément avec le sourire et beaucoup d’énergie. Dans un pays où l’art et la culture ne rapportent pas beaucoup, ces jeunes ne se sont consacrés qu’aux domaines culturels.
Après ses études classiques, Nancy Dorléans s’est adonnée à la danse et la mode. Quand elle ne valse pas, la jeune femme passe son temps à défiler. Quant à Petit, il a été également mannequin. Mais on l’a aussi connu pour ses talents de maquilleur. D’ailleurs, il avait l’habitude de mettre des couleurs sur le visage de son amie Dorléans.
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Par ailleurs, le danseur de vingt ans a initié des activités économiques pour avoir un peu d’argent. « Il vendait des produits cosmétiques, parfums et accessoires pour payer ses études. Cette année, Sebastien a entamé des études en Sciences administratives », témoigne Marc Joany Fleuridor, un cousin de la victime.
Selon Fleuridor, le danseur vivait seul dans une chambre à Pétion-Ville. Mais quand il revenait d’une activité à Pétion-Ville avec Nancy Dorléans, il avait l’habitude de la raccompagner jusqu’à la Rue de l’Enterrement où elle vivait en famille.
« Il venait aussi passer du temps avec moi à Carrefour », révèle Fleuridor qui rajoute que les parents de Sebastien Petit n’ont pas pris soin de lui dans son enfance. « Ce n’est qu’à 14 ans qu’il a reconnu sa mère. Sebatien a grandi avec sa marraine avant d’aller vivre seul. Sa mère vit en République Dominicaine avec ses trois frères, je n’ai aucune nouvelle de son père. »
Contrairement à Sebastien Petit, Nancy Dorléans, orpheline de mère, a été entourée de sa famille : tante, sœurs, nièce et son garçon de 9 ans. « Nancy est née le 5 mars 1992. Elle a été danseuse, mannequin, mère et une amie fidèle. Je ne dis pas qu’elle a été une sainte, mais c’était quelqu’un de respectueux. Sysy n’a eu d’autre passion que la danse. Elle a toujours dit qu’avec la danse, elle réussira », rapporte tristement Ange Jeanine Lindor, une amie de la danseuse.
Dernière danse
Le mardi 23 juin 2020, Nancy Dorléans et son ami Sebastien Petit ont dansé leur dernière danse. Dans la matinée, ils se sont rendus à Pétion-Ville, précisément à Le Villate, à la répétition d’une chorégraphie pour le concert en ligne de la chanteuse Misty Jean.
Ce jour-là, les danseurs n’ont pas prévenu leurs proches qu’ils allaient rentrer tard ou qu’ils n’allaient pas rentrer du tout.
Quand, au bout de 24 heures, Dorléans et Petit n’ont donné aucun signe de vie, leurs proches ont lancé des avis de recherche sur les réseaux sociaux. Des photos de Sysy et de Babas (comme on les appelle) ont été largement partagées sur la toile. « Nous avons laissé des numéros de téléphone pour nous contacter si on les avait vus quelque part. Nous sommes allés à plusieurs endroits, dont la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) », explique Ange Jeanine Lindor.
Le vendredi 26 juin, le petit ami de Nancy Dorléans a reçu un appel d’un inconnu lui disant qu’il a aperçu deux corps brûlés dans la commune de Tabarre. Quand la famille de la danseuse s’est rendue sur les lieux, elle a appris que les deux cadavres ont été déjà enterrés dans un cimetière de cette commune.
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Les employés de la mairie de Tabarre ont déterré les corps calcinés sous le sol du cimetière en question. Les seuls indices qui ont prouvé que c’étaient réellement les danseurs, ce sont des bijoux et le vernis à ongles de couleur verte que portait Nancy Dorléans sur ses longs faux ongles. « Nancy porte souvent une bague dans son pouce. C’est la seule partie de son corps qu’on pouvait voir », explique Ange Jeanine Lindor. Pour sa part, Sebastien Petit avait un bracelet en métal que son cousin Marc Joany Fleuridor lui avait offert.
À ce moment, les proches des danseurs ont décidé de leur offrir une sépulture. « On a organisé une petite cérémonie en l’honneur de Sebastien et on l’a inhumé dans le même cimetière où on l’avait trouvé à Cazeau », avance Marc Joany Fleuridor qui ajoute que la mère du danseur qui revenait de la République Dominicaine quelques jours plus tard n’a pas pu voir le visage de son fils une dernière fois.
Les proches de Nancy Dorléans ont eux-mêmes transféré le corps de la défunte en Plaine là, où elle a de la famille.
Les corps ramassés par terre
Ayibopost a contacté le commissariat et la mairie de Tabarre pour savoir dans quelles circonstances les corps des danseurs ont été retrouvés.
Anie Alix, une employée du Commissariat de Tabarre nous a confié que les deux corps ont été retrouvés le mercredi 24 juin à 8 h 15 AM (le lendemain de la disparition des danseurs) dans la zone où se trouve l’Université INUQUA à Tabarre.
Selon Nice Simon, la mairesse sortante de la commune, il est de la responsabilité de la Mairie de s’occuper de l’inhumation des corps sans vie retrouvés dans la commune. « Le rôle de la Mairie est de ne pas laisser traîner des corps dans les rues à la portée des chiens. La Mairie fait toujours ce que la justice demande de faire avec les corps. »
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Nice Simon ajoute que dans les cas où les morts ne sont pas identifiés, le juge ordonne à ce que la Mairie attende au moins 15 jours avant d’en faire l’inhumation. « Mais si le corps est déjà en putréfaction, le juge ordonne de faire l’inhumation le même jour », rajoute Simon.
Pour sa part, Garry Gervais, le responsable du service des décès à la mairie de Tabarre rapporté que le mercredi 24 juin, le commissariat de Tabarre a alerté la mairie pour deux corps qui ont été complètement carbonisés et méconnaissables.
« Après le constat d’un juge de paix, la mairie de Tabarre a inhumé dans l’immédiat les cadavres dans un cimetière qui s’appelle Cazeau en face de l’hôtel La Colombe », dit Gervais. L’employé explique que généralement, la mairie de Tabarre place les cadavres en bon état retrouvés dans les rues dans des morgues privées. Mais il a mentionné que les deux corps retrouvés le 24 juin, qui plus tard se sont avérés être ceux des danseurs, ont été dans un état tellement ignoble qu’aucune morgue n’a voulu les recevoir.
La goutte d’eau qui renverse le verre
Selon James Beltis, un membre de l’association Nou p ap dòmi, le cas Nancy Dorléans et Sebastien Petit est la dernière goutte qui a renversé le verre. « La situation de l’insécurité est révoltante dans le pays. Une fois de plus, le régime en place a montré son irresponsabilité face à l’impunité », soulève Beltis.
Nou p ap dòmi a lancé un sit-in le lundi 29 juin 2020 qui n’a pas pu avoir lieu parce que des agents policiers l’ont violemment interrompu, alors que les participants étaient pacifiques. Le mardi 30, des proches des danseurs ont marché pacifiquement pour demander justice.
Le fils de Nancy Dorléans grandira comme elle, sans sa mère. Pour sa part, Sebastien Petit n’avait pas d’enfant.
Laura Louis
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