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Que sont devenus les milliers d’employés et contractuels du parlement haïtien ?

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Le parlement fait face à une question pressante : que faire des centaines d’employés pistonnés par les anciens députés et sénateurs maintenant qu’il n’y a presque plus d’activités. Ils trouvent la réponse dans le « roulement » alors que la majorité des anciens contractuels ont été limogés

Il est déjà 11 h du matin ce mardi 4 février 2020. Sonia, une employée de la section archive du Sénat de la République, s’ennuie dans la petite salle des commissions du grand corps.

Entourée de ses amis qui bavardent pour tuer le temps, Sonia évoque le système de roulement mis en place par l’administration du sénat. Sous ce système qui concerne aussi le personnel de la chambre des députés, les milliers d’employés que compte la structure ne travaillent désormais qu’une semaine sur quatre par mois.

Les horaires normaux étant abolis, les employés prennent connaissance de leurs jours de travail par des notes placardées dans les différents services. Ainsi le Parlement se défait du problème des employés occupant oisivement la cour de l’institution à longueur de journée.

Un personnel pléthorique

Le parlement est devenu caduc le 13 janvier dernier avec l’expiration du mandat de la chambre des députés et de 2/3 du sénat. Désormais, les deux secrétaires généraux de la Chambre des députés d’une part, et du Sénat de l’autre, gèrent le personnel alors qu’il n’y a presque pas d’activités.

Les centaines d’employés que compte la structure ne travaillent désormais qu’une semaine sur quatre par mois

Pourtant, le nombre d’employés explose au niveau de la Chambre basse : « De janvier 2016 à janvier 2020, la Chambre des députés est passée de 700 à 2600 employés », souligne le dernier questeur du bureau de la Chambre basse, Gandhi Dorfeuille.

Les propos de l’ancien questeur sont corroborés par son ancien collègue de Grand-Goâve, Jean Marcel Lumerant. Selon ce député de l’opposition, dès l’arrivée de la 50e législature, les députés se sont mis d’accord avec le bureau pour proposer chacun trois personnes pour être nommés comme fonctionnaire au Parlement.

Jean Marcel Lumerant poursuit que le nombre de nouveaux employés devait être 357 puisque la Chambre comptait alors 119 députés. Additionnés aux 700 déjà en place, la Chambre basse passerait mathématiquement à 1037 employés.

Lire aussi: Que révèle le drapeau déchiqueté hissé au parlement haïtien ?

Surprise ! À son arrivée à la questure en janvier 2019, Gandhi Dorfeuille révèle que le nombre d’employés avait déjà atteint 2600. Par suite des recommandations du Ministère de l’Économie et des Finances, le questeur d’alors dit avoir proposé aux autres membres du bureau de procéder à une réduction de la masse salariale de la chambre qui faisait face à un problème de budget. Sa proposition a été rejetée.

Pour ce qui est des contractuels, ceux qui travaillaient directement avec les députés ont été mis à pied, révèle un employé cumulant déjà 10 ans au service de communication et requérant l’anonymat. Dans cette catégorie, on retrouve, les chauffeurs, les agents de sécurité et les secrétaires des anciens députés, confirme l’ancien député Samuel D’Haïti.

Même scénario au Sénat de la République que dirige Rony Gilot en collaboration avec le nouveau bureau mis en place par les 10 sénateurs restant : « Les contrats des proches des anciens sénateurs ne sont pas renouvelés. On ne renouvelle les contrats que de ceux qui travaillent avec les 10 sénateurs encore en fonction », aux dires d’un fonctionnaire travaillant à la direction législative du Sénat. Il souligne que les 1000 employés ayant une nomination sont tous en poste au grand corps.

Le fameux « roulement »

Pour gérer son personnel pléthorique, la Chambre des députés a trouvé une astuce : « le roulement ».

Cette stratégie consiste à faire travailler le personnel par petit groupe, explique un employé  du service de protocole. Selon lui, « chaque service divise son personnel en quatre groupes et fait travailler chaque groupe pendant une semaine sur les quatre semaines que compte le mois ». Ainsi, un employé de la Chambre basse ne travaille qu’une semaine par mois.

Au Sénat de la République, comme à la chambre basse, on pratique aussi le « roulement » au sein des différents services. « Chaque semaine, dans des notes placardées dans les différents services, on nous indique les jours que nous devons travailler », explique une employée du service de protocole  qui souhaite garder l’anonymat.

Des employés vivant à l’étranger

Au Bicentenaire, les chiffres réels concernant le nombre d’employés total des deux branches du Parlement ne sont pas certains. Outre ceux qui font le « roulement » pour éviter d’encombrer l’espace alors qu’il n’y a pas d’activités, il y a des fonctionnaires aux « chèques zombi ». En comptabilisant ceux-là, la Chambre des députés compterait environ 3000 employés contre 1000 au Sénat de la République.

Cependant nombre de ces employés pratiquent l’absentéisme et n’attendent que les fins de mois pour recevoir leur salaire. « Certaines personnes fichées comme employées du Parlement vivent en réalité à l’étranger », indique un membre du service de communication de la Chambre des députés  requérant l’anonymat.

Il dit regretter que la décision du Ministère de l’Économie et des Finances de mettre fin au système de virement dans l’administration publique n’ait pas pu apporter une solution à ce problème d’emplois fictifs au Parlement haïtien.  Le fonctionnaire dénonce cette pratique qui épuise le contribuable haïtien au profit d’un petit groupe qui, quoique résidant à l’étranger, continue de recevoir leur chèque avec la complicité de personnes interposées, usant de la stratégie du « signé pour ».

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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