InsécuritéSOCIÉTÉ

Que veut réellement Jimmy Chérizier alias Barbecue ?

0

L’ancien policier est à la tête d’un regroupement de bandits qui compte s’établir dans tout le pays

Le 13 novembre 2018, pendant 14 heures, les habitants de La Saline, quartier populaire de Port-au-Prince, ont connu l’enfer. Des individus armés ont fait irruption dans la zone, tirant dans toutes les directions. Des maisonnettes sont incendiées après avoir été pillées. 

Cette attaque a été suivie par plusieurs autres, sur une période de deux ans.  Personne ne sait avec exactitude le nombre de victimes, car les assaillants ont pris l’habitude de brûler des cadavres, ou de les jeter à la mer. Mais des dizaines de personnes dont des femmes et des enfants ont trouvé la mort dans ces tragédies. 

En plus de la Saline, d’autres quartiers populaires de la capitale connaissent depuis quelque temps des situations tendues. Carrefour-Feuilles et Bel-Air en sont des exemples. Les bandits ne chôment pas ; la population subit. 

C’est dans ce contexte qu’au mois de juin 2020, Jimmy Chérizier alias Barbecue, un ancien policier de l’unité spécialisée UDMO, publie une vidéo sur YouTube, dans laquelle il annonce une alliance entre les différents gangs de Port-au-Prince. Ce nouveau regroupement dont il s’autoproclame porte-parole réunit neuf des plus grands chefs de gangs de la commune. C’est le G9 an fanmi e alye.

Tandis que cette nouvelle organisation se dit apolitique et parle de révolution armée, des organisations de la société civile rapportent qu’elle a été créée pour assurer au pouvoir en place la victoire lors des prochaines élections.

Un policier reconverti

Pendant plusieurs années, la zone de Grand Ravine était un no man’s land. Refuge de bandits, Grand Ravine n’était inaccessible même pour la police nationale d’Haïti. Mais le 13 novembre 2017, la PNH a mené une opération dans la zone. Au cours de l’intervention, deux policiers ont perdu la vie, tandis que huit civils sont morts, et plus d’une trentaine d’autres blessés.

Parmi les 260 policiers envoyés à Grand Ravine ce jour-là, il y a Jimmy Chérizier. L’agent de l’UDMO, ainsi que d’autres collègues présents sur les lieux, ont été accusés de graves violations des droits humains. L’inspection générale de la Police nationale, après une enquête, avait estimé que de lourds soupçons pesaient contre lui. Si des sanctions administratives ont été prises, aucune procédure judiciaire n’a été entamée contre le policier. 

Lire aussi : Faut-il appliquer la « Zéro tolérance » contre les criminels en Haïti ?

Deux ans après, son nom est de nouveau cité dans une tuerie perpétrée à la Saline. Des dizaines de morts ont été enregistrées. Jimmy Chérizier, qui aurait déjà été reconverti en chef de gang à l’époque, a participé à ce massacre, d’après plusieurs rapports.

Le G9 an fanmi e alye

En tout neuf hommes, à la tête des principaux gangs de la capitale, ont formé cette coalition : (Roi) Micanor, Isca, Mathias, Djouma, Krisla, Ezechiel (un policier), Sonson, Ti junior et Barbecue. Ces chefs contrôlent les aires de Fort Dimanche, Simon Pelé, Waf Jeremi, Bas Delmas, Martissant, Village de Dieu, Grand Ravine, 2e avenue, Tibwa etc.

G9 an fanmi e alye a sa propre chaîne YouTube

Selon Jimmy Cherizier, l’objectif est de fédérer tous les gangs du pays et de « fomenter une révolution armée ». Dans une entrevue accordée au Washington Post, Jimmy Cherizier assure qu’il est prêt à mettre une arme dans la main de tous, même des enfants, pour réussir cette révolution contre la bourgeoisie et les politiciens.

L’homme qui se dit simple « garant de la sécurité » des quartiers de Delmas 2, 4 et 6, a un mandat d’amener décerné contre lui depuis février 2019. Ce mandat n’a jamais été exécuté. Au début de l’année 2020, une distribution de nourriture a eu lieu dans le quartier de Delmas 6. La police nationale d’Haïti côtoyait Jimmy Cherizier, qui leur indiquait les familles bénéficiaires de l’aide de la caisse d’assistance sociale. Il n’a pas été arrêté.

En juillet 2020, le ministre de la Justice d’alors, Lucmane Delille, a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il annonçait des mesures pour freiner le G9. Il demandait à la Police de mettre tout en œuvre pour stopper ces dérives. Le lendemain de son intervention, le ministre était démis de ses fonctions. 

Récemment, pendant le mois de novembre 2020, Barbecue a fait parler de lui à nouveau. Après la mort brutale de la jeune Evelyne Sincere, écolière kidnappée puis tuée, la Police nationale a désigné le dénommé Obed Joseph, dit Kiki, comme l’un des auteurs du meurtre.  La surprise était générale quand Jimmy Cherizier s’est filmé, en compagnie du présumé meurtrier. Dans la vidéo, l’homme fort du bas de Delmas annonçait avoir arrêté Kiki, sur son territoire, et qu’il comptait trouver un modus operandi avec la PNH pour le leur livrer.

Questionné sur cet événement, le ministre de la Justice, Rockefeller Vincent, sur qui planent de forts soupçons de corruption, a assuré que Jimmy Cherizier avait fait son devoir de citoyen, en appréhendant Joseph Obed. 

Toutefois, pendant le mois de décembre 2020, les efforts de plusieurs groupes de droits humains semblent avoir payé. Le gouvernement américain a pris des sanctions contre Jimmy Cherizier, gelant ses possibles avoirs aux États-Unis.

Des visées électoralistes ?

Le réseau national de défense des droits humains et la Fondation Je klere, deux organisations de la société civile, accusent la nouvelle création des bandits d’être un instrument de l’administration du président Jovenel Moïse. Dans deux rapports séparés, le RNDDH et la FJKL présentent les manœuvres qui seraient mises en place par les autorités, pour s’assurer de gagner les élections, par tous les moyens, dans les quartiers nécessiteux.

Le quartier populaire de la Saline par exemple, a longtemps été en majorité opposé au pouvoir PHTK. Lors des rassemblements de l’opposition, ces quartiers fournissent un grand nombre de manifestants. Selon le RNDDH et la FJKL, les massacres perpétrés à La Saline visaient à contrôler cette zone, pour affaiblir l’opposition à Jovenel Moïse. 

La première dame Martine Moïse se serait même rendue dans la zone, pour rencontrer le chef de gang Bout Jean Jean qui dirigeait le quartier. Il est en outre rapporté, par ces deux organisations, plus le Service des droits humains de l’ONU en Haïti, que des officiels du gouvernement étaient présents sur les lieux du massacre du 13 novembre 2018. 

À Cité Soleil aussi, autre quartier nécessiteux de la capitale, Jovenel Moïse n’a vraisemblablement pas de grands soutiens. Le 17 octobre 2018, le cortège du président avait été attaqué alors qu’il se rendait au Pont-Rouge, une section de la commune. Le chef de l’État comptait déposer une gerbe de fleurs en mémoire de Jean Jacques Dessalines, fondateur de la nation, assassiné dans la zone.

Le pays était en pleine période de lock. Il s’agit d’une stratégie utilisée par l’opposition pour affaiblir le pouvoir, et qui consistait à paralyser toutes les activités. Cette attaque avait été attribuée aux hommes de Bout Jean Jean, de la Saline, et de leurs alliés de Pont-Rouge.

Ti Gabriel est l’un des seuls chefs de gangs puissants, qui résiste encore à la vague  Barbecue

Pour toutes ces raisons, et encore plus à l’approche de probables élections en 2021, il est important pour le pouvoir d’avoir le contrôle de ces quartiers, selon le RNDDH et la FJKL. Le G9 répondrait à cette volonté, par l’unification de tous les gangs de la zone, sous un seul commandement, celui de Barbecue. Il est remarquable que depuis, pas une seule manifestation de l’opposition n’a pu avoir lieu dans la capitale, même si le coronavirus est aussi une cause de cette absence de mobilisation.

« C’est Jimmy Cherizier qui a mis à la disposition de l’État, à Delmas 6, un local pour installer le bureau de l’Office national d’identification, révèle Pierre Espérance, directeur exécutif du RNDDH. Les cartes électorales, dans cette zone, sont fabriquées sous sa coupe. »

En outre, ces organisations dénoncent l’installation à la tête de la Caisse d’assistance sociale d’un directeur proposé par le G9. Cette caisse, selon le RNDDH et la FJKL, est une vache laitière pour ces gangs.

Poids electoral

La commune de Cité Soleil, selon les projections de 2015 de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique, abritait plus de 265 000 personnes. Plus de la moitié avait 18 ans ou plus, soit plus de 144 600 personnes. Or, aux dernières élections législatives, organisées elles aussi en 2015, Jean Renel Sénatus a été élu sénateur, dès le premier tour, avec seulement 101 884 voix, soit moins d’électeurs que la seule commune de Cité Soleil.

Dans cette commune, le chef de gang Ti Gabriel qui contrôle le quartier de Brooklyn a sous sa coupe entre 25 et 30 % de l’électorat grâce aux bureaux de vote installés sur son territoire. Cela le rend important, d’un point de vue électoral. C’est l’une des raisons probables de la volonté du G9 de récupérer cette zone, et de la contrôler. 

Les autres territoires sous le contrôle du G9 sont autant de quartiers où vit une population nombreuse. Martissant, en partie sous le contrôle du chef de gang Krisla, membre de la fédération, a une population de plus de dix-huit ans, des deux sexes, estimée à plus de 171 000 personnes. 

Mode opératoire

D’après les rapports des organisations de défense des droits humains, il y a des gangs pro pouvoir ainsi que d’autres qui sympathisent avec l’opposition a Jovenel Moïse. Pour maîtriser les quartiers populaires dans lesquels le pouvoir n’a pas de soutien, il faut maîtriser les chefs de gangs qui les contrôlent.

Tous les gangs de la capitale qui sont opposés au pouvoir ont été attaqués par le G9 an fanmi e alye ou par des hommes de Jimmy Cherizier. Environ un mois après l’attaque du cortège du président le 17 octobre 2019, soit le 13 novembre, le premier massacre de la saline avait lieu. Les gangs de la Saline avaient prêté main-forte à ceux de Pont-Rouge pour faire affront au président. Barbecue était sur les lieux du massacre, selon tous les rapports d’organisation de droits humains, même si le G9 n’était pas encore formé.

Quelques mois après, en avril 2019, le quartier de Tokyo  à Cité Soleil est aussi attaqué. Tokyo était un allié des gangs pro-opposition. Depuis la création du G9, ces quartiers populaires sont tombés les uns après les autres entre les mains de la coalition. D’autres chefs de gangs jadis pro-opposition, comme Micanor à Waf Jeremi, ont basculé sous la coupe de Jimmy Cherizier. Même le quartier de la Saline, est maintenant commandé par Serge Alectis alias Ti Junior, l’un des chefs du G9.

Dans la zone métropolitaine, Ti Gabriel est l’un des seuls chefs de gangs puissants, qui résiste encore à la vague Barbecue.

Les nouvelles technologies

La stratégie de ralliement à la cause de Barbecue n’oublie pas les réseaux sociaux.

L’annonce de la création du groupe G9 a été faite en vidéo, publiée sur YouTube et d’autres réseaux sociaux. On y voit Jimmy Cherizier, en costume cravate trois pièces, assis sur un canapé. Pendant une dizaine de minutes, le chef de bande de Delmas 6 donne les raisons de cette fédération. Il assure qu’ils ne sont ni pour le pouvoir ni contre lui, mais qu’ils peuvent être l’un ou l’autre sans problème. Cette vidéo a été partagée par un nombre important de canaux YouTube, et a engrangé des « vues » considérables.

Une rapide recherche sur YouTube a montré que cette stratégie est de plus en plus utilisée par les bandits. G9 an fanmi e alye a sa propre chaîne YouTube, appelée kanpe Goumen Delmas 6. Plus d’un millier de personnes y sont abonnées. Sur cette chaine, une vingtaine de vidéos mettent Jimmy Cherizier en scène ou d’autres chefs de gangs. Dans l’une d’elles, il présente les conditions exécrables dans lesquelles vivent des habitants de la Saline, quartier faut-il le rappeler autrefois opposé au pouvoir. 

Un compte Twitter et un autre de Facebook sont aussi au nom du nouveau baron des gangs, et semblent être à lui. Si le compte Twitter n’a que deux publications dans lesquels est repris son slogan, la page Facebook regorge quant à elle de photos de Barbecue en costume et en armes. 

Jameson Francisque

La photo de couverture est de Pierre Michel Jean

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

Comments